Depuis le 15 mars, le musée de Montmartre propose une nouvelle exposition. J'avoue que je ne connaissais rien d'Auguste Herbin (1882-1960), un peintre qui eut pourtant un vrai rayonnement et fut apprécié par certains de ses contemporains et dénigré par d'autres.
Nature morte aux grenades (1904)
Autoportrait 1903
Homme du nord, il est fasciné par les couleurs. Pas étonnant qu'il soit lié comme Matisse à la ville du Cateau-Cambrésis où il s'initie au dessin et à la peinture.
Il fréquente ensuite l'école des beaux Arts de Lille où il est attiré par l'Impressionnisme et le pointillisme.
Toits de Paris sous la neige (1901)
Il arrive à Paris en 1901. Il est influencé par Cézanne et Van Gogh. C'est sous leur influence qu'il ose les couleurs franches de l'un et la composition plus géométrique de l'autre.
Les trois vases
Portrait de jeune fille 1907
Autoportrait 1906
Il est alors considéré par la critique comme un Fauve. "La marque du Fauve est partout" écrit à propos de son œuvre un critique américain.
C'est le début pour Herbin d'une longue vie d'artiste faite de métamorphoses qui désorientent et, selon moi, expliquent en partie l'oubli dans lequel il est tombé
Après la période fauve, il se convertit au cubisme.
Il expose avec Braque, Picasso, Metzinger, non pas en suiveur mais en artisan majeur de ce mouvement. S'il ne noue pas de véritable amitié avec ces peintres, il les côtoie cependant et c'est à Picasso qu'il succède dans l'atelier que le Catalan louait au Bateau-Lavoir. Il y restera dix-huit ans.
Famille femme et enfant (1914)
Il se distingue par sa palette colorée et contrastée.
La majeure partie de l'exposition est consacrée, à juste titre, à cette période créatrice.
Paysage à Hardicourt (1911)
Jardin devant une maison (1914)
Le tableau "Jardin devant une maison" est surprenant. Il est à la fois réaliste avec ses maisons en arrière plan et déjà abstrait avec cet arbre-jardin qui gravite sur lui-même comme une planète.
Après guerre, Herbin quitte ses années cubistes comme on se défait d'une mue pour s'intéresser à l'Art Monumental que défendent le Bauhaus en Allemagne ou le Constructivisme en Russie.
Composition 1,2 et 3 (1919)
J'avoue que cette partie de son œuvre ne me touche pas beaucoup. J'y vois un exercice intellectuel, une composition théorique dont la qualité principale cependant reste la franchise des couleurs.
Devant l'échec commercial de ses compositions et l'impasse où il s'est engagé, Herbin change du tout au tout.
Nature morte à la nappe (1937)
Il revient à la figuration, période qui correspond à son adhésion temporaire au Parti Communiste.
Joueurs de boules 2 (1923)
Nous pourrions croire devant l'aspect monumental un peu figé de ses personnages qu'il se rapproche de l'esthétisme du réalisme socialiste. En réalité, il n'en est rien car Herbin insuffle dans ses compositions une atmosphère étrange, quasi surréaliste.
Ses natures mortes semblent s'animer et devenir animales comme ces concombres, nœud de serpents!
Les concombres 1926
Un critique parle de "réalisme magique" pour définir cette période qui à mon goût est, avec la période cubiste, la plus intéressante et la plus originale.
La fabrique 1925
Mais Herbin ne se satisfait pas de son nouveau travail. Lui qui avait déjà été tenté par l'abstraction retrouve son attirance pour les lignes et les couleurs qui ne cherchent pas à dessiner une réalité.
L'homme oiseau 1926
Et maintenant l'abstraction devient la règle.
Synchronie en jaune 1940
Nous ne trouverons plus de tentation figurative. Herbin devient et restera jusqu'à sa mort en 1960, un peintre abstrait.
Fasciné par les formes et les couleurs capables de tout exprimer sans avoir besoin de figurer la réalité, comme le Rimbaud des Voyelles, il met au point un alphabet plastique. Chaque lettre correspond à une figure géométrique, chaque couleur est évocatrice de sentiment ou d'atmosphère.
Par exemple dans le tableau intitulé "Lune", nous allons trouver le triangle jaune du L, la forme hémisphérique bleue du U, le triangle blanc du N, la forme sphérique rouge du E :
Lune 1945
Je reconnais que je reste un peu hermétique à cette "écriture" qui pour être comprise exige que nous soyons francophone!
Parfum 2. 1954
Herbin ne cessera dans les dernières années de sa vie de jouer avec son alphabet.
Plutôt que d'essayer de traduire ses formes et ses couleurs, mieux vaut les recevoir telles qu'elles s'offrent à nous et nous touchent selon notre sensibilité.
Herbin et sa femme
L'exposition se termine avec les tableaux alphabétiques. Ils sont la dernière mutation, la dernière métamorphose d'un peintre toujours en recherche.
Impressionniste, fauve, cubiste, Monumentaliste, réaliste, abstrait. C'est beaucoup pour un seul homme!
Dieu 1957
Nous pouvons admirer cette disponibilité d'un explorateur de nouveaux chemins, comme nous pouvons nous demander pourquoi cet explorateur n'est jamais allé au bout de ces chemins.
Les uns admireront son "évolution" et son dernier travail qui ouvre sur l'art cinétique et l'art optique, les autres regretteront qu'il n'ait pas exploré plus longuement les territoires successifs qu'il découvrait.
Génération 1959
Mais tous les visiteurs auront l'occasion de rencontrer les différents avatars d'Auguste Herbin et d'accueillir ce qui reste une constante de son art : le goût des couleurs de plus en plus franches, hymne à la vie et à sa diversité.
jour d’été où il est apparu dans la famille, septième d’une fratrie où les aînés étaient déjà dans leur adolescence tourmentée, il a apporté la joie, le soleil de ses cheveux blonds et bouclés. Je ne me lassais pas de le promener sur mes épaules jusqu’au jour où sa tête a cogné au-dessus du chambranle. J’avais oublié qu’il grandissait.
Il a grandi, il a rencontré l’amour, il a eu des fils dont les noms sont inséparables. Nos vies ont suivi leur cours plus ou moins capricieux. Nous nous sommes éloignés, nous sommes devenus des frères inconnus mais quand je l’ai revu, je l’ai retrouvé parce que je reconnais toujours les chats même quand ils ont apparence humaine. Il fallait voir comment il frottait la tête contre le pelage de Charly, comment il était resté un enfant assoiffé de tendresse et de caresses.
Ces derniers mois il a beaucoup voyagé et bien sûr il a remonté le Nil dans le pays où les chats sont des dieux. Avec sa femme et ses fils il est allé dans ce pays d’éternité. Ils étaient tous les quatre, inséparables, devant le temple d’Horus, au pied de la statue de Bastet, solides, soudés, ensoleillés comme les pierres.
Aujourd’hui Vincent monte sur la barque solaire, la barque de feu. Le Livre sacré des Egyptiens, "le Livre des Morts" dont le vrai nom est : "Le Livre du Retour à la Vie", s’ouvre à la page où il parle : Je suis reconstitué, je suis rajeuni, je suis revigoré. Je peux sortir au jour et me promener parmi les vivants
Comme les morts que nous chérissons, Vincent va se promener parmi les vivants. Nul doute qu’il viendra frotter sa tête dans votre cou. Nul doute que vous le reconnaitrez.
Du 2 au 5 Norvins, voilà un début de rue qui a connu bien des métamorphoses. Aujourd'hui il est entièrement occupé par "La Bohème", de la place du Tertre à la rue Saint-Rustique!
Cette gravure nous permet de voir le lieu déjà occupé par "la Bohème" à l'exception du dernier numéro où résiste encore, pour peu d'années, le restaurant du "Moulin Joyeux". Le nom du propriétaire sur la façade de l'Hôtel nous permet de dater la gravure entre 1930, année de son rachat par Beynat et 1938 année de sa destruction et de l'édification de l'immeuble actuel, trop lourd, trop haut, qui rompt l'harmonie des vieilles maisons et enlaidit ce lieu historique.
L'immeuble de 1938 comme une verrue sur un beau visage!
De vieilles photos et cartes postales nous permettent de garder souvenir de ce qu'était ce début de rue avant que Beynat n'en fasse son domaine et ne dévore un à un ses voisins.
Nous voyons sur ce cliché l'Hôtel du Tertre qui porte encore le nom de Bouscarat, "Le Rendez-vous des cochers" (maison Poncier) et avant la rue Saint-Rustique "Le Rendez-vous des Amis".
Nous avons déjà rencontré le "Rendez-vous des Cochers" en écrivant l'histoire de l'Hôtel du Tertre. Nous savons qu'il appartenait au Père Poncier et qu'il abrita au rez-de-chaussée une mercerie-librairie-papeterie qui délaissa les livres pour devenir débit de boissons.
Nous pouvons constater que "le Rendez-vous des cochers" a fini par abandonner les cochers pour attirer le chaland en se targuant d'être "le Sommet de la Capitale".
Les deux immeubles mitoyens "Sommet de la capitale" et voisin, ne faisaient qu'un seul numéro, le 3, malgré leurs différences (fenêtres, toiture).
Aujourd'hui ils forment un seul bloc dont les volets ont disparu et dont le pittoresque a été malmené.
Le 5 enfin est rentré dans l'alignement bohémien. Il faut de très bons yeux pour dénicher la plaque qui nous rappelle qu'il fut honoré de la visite régulière pendant une quinzaine d'années de Valadon et Utrillo venus en voisins de la rue Cortot.
Les dates paraissent un peu fantaisistes, à la mode montmartroise,
Ce qui est avéré, c'est que le restaurant faisait également office (comme de nombreux restaurants montmartrois) de débit de boissons.
Le Rendez-vous des amis devint "Le Moulin Joyeux" puis "Les Coulisses" jusqu'au jour de 1968 où il ne sut résister à la boulimie de La Bohème qui l'engloba tout entier!
Le Moulin Joyeux
Les Coulisses
Maintenant, tout le début de rue est uniformisé par La Bohème.
Pour nous consoler, réjouissons-nous que les petits immeubles des 3 et 5 n'aient pas été rasés pour s'aligner sur le vilain 2!
La mode moche (et paraît-il efficace pour attirer le chaland) n'épargne pas la Bohême. Actuellement, elle croule sous des fleurs en plastique et des nounours.
Et pour parachever le vandalisme, des fresques écrasantes assombrissent de leurs couleurs sinistres, prétendu hommage à Lautrec, tout le début de la rue St Rustique sur les murs latéraux de la Bohême. Elles consternent les habitants qui n'ont pas été consultés et font du cœur de Montmartre un disneyland prétentieux et épais.
La Bohême!
Destin hégémonique que celui de cet établissement dont le nom évocateur de pauvreté et d'artistes fauchés ferait sourire Aznavour qui vécut rue St Rustique....
Les nuages passent au loin avec les draps blancs et les airs de guitare. Le nom de ceux que nous aimons se dévoile en lettres mauves sur nos bras. Il y a sur tes genoux bien résolue à n’en jamais partir celle qui prend les couleurs dans tes yeux et qui se fait légère comme une plume pour que le temps l’oublie là où elle était heureuse. Il y a le dernier chat, celui de la septième vie, gris comme les cendres qui gardent la chaleur du feu.
Tu es l’amour qui me fait vivre. Tu es mon désir et ma peur. Le désir de vivre avec toi aussi longtemps que nous vivrons, de savoir dans la nuit ton corps contre mon corps, d’accueillir le matin avec reconnaissance. La peur de deviner les larmes dans ta voix, de voir neiger sur tes souvenirs, de ne pouvoir casser en deux dans mon poing levé les éclairs de douleur qui parfois te transpercent.
Je t’aime pour le soleil qui se lève et s’endort. Je t’aime pour le passé sans toi qui me suit et me mord. Je t'aime pour les stalactites en cristal du Balzac. Je t'aime pour l’alcool couleur d’orange et l’ange bleu de Chagall à l’Opéra. Je t'aime pour le quai des Schiavoni et les fenêtres ouvertes sur San Giorgio. Je t'aime pour le piano de Satie dans les rues de Montmartre.
Je t’aime et t’aimerai jusqu’au jour où la mort nous fermera les yeux entre les anneaux d’or.
1er février. A l'abri. Un parapluie pour commencer un mois pluvieux comme jamais, plus vieux aussi du jour supplémentaire de l'année bissextile.
2 février. Le marchand de cadenas devant le Sacré-Coeur. Les cadenas rouillent sous la pluie!
3 février. Rue Ronsard. "Vivez si m'en croyez, n'attendez à demain". Vite s'embrasser dans un rayon de soleil!
4 février. Elégante sans parapluie.
5 février. Même pas peur! (square Nadar)
6 février. Et s'il n'en reste qu'un ce sera celui-là!
7 février. Les parapluies à l'assaut de la Butte.
8 février. Parapluies rue Norvins.
9 février. Les vrais et les faux parapluies se confondent (rue Norvins)
10 février. Un peu de soleil entre deux averses.
11 février. Avant l'averse.
12 février. Petits égyptiens... du pays du Dieu Soleil.
13 février. La statue met la main à la poche.
14 février. Religieuses rue du Calvaire.
15 février. Un vieux Montmartrois rue du Chevalier de La Barre.
16 février. Comme des hirondelles sur un fil!
17 février, devant la Basilique. Un enchanteur.
18 février. Les amoureux de la Turlure.
19 février. Pour toujours. (Square Nadar).
20 février. Gros chien, petit chien, jeune fille, vieil homme..... une rencontre qui raconte la vie. Rue du Chevalier de La Barre.
21 février. On est toujours amoureux à Montmartre.
22 février. Oreilles droites, oreilles tombantes.
23 février. Saupoudrage de printemps. Miracle, il fait beau!
24 février. Seuls au monde.
25 février. Rose c'est rose!
26 février. Les parapluies avancent comme les légions romaines en formation de tortue, les boucliers sur la tête!
27 février. Des os pour le chien?
28 février. Rue Antoine.
29 février. Le mois se termine comme il a commencé sous la pluie-pluie-pluie! Jamais autant de parapluies ne se sont vendus sur la Butte, concurrençant les cadenas des amoureux!
Mars va prendre la relève, lui qui paraît-il "rit malgré les averses". Souhaitons qu'il rie beaucoup et se passe des averses!
Voilà des mois et des mois que fleurissent sur nos murs les parapluies qui font penser à une comédie musicale sans cesse renouvelée. J'ai voulu en recueillir quelques uns qui font chanter les rues de Montmartre avant qu'ils ne pâlissent et se décollent.
Ils ne laissent personne indifférent qu'il pleuve ou que le soleil brille. Les touristes aiment se faire photographier devant eux et seuls les esprits chagrins et pluvieux les dénigrent.
Ils sont l'œuvre d'un collectif d'artistes des rues ("street artists" comme on dit en français moderne) qui se sont réunis sous le nom qui nous promet bien des voyages : Le Mouvement.
Rue Norvins
Nous trouvons dans ce collectif Romano, Riks et Tiez. Ils ont le désir de favoriser les rencontres et d'associer les passants à leur création. Ils photographient les gens, vous et moi, dans la rue et leur demandent l'autorisation d'utiliser ces photos dans des montages qui seront collés sur les murs.
Il n'y aura plus qu'à les munir d'un parapluie et les faire chanter sous la pluie! Couples insolites et complices, souvent souriants et amoureux, ils se détachent de la foule sans visage, ils nous invitent à entrer dans le jeu, à danser avec eux sous la pluie.
Romano, l'un des artistes s'est fait connaître par de nombreuses fresques et de nombreux collages. Parmi ses réalisations les plus marquantes il y a la fameuse fresque peinte sur les quais d'Auxerre : l'Arche de Noé. Plus d'actualité que jamais (bien que réalisée en 2018)
Elle représente en 7 panneaux des animaux solitaires sur des barques reliées par des cordes à un enfant qui peut-être pourra les sauver. Le singe nasique, l'ours polaire, l'antilope, le tigre blanc le léopard d'amour sont tous menacés d'extinction.
Romano
Rue Saint Rustique
Rue Saint Eleuthère
Riks a débuté avec des lettrages de couleur aux formes souples avant de s'initier au collage et au pochoir.
Rue Saint Eleuthère
Tiez est pour moi le plus mystérieux car j'ai cherché en vain des photos de ses réalisations. Peu importe puisqu'il fait partie de ceux qui font éclore les parapluies sur nos murs! J'ai d'ailleurs un problème avec les signatures de ces collages qui varient d'un mur à l'autre pour les mêmes figures.
Depuis que j'ai commencé à rechercher ces fameux parapluies à Montmartre, il pleut sans fin sur la Butte!
Rue Joseph de Maistre/Caulaincourt
Il suffira d'un peu de soleil pour que les parapluies se transforment en ombrelles. Ils en ont déjà la couleur et la légèreté!
Jardin de Paris: Jane Avril, 1893. Lithographie 4 couleurs (124 x 91,5 cm)
Jane Avril est à part dans le monde nocturne de Montmartre. Elle n'a pas la sensualité débridée de Nini patte en l'air ou de la Goulue. Elle séduit sans se prostituer; elle danse sans se déshabiller. Etrange et mystérieuse, elle traverse la nuit comme un navire traverse un détroit houleux.
Toulouse Lautrec ne s'y trompe pas... Il la reconnaît comme une soeur douloureuse. Pour elle, il délaisse la Goulue à la sensualité débordante. Il la regarde, il l'aime, il saisit sa solitude, son désarroi, sa dignité. Il la montre telle qu'elle est quand elle danse, avec cette énergie qui stupéfie, avec cette distinction qu'on retrouvera plus tard chez Marlène dietrich...
Dans la rue, elle marche seule, avec son lourd passé de petite fille mal aimée, d'enfant battue par une mère alcoolique qui n'était préoccupée que d'elle et d'elle seule. Elle se sait fragile, à la merci d'une crise d'épilepsie. Elle a rendu visite à Charcot à la Salpétrière. Elle a espéré qu'il la guérirait de ses angoisses et de cette hystérie qui parfois la submerge et lui vaut des surnoms sans pitié : Jane la folle, Mélinite...
Entre artistes on se comprend. On voit ce que les autres ne voient pas. Cette tristesse, ce refuge du corps dans les étoffes fermées.
Ce désir inexprimé d'un ailleurs. D'une vie avec un homme aimé, loin des paillettes et des bulles de champagne.
Comment imaginer que ce visage-là déchaîne l'enthousiasme et la passion?
C'est qu'elle est double Jane Avril. Elle est la danseuse montmartroise, du Divan Japonais, des Folies Bergères... Elle est en même temps l'amie d'écrivains rares comme Huysmans ou Alphonse allais qui rêve de l'épouser...
Sur l'affiche du Divan Japonais, elle est assise devant la scène où Yvette Guilbert croise ses gants noirs, mais c'est elle la vedette. Elle est la longue dame noire. Elle est l'élégante à l'éventail vers qui se penche Edouard Dujardin, ami de Mallarmé et passionné de Wagner ...
Elle est l'ambassadrice d'un French-Cancan qui serait dansé par une reine. C'est elle qui à Londres ou à Madrid, en donnera l'image la plus vive et la plus poétique. Une danse violente de sexe et de passion, mais aussi une danse de l' immédiat, du moment réel contre l'éternité abstraite.
Jusqu'à la mort du peintre, elle restera son amie. Il y eut entre eux une proximité plus forte que l'union des corps.
Le peintre l'a vue, l'a peinte comme un voyant sait peindre. Le mouvement, l'ondulation, le jeu, la tragédie...
Le serpent qui frôle le sein sur la robe noire. Le serpent de Cléopâtre. Le serpent du temps qui glisse...
Jane Avril a fini par trouver l'homme de sa vie, le journaliste et dessinateur Maurice Blais qu'elle a suivi à Jouy en Josas pour y vivre 16 années plus paisibles...
Jane Avril par Maurice Blais
Quand il meurt, il la laisse sans un sou et Jane n'a même pas la ressource de vendre les dessins et les croquis que Toulouse Lautrec lui a offerts. Il y a longtemps déjà qu'elle en a fait cadeau à des amants de passage...
Sacha Guitry interviendra pour la faire entrer dans un hospice où elle passera les dix dernières années de sa vie.
Elle dansera une ultime fois, à 67 ans, invitée par Max Dearly.
Elle mourra huit ans plus tard et sera enterrée au Père Lachaise.
Sans doute eût-elle préféré Montmartre où elle rencontra son grand ami, Toulouse Lautrec, celui grâce à qui elle est vivante aujourd'hui....
Louise Weber est devenue une légende montmartroise et c'est grâce à Toulouse Lautrec qu'elle est aujourd'hui connue dans le monde entier.
Elle ne pouvait naître qu'en été (juillet 1866) dans une banlieue populaire (Clichy La Garenne).
Ses parents sont des Juifs alsaciens modestes qui ne se doutaient certes pas que leur fille poserait ainsi, les seins offerts aux regards avides de ses admirateurs.
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Elle passe à la postérité sous le nom de "La Goulue" que lui aurait valu sa propension à vider tous les verres qui se trouvaient sur son passage. Peut-être se souvint-on également, en la baptisant, qu'elle fut plus ou moins découverte par un dénommé Goulu-Chilapane qui l'accueillit dans son hôtel particulier de l'avenue du Bois.
Son corps sensuel, un peu provocant correspond au goût de l'époque qui appréciait la féminité généreuse.
La Goulue (à droite) et Casque d'or (à gauche)
C'est au Moulin Rouge qu'elle rencontre la gloire, après avoir dansé au Moulin de la Galette, à l'Elysée-Montmartre et au Jardin de Paris.
Il est difficile d'imaginer en voyant ces photos, avec quelle vitalité canaille elle danse le cancan. Elle en est le vedette et elle a toutes les audaces, interpellant les mâles quel que fût leur rang.
Elle n'hésite pas à lancer au prince de Galles, futur Edouard VII : "Hé Galles! Tu paies l'champagne! C'est toi qui régales ou c'est ta mère qui invite?"
Imaginez la meneuse de revue du Moulin-Rouge, lançant une telle question à notre président ?
La Goulue et Valentin le Désossé à l'Elysée-Montmartre
Valentin le désossé en fait son élève préférée. C'est avec elle qu'il danse le chahut. Toulouse Lautrec les représente tous les deux sur la célèbre afffiche du Moulin rouge.
Etonnante affiche d'une simplicité qui n'est qu'apparente. Valentin apparaît, silhouetté en gris au premier plan tandis qu'à l'arrière des ombres chinoises suggèrent tout un monde de noceurs, chapeaux hauts- de-forme et aigrettes, tournés vers la vedette, celle qui saute comme "une chèvre" et lève la jambe comme aucune autre, faisant tourbillonner ses jupons affolants.
Le regard est attiré vers ses cuisses, vers la corolle blanche qui accroche la lumière. En quelques traits Lautrec suggère le mouvement et l'audace.
La Goulue et Valentin
Le peintre reste l'ami de la Goulue bien après les triomphes.
Sur cette photo, ils sont côte à côte, comme un couple de bons vivants...
Elle est représentée sur cette litho, croquée de dos, silhouette nerveuse et coiffure portée comme un emblème, une plume d'apache!
La femme à ses côtés a parfois été prise pour sa soeur car elle l'accompagnait souvent. Il s'agit en réalité de la Môme Fromage, grande amie de la Goulue.
Au Moulin-Rouge ou la Promenade (La Goulue). 1892. Peinture sur carton
La goulue entrant au Moulin-Rouge. 1892. Huile sur carton.
C'est un des portraits les plus célèbres de la Goulue. Lautrec ne l'a pas flattée. Elle arrive en tenue provocante, les seins presque nus, le corps souple et cambré.
Elle est saisie à son insu, un sourire amer, un sourire qui tourne à la grimace et qui est empreint de lassitude sur un visage fatigué. Le corps joue toujours le jeu mais le visage tombe le masque. Le temps commence à gagner la partie...
Bientôt la goulue plaira moins. Elle se mettra à son compte et s'exhibera dans les foires foraines. Son ami peint pour elle les grands panneaux décoratifs exposés en façade de sa baraque.
La danse au Moulin rouge 1895
Pour attirer le passant, il rappelle le prestigieux passé de l'artiste. Il la représente au Moulin-Rouge avec Valentin le Désossé (Jane Avril apparaît à l'arrière-plan, avec son immense chapeau).
La danse mauresque, les Almées, 1895.
Le deuxième panneau est une annonce de son nouveau spectacle donné dans la baraque. On reconnaît au premier plan Jane Avril, Lautrec lui-même, blotti contre elle, le critique Félix Fénéon.
Quelques années plus tard, la Goulue endettée devra vendre ces panneaux qui seront découpés par un marchand cupide et stupide. Ce n'est qu'en 1929 qu'ils seront rachetés et restaurés par le Louvre. Ils sont aujourd'hui exposés au musée d'Orsay.
Les dernières année de La Goulue ressemblent à un roman tragique. Elle apprend à dompter les fauves qui l'agressent au cours d'un spectacle. Son mari, Joseph Nicolas Droxler, épousé en 1900, magicien de métier, ne parvient pas à s'escamoter devant les balles prussiennes et meurt à la guerre de 1914.
Le Petit Journal. La Goulue et son mari agressés par un puma le 24 janvier 1904
Son fils, né de père inconnu mais qu'elle prétend "prince"meurt à 27 ans.
La Goulue fait la parade à côté de son fils Simon...
Elle va vivre dans une roulotte à Saint-Ouen. Elle recueille sans rancune des animaux de cirque éclopés, des chiens et des chats qu'elle nourrit en se privant du nécessaire.
Elle retourne au Moulin-Rouge mais sans y entrer, sur le trottoir où elle vend des cacahuètes et des cigarettes.
Elle meurt à l'hôpital Lariboisière en janvier 1929 et elle est enterrée à Pantin. C'est en 1992 que ses restes sont transférés à quelques dizaines de mètres du Moulin-Rouge, au cimetière de Montmartre où sa tombe est toujours fleurie.
A en croire les nuages qui juponnent si souvent dans le ciel de Paris, La Goulue danse toujours le french-cancan avec les anges tandis que Lautrec, un verre d'absinthe (herbe sainte) dans une main et fusain dans l'autre crayonne sur le ciel blanc.