C'est le dernier dimanche avant le confinement que je suis allé au musée Cernushi, récemment réouvert.
Il faisait beau, les promeneurs passaient insouciants dans les allées du parc Monceau...
Deux figures d'éternité sont exposées dans une vitrine doucement éclairées sur un fond de nuit.
Deux masques funéraires dont l'or brille encore après neuf siècles de sommeil...
Ils appartenaient tous deux à la dynastie Khitan de Liao (907-1125) qui régnait sur la Mongolie et une partie de la Russie orientale. Ils étaient posés sur le visage du défunt momifié.
Masque funéraire de femme. (1100-1125)
Le 1er masque de femme nous rappelle que chez les Khitan, le rôle de la femme était beaucoup plus important que chez les Chinois Han.
Il est fait d'une plaque de bronze martelé doré à l'or fin. On peut remarquer des perforations sur les rebords. Elles permettaient de l'accrocher aux mailles métalliques du linceul.
Les oreilles portaient des boucles dont il ne reste que celle de l'oreille gauche. Elle représente un félin, symbole de force, de beauté et d'éternité!
La coiffe est un des éléments originaux de la culture Liao. Elle était, pense t-on un élément du costume des hauts fonctionnaires. La plupart du temps en tissu, elles ont disparu. Celle-ci est en bronze doré avec, de part et d'autre, des ailes verticales. La base est un rinceau décoré de phénix et de nuages, deux éléments habituels.
Le 2ème masque est celui d'un homme. Il est difficile d'attribuer un genre incontestable à bon nombre de ces visages funéraires.
Homme et femme se ressemblent, comme si la mort effaçait leurs différences. Parfois une fine moustache permet de discerner s'il s'agit d'un homme, mais ce n'est pas la règle.
La coiffe est en argent doré. Elle est formée de 24 panneaux ajourés assemblés par groupe de 3 sur une armature. Chaque panneau est orné d'un canard mandarin ou d'un phénix. Huit oiseaux se balançaient au bout de fils métalliques.
Une grande ceinture pouvait faire partie de la tenue funéraire. Typiques des populations de la steppe asiatique, elles étaient utilisées par les vivants avant de faire partie de la tenue funéraire.
Celle qui est exposée est ornée de plaques de bronze doré fixées sur le cuir.
La tête de la momie était posée sur un "oreiller" le plus souvent en bois qui pouvait être peint ou recouvert de tissu. Dans les plus riches sépultures il était recouvert de métal précieux et ciselé.
Ces masques Liao du musée Cernuschi sont aussi beaux que les beaux visages de Bouddha qui les entourent. Leurs paupières baissées, leur léger sourire sont une méditation.
Ils sont présents, entre deux mondes, entre le jour et la nuit, entre la vie et la mort.
16 mars. Jour d'insouciance. Le dernier avant le confinement.
18 mars. Constituer la réserve pour le spritz quotidien.
19 mars. Les libres nuages.
21 mars. Communication malgré tout. Du coucher au lever.
22 mars. Révision sur le zinc.
23 mars. Les fenêtres de la nuit.
24 mars. Lire au soleil.
25 mars. Le jardin déserté.
26 mars. Le temps du grand ménage.
27 mars. Un autre lecteur sur le toit. Rue Muller.
28 mars. Le turban mauve.
29 mars. Loulou confiné.
30 mars. L'arrosoir vert.
1er avril. Il nettoie toutes les vitres de l'immeuble!
2 avril. La place du Tertre désertée.
4 avril. Rue Androuet. Le décor du film interrompu "Adieu Monsieur Haffmann".
5 avril. Une confinée a pris la fuite. Rue Berthe.
6 avril. Dimanche. Oubli du confinement. Il y a foule sur la Butte.
7 avril. Les rues de nouveau désertes. Rue du Chevalier de La Barre. Rue Norvins.
8 avril Place Emile Goudeau (Bateau-Lavoir) sans un chat.
9 avril. Pause estivale place du Calvaire
10 avril. Rue de l'abreuvoir.
11 avril rue Muller
Solitude. Si loin si proche. Madame je vous envoie un baiser de ma fenêtre.
12 avril. Randonneur de Pâques. Rue Muller.
13 avril. On n'oublie pas les pigeons malgré le confinement. Rue du Chevalier de La Barre.
14 avril. Métro Pigalle à l'heure de pointe!
15 avril. Baiser d'un confiné. Rue Durantin.
Et nous repartons pour quatre semaines!
Les restaurateurs de la Place du Tertre ont fait installer la structure métallique de leurs terrasses! Comme si les touristes étaient sur le point de revenir!
Malgré des luttes de longue haleine, ils ont obtenu depuis trois ans la confiscation de la place à leur profit. Au moins cette année auraient-ils pu laisser l'espace libre pour que les Montmartrois confinés puissent retrouver un instant le charme de la vieille place du village!
On entend rarement la voix grave et profonde s'échapper du campanile pour faire voler au-dessus des toits un essaim de bronze.
C'est que la Savoyarde, de son vrai nom Françoise Marguerite, n'a pas le sens de la mesure. Trop grande, trop lourde… elle n'a pas trouvé de tour assez puissante pour la recevoir. On lui a donné pour refuge un campanile élégant, trop délicat pour résister sans fissure à un balancement trop fréquent de la dame qui elle même, nostalgique d'Annecy, a laissé une petite fêlure serpenter sur sa peau de métal.
Pensez! 26 tonnes ça n'est pas rien! Le double d'Emmanuel, le bourdon de Notre-Dame!
La Savoyarde!
Son histoire commence, comme il se doit, en Savoie quand l'archevêque de Chambéry lance une souscription, en 1889, pour offrir au Sacré-Coeur en construction une voix d'exception, une voix unique, capable de se faire entendre à des kilomètres.
Fonderie Paccard. Lieu de naissance de la Savoyarde.
Les donateurs ne manquent pas dans cette Savoie généreuse et bientôt le bourdon peut être coulé. C'est en 1891, bien que la date inscrite sur le bronze soit 1890. Pour faire une date ronde peut-être. ou plus simplement parce qu'il s'agit de la date de clôture des souscriptions.
Fonderie Paccard
Il faut attendre octobre 1895 pour prendre le chemin de Paris, quitter l'air pur et vivifiant d'Annecy. Quel voyage! Quelle aventure!
Tout commence par le pas balancé des bœufs qui suivent trois chevaux attelés de front. 12 paires de bœufs comme les 12 tribus d'Israël, comme les 12 cantons savoyards.
Arrivée à la gare d'Annecy, la cloche est déposée sur un wagon plat à charpente consolidée. Le train peut rouler à basse vitesse jusqu'à sa destination, la gare de la Chapelle dans le nord de Paris.
C'est le 15 octobre 1895 qu'elle y arrive, en pleine nuit. Un pont roulant à vapeur la soulève et la dépose sur le fardier géant de l'entreprise Magnin. 28 chevaux vont assurer la dernière partie du voyage, dans une ambiance onirique. Il fait nuit noire, les hommes portent des torches, les curieux s'assemblent et murmurent...
Le trajet semble interminable tant on craint l'accident sur les pavés trempés de pluie. On atteint la rue Lamarck, la plus pentue, celle où l'on frôle la catastrophe mais où les chevaux s'arrachent de toutes leurs forces et sauvent la situation.
Le Sacré-Coeur est en chantier. Le campanile est loin d'être achevé. Un échafaudage de bois a été dressé pour recevoir la cloche qui va devenir montmartroise.
Elle est baptisée le 21 novembre 1895 par Monseigneur Richard.
Elle reçoit la visite des pélerins, des curieux, des promeneurs du dimanche. Elle est une attraction pour les parisiens qui ont oublié (en 25 ans tout s'oublie!) qu'elle est posée, bien malgré elle, là où eurent lieu quelques uns des plus sanglants événements de la Commune.
Peut-être est-ce à cause de cela qu'elle fut agressée et sabotée en 1905, sans grand dégât.
Il faut attendre 1907 pour qu'elle soit enfin hissée dans son campanile, bien qu'inachevé.
Il faut huit hommes pour appuyer sur les pédales et pour se pendre aux cordages afin de la mettre en mouvement.
Elle devient la plus grosse cloche non statique au monde avec ses 26 tonnes...
Sous les jupes de la Savoyarde.
Dans son poids il faut compter le marteau qui a lui seul pèse 850 kgs!
En 1908 sera ajouté un marteau de tintement pour faciliter l'utilisation quotidienne de la cloche (aujourd'hui c'est un marteau électrique qui fait le boulot à chaque élévation. Un sacré boulot étant donnée la fréquence des offices!)
Notre savoyarde n'est pas restée seule dans son campanile blanc. De petites compagnes lui ont été données, droit venues de l'église Saint-Roch où elles n'avaient plus le droit de s'exprimer. Les quatre exilées ont pour nom : Félicité, Louise, Nicole et Elisabeth. Bien que petites elles sont beaucoup plus vieilles que leur imposante voisine. Elles ont l'âge de la Restauration.
… Et voilà! Notre Savoyarde ne bougera plus de Montmartre où elle attend sans hâte la fin du monde!
Elle a un petit pincement au cœur en pensant à Annecy. C'est ce qui a dû provoquer cette minuscule fissure qui lui interdit de trop se balancer.
Elle chante de son contre-ut inimitable aux grandes fêtes. Une exception a été faite en 2010 quand elle célébra les 150 ans du rattachement de la Savoie à la France.
Si vous voulez l'entendre, ne manquez pas de venir à Montmartre, à Pâques par exemple (mais en 2021, espérons-le)). Toute la Butte, peu assurée sur ses carrières de plâtre, tremble et vibre et chante avec elle pour saluer les cloches venues de Rome qui ne font que passer!
Restaurant La Savoyarde aujourd'hui disparu. (angle Lamarck Utrillo, jadis Muller)
1er mars. A la queue leu leu entre les tombes du cimetière de Montmartre.
1er mars. Entre averse et soleil, mars fidèle à lui-même. Rue Feutrier.
2 mars. L'ours blanc rêve de sa banquise perdue. Escalier Utrillo.
3 mars. Devant la chute d'Icare. Impasse Girardon
4 mars. Solitude de l'accordéoniste rue du Calvaire. Plus de Chinois à Montmartre!
5 mars. Il est où le soleil? Il est où?
6 mars. Le regard complice du peintre qui me connaît depuis le temps que je me balade dans le quartier!
7 mars. Le guitariste place du Calvaire
8 mars. Quatuor de renards (synthétiques) dans la square Louise michel.
9 mars. Y a plus confortable !
10 mars. Une suite de Bach dans la solitude du jardin déserté.
11 mars. Je ne fais que passer. Rue Muller.
12 mars. Photographiez-moi! Je vais voler!
13 mars. Blanc sur noir.
14 mars. Chanter entre deux averses.
15 mars. Tous les restaurants de Paris sont fermés! On peut encore casser la croûte dans le jardin!
16 mars (photo du 15)
Le dernier jour de soleil presque insouciant avant le Grand Confinement. Cette insouciance des Parisiens aurait provoqué la réaction du Gouvernement qui dès le lendemain annonce le confinement.
17 mars (photo du 15) Au bord du ciel.
18 mars. Fenêtre de confiné. Rue Muller.
19 mars. Un confiné sur les toits.
20 mars. Bugs Bunny confiné. Rue Feutrier
21 mars. Le ciel entre dans l'appartement où nous sommes confinés!
22 mars. Le jardin interdit où le printemps fleurit comme si de rien n'était.
23 mars. Soir de menace.
24 mars. Photo d'un autre temps, d'avant le confinement. (15 mars). Les amoureux sur les talus où étaient confinés les canons de la Commune.
26 mars. Quelques confinés de la rue Muller
27 mars. Le lecteur sur le toit.
28 mars. Petite sortie dans les rues désertées. Soleil rue des Trois Frères.
29 mars. L'escalier de la rue Paul Albert.
30 mars. Le cheval immobile. Photo prise en allant faire les courses de survie!
Le 31 mars. Ciel de cinéma sur la ville muette.
... Et nous repartons, immobiles pour de nouvelles semaines de confinement!
Voilà une artiste qui fut pendant sa vie une créatrice de premier plan.
Elle fut reconnue, décorée, admirée...
Le temps passant, l'histoire de l'art ne retenant que les peintres novateurs et le sommet brillant de l'iceberg, toute la partie immergée tombe dans l'oubli.
Ainsi en serait-il de Louise Abbéma, femme originale et peintre de talent, si elle n'avait rencontré Sarah Bernhard..
Elle est liée à notre quartier puisqu'elle a 14 ans quand sa famille après quelques années italiennes vient s'installer à Paris, 47 rue Laffitte.
C'est là que plus tard, de 1883 à 1907 elle aura son atelier.
Louise Abbéma dans son atelier.
Femmes turques se parant de bijoux (Louis Devédeux 1820-1874)
Elle est attirée par la peinture et elle prend des cours de dessin avec Louis Devédeux , ami de ses parents. Elle ne reste que quelques mois élève de ce peintre orientaliste qui est réquisitionné pour combattre les Prussiens en 1870.
Carolus duran (Louise Abbéma)
Elle aime alors aller au Louvre où elle reproduit les toiles qu'elle aime. C'est là qu'elle fait la connaissance de Carolus Duran. Elle est invitée à fréquenter l'atelier pour femmes qu'il dirige avec Henner.
La femme au gant (Carolus Duran). Le peintre a pris sa femme pour modèle
Elle reçoit une formation qui explique peut-être pourquoi elle est restée en dehors des grands courants artistiques de la deuxième moitié du XIXème siècle. Carolus Duran qu'on range (parfois à tort) parmi les peintres académiques lui apprend la spontanéité, l'inutilité des dessins préparatoires, l'importance du trait spontané et du travail sur la lumière. Le portrait de sa femme qui l'a rendu célèbre résume bien son art influencé par Manet qu'il admire.
Carolus Duran (Louise Abbéma)
Louise apprécie ce peintre dont elle fait des croquis, des portraits et qui restera un ami.
Son deuxième maître est Henner, lui aussi classé parmi les "académiques" alors qu'il est un des grands peintres de nus représentés dans des lumières oniriques.
Il aura son atelier place Pigalle.
Carolus Duran et Henner sont également des portraitistes et c'est dans cet art du portrait que Louise va exceller.
Elle peint plusieurs toiles qu'elle envoie année après année au salon, sans se lasser. elle n'est pas du genre à se décourager et elle choisit une devise qui lui ressemble : Je veux.
Jeanne Samary (Louise Abbéma)
Son fort caractère lui donne confiance en son talent et la persuade qu'elle n'a plus besoin de leçons lorsqu'elle envoie au Salon, en 1876 un tableau qui va changer sa destinée picturale!
Esquisse du portrait de 1876 disparu
Il s'agit d'un portrait de Sarah Bernhardt, aujourd'hui disparu, qui fait sensation et lui attire toutes les louanges
On peut parler d'une rencontre providentielle comme on en fait parfois et qui vous ouvre de nouvelles voies. Les deux femmes ont un fort caractère, un goût prononcé pour l'indépendance. Leur talent leur permet de n'avoir aucun complexe. Sarah apprécie cette nouvelle amie au point de faire d'elle, avec Clairin, son peintre officiel.
Sarah Bernhardt (Clairin)
Sarah Bernhardt est la diva absolue! Elle va ouvrir les portes du succès à Louise et attirer vers elle la haute société soucieuse d'être "dans l'air du temps" et d'exposer dans ses salons un portrait du peintre de Sarah Bernhardt!
La grande amitié entre les deux femmes s'avère solide au point que Sarah aime séjourner chez Louise, 11 boulevard de Clichy.
On pourrait les croire à l'opposé l'une de l'autre à en juger à l'exubérance vestimentaire, aux audaces de l'une et à l'aspect corseté et austère de l'autre.
Pourtant tous les témoignages montrent Louise comme une femme joyeuse, pleine d'humour et de goût de vivre, fort différente de son aspect extérieur.
Séverine la décrit comme "un abbé janséniste affublé en cotillons". Il y a des portraits plus sympathiques! Il s'explique peut-être par les convictions libertaires et féministes de Séverine. Louise Abbéma n'étant ni l'une ni l'autre!
"En art, la femme n'est nullement opprimée. Toutes celles qui ont quelque chose à dire l'ont dit."
"Je ne crois pas que la réussite ait été plus difficile à la femme qu'à l'homme."
Sarah Bernhardt (Louise Abbéma)
Sarah et Louise s'apprécient et se respectent. Sarah aime écouter Louise parler de peinture (d'autant plus qu'elle peint et sculpte elle-même) et Louise ne se lasse pas d'entendre Sarah raconter avec humour ses rencontres et ses succès.
Sarah Bernhardt (Alfred Stevens)
Elles fréquentent toutes deux, avenue Frochot, l'atelier d'Alfred Stevens, grand ami de Sarah dont les portraits d'élégantes connaissent un immense succès.
Le printemps. Panneau de Louise Abbéma.
Louise est sensible aux mouvements artistiques même si elle n'y adhère pas vraiment. On peut cependant lui accorder sa place dans l'Art Nouveau, avec ses panneaux décoratifs à entrelacs floraux… ses éventails peints… ses décors muraux.
Eventail de Louise Abbéma. Sarah Bernhardt dans un jardin japonais
Elle conçoit des affiches et des publicités qui sont plus proches de Mucha que de Toulouse Lautrec.
Peut-être son succès dans la haute société la rend-elle prudente devant les extraordinaires mutations que connaît l'avant-garde artistique. Elle a eu l'occasion de voir et d'admirer les Impressionnistes et de connaître Monet mais elle était trop bien intégrée dans sa réputation et son aisance pour se lancer avec eux dans une aventure où à l'évidence elle aurait eu sa place.
Quelques oeuvres d'elle nous permettent d'imaginer les chemins qu'elle aurait pu suivre.
Les mairies parisiennes dont les fresques murales sont un témoignage de cette époque où Paris était capitale artistique de l'Europe, ont fait appel à Louise Abbéma pour décorer quelques panneaux.
Il en est ainsi pour l'Hôtel de Ville, les mairies des 7ème, 10ème et 20ème arrondissements.
Elle décora également le théâtre Sarah Bernhardt, aujourd'hui Théâtre de la Ville, dont l'intérieur a été sauvagement détruit en 1966, vidé de ses ors et de ses pourpres pour devenir le Théâtre de la Ville, si mal conçu, si inconfortable qu'il a fallu entreprendre de le remanier en 2016 et fermer ses portes. On attend toujours sa réouverture!
La foire aux chevaux (Rosa bonheur)
Louise a été à la fin du XIXème et au début du XXème reconnue comme un grand homme! C'est à dire qu'on lui a décerné le titre de Chevalier de la Légion d'honneur en 1906!
Elle était alors la 2ème femme peintre (après Rosa Bonheur) à le recevoir.
Jeanne Samary (Louise Abbéma)
Aujourd'hui Louise Abbéma est un peu connue dans le milieu des spécialistes de l'histoire de l'art qui lui reconnaissent un grand talent.
Elle est capturée par des mouvements féministes et lesbiens qui en font une femme libre, volontaire, dégagée du patriarcat. En fait, elle était à l'aise dans la société et ne remettait pas en cause la domination masculine.
Son goût pour les femmes est assez courant dans son milieu. Il est possible que Sarah et elle aient été amantes avant de devenir les meilleures amies. Louise menait en ce domaine une vie discrète et ne cherchait pas un rôle de libératrice des mœurs. Je ne sais cependant s'il faut la croire lorsqu'elle écrit que sans sa passion pour la peinture elle se serait mariée et aurait eu des enfants.
(En annexe je cite le poème de Montesquiou qui lui est dédié et qui ne laisse aucun doute sur ses goûts).
Renée Delmas (Louise Abbéma)
Elle fut artiste, femme de caractère, indépendante et libre, peintre de grand talent, éclairée par la lumière de Sarah Bernhardt...
Le musée d'Etampes (ville de sa naissance) permet de la rencontrer, de la connaître et de ne pas oublier son nom....
La dame avec les fleurs (1883)
Louise Abbéma...
Un nom qui ne s'effacera pas tant que celui de Sarah fascinera. Louise lui doit sa survie artistique alors qu'elle est un témoin de son époque, de la classe privilégiée qu'elle peint sans audace mais avec sensibilité . C'est peut-être là sa signature la plus secrète : une tristesse, une solitude, une lassitude dans le regard de ses modèles, comme une blessure, une accusation qui n'osent s'exprimer avec plus de véhémence.
Annexe
Poème de Montesquiou dédié à Louise Abbéma, ici nommée Abîme.
Abîme
Non rien n'est absolu, disait un jour Catulle;
Le vice qui ,chez nous, saphique s'intitule
Et consiste à mettre Elle à la place de Lui,
A des soirs de relâche et des matins d'ennui
Qui souhaitent parfois de connaître autre chose
Que l'effort sans effet et que l'effet sans cause.
Sapho fut infidèle et Phaon le passeur,
Dont l'étreinte n'était pas celle d'une soeur,
La reprit à la douce Attys, à ses compagnes,
Qui s'en allaient à deux errer dans les campagnes.
Abîme qui depuis des ans a le renom
D'avoir une compagne au lieu d'un compagnon,
Abîme, je vous jure, amis, m'a pris la... main,
Et ce geste m'a fait, j'avoue, une peur bleue.
(On comprend cette peur chez un homme qui n'aimait que les hommes!)
Faut-il parler de clocher ou de campanile pour cette "tour" qui faillit ne pas jaillir dans le ciel de Montmartre?
Les deux mots sont parfois confondus mais la tradition veut qu'on appelle campanile une tour séparée de l'église (comme à Pise) et clocher celle qui fait partie architecturalement de l'édifice.
Au Sacré-Coeur, cette tour n'est pas séparée de la chapelle de la Vierge à laquelle elle s'adosse et pourtant elle paraît prendre ses distances, faire bande à part, opposer sa raideur phallique aux rondeurs sensuelles des coupoles blanches.
Appelons-la clocher-campanile! Bien que le mot campanile, plus léger, plus élégant lui convienne mieux!
Le clocher-campanile du Sacré-Coeur faillit ne jamais sortir de terre!
Après la mort de l'architecte de la basilique, Paul Abadie, il fut question de renoncer pour des raisons financières à élever cette tour qui aujourd'hui est une des belles réussites du monument.
Après des années de tergiversations, Lucien Magne qui est nommé après Rauline architecte en chef de la basilique, propose un nouveau projet, plus ambitieux que celui qui avait été prévu quand la coupole devait être moins élevée (Abadie 1874).
Le clocher-campanile doit tenir compte de cette surélévation et donc monter plus haut que la grande coupole de 83 mètres. Il atteindra donc, croix faitière comprise, 91 mètres.
La première pierre est posée en 1905.
A chaque angle de la loggia veille un ange aux ailes déployées (de 5 mètres de haut) porteur d'un livre de l'Evangile.
Angle Sud-Ouest, l'Evangile de St-Marc avec un lion à visage humain.
Angle Sud-Est l'Evangile de St-Luc avec le taureau
Angle nord-ouest l'Evangile de Matthieu avec un homme.
Angle nord-est l'Evangile de Jean avec l'aigle.
Jean est protégé des pluies qui nettoient la pierre De Souppes et lui permettent de rester blanche sans ravalement. En contrepartie, comme le chevet de l'église, il noircit avec la pollution. Côté sud la façade immaculée, côté nord la basilique encrassée!
Les quatre anges ont été sculptés par Jean Dampt (1854-1945) considéré comme un des représentants talentueux de l'Art Nouveau.
Le chat (Dampt)
Son "Chevalier Raymond et la fée Mélusine" serait selon Verhaeren une oeuvre qui marque une date.
Le chevalier Raymond et la fée Mélusine
Il a bénéficié du mécénat de la comtesse Martine de Béhague qu'il représente dans sa sculpture "la Réflexion".
Il a par ailleurs créé des meubles et des bijoux qu'on peut voir aujourd'hui au musée d'Orsay.
Au-dessus des anges, quatre figures ailées reprenant le symbole des évangélistes ont été sculptées, faisant la transition entre la partie carrée du campanile et la tour ronde qui le coiffe.
Le lion pour Saint-Marc...
L'aigle pour Saint-Jean...
L'oiseau à tête d'homme
L'homme pour Saint-Matthieu...
Le taureau pour Saint-Luc...
Ces quatre animaux fantastiques aux ailes d'aigle sont dus à Henri Bouchard (1875-1960).
Un sculpteur qu'on a un peu "oublié" après la guerre à cause de son appartenance au groupe Collaboration (Othon Friesz, Paul Belmondo...) et à son voyage avec d'autres artistes à Berlin sur invitation allemande.
Il fut plus perméable que le marbre qu'il sculptait à la propagande nazie et revint enthousiaste en France avec la nostalgie de "la vie presque féérique que le gouvernement du IIIème Reich sait faire à ses artistes qui semblent être là les enfants chéris de la nation."
Malgré cet aspect peu sympathique du personnage, essayons d'être objectif et rendons justice à son grand talent, notamment dans ses sculptures très représentatives de l'Art Déco.
A Paris on peut voir, entre autres, son Apollon Musagète du Palais de Chaillot...
La façade de Saint-Pierre de Chaillot et son monument "aux héros inconnus du Panthéon.
Et maintenant il serait temps de parler de celle pour qui le clocher-campanile a été élevé, la Savoyarde!
Mais elle viendra sonner à vos oreilles dans le prochain article!
C'est une simple pierre grise entre deux allées étroites du cimetière, dans la partie jadis réservée aux Juifs.
Il s'agissait déjà de les mettre à part, séparés des autres morts.
Déjà.
La pierre est gravée de noms de haut en bas. Chaque nom, chaque vie sur une ligne ou deux.
Je m'approche, je me penche
Je découvre une tragédie semblable à tant d'autres, mais unique, avec des victimes uniques, chacune ayant le goût de vivre et d'aimer. Une famille entière décimée sur plusieurs générations. Une douleur, un cri muet.
Elles ne manquent pas dans le cimetière de Montmartre ces tombes vides avec parfois une photo, une seconde volée à la mort, un rien, un sourire, un regard...
Le premier nom de la liste gravée sur le marbre est celui de Henry Klotz né le 22 septembre 1866 à Paris. Chef d'escadron, officier de la Légion d'Honneur, Croix de Guerre 1914-1918.
Il est presque impotent, il a du mal à marcher quand on frappe violemment à sa porte en juillet 44. Ce sont des policiers français, de cette France qu'il aime et qu'il a servie au péril de sa vie qui le saisissent et à cause de sa faiblesse l'emmènent à l'hôpital-annexe de Drancy. Il a 77 ans. Il est laissé sans soins, sans attentions, seul.
Pas longtemps.
Il ne souhaite pas lutter pour survivre après ces années où son pays l'a traité comme un étranger, un parasite, un nuisible. Il meurt en août 1944, échappant ainsi au convoi 77 (encore ce chiffre qui correspond à son âge) qui l'aurait emmené à Auschwitz où il aurait été conduit à la chambre à gaz comme tant de membres de sa famille.
Le deuxième nom est celui de son fils François.
C'est celui d'un héros français.
Contrairement à tous ceux qui attendaient que "ça se passe" et laissaient les lois de Vichy meurtrir et défigurer le pays, il fut résistant de la première heure, arrêté en 1942 au Maroc, soumis à la torture qui l'aurait conduit à la mort sans le débarquement allié...
Il s'engage dans les Forces Françaises Libres où il est Chef de groupe. Les circonstances de sa mort sont floues. Il est parachuté dans la nuit du 27 au 28 juin dans le Gard, avec des conteneurs d'armes. Est-il tombé dans un piège, a t-il été torturé et tué par la Gestapo, a t-il avalé la pilule de cyanure qu'il avait toujours avec lui ou bien fait-il partie des morts du charnier de Signes? Son corps n'a jamais été retrouvé. Comme ne sera pas retrouvé celui de ses soeurs...
Le troisième nom est celui de Lucienne, l'aînée des six enfants. Elle est née en 1899 et a eu d'un premier mariage deux enfants, Gilbert et Edith.
C'est son second mari qui pour les préserver passe en zone libre avec eux tandis que Lucienne, soucieuse de l'état de santé de son père reste à Paris. elle a pris contact avec un résistant pour obtenir de faux papiers. Le résistant s'avérera être un de ces salauds, le côté noir de l'âme humaine, qui dénoncera Lucienne et sa famille. C'est cette confiance trahie qui explique toutes ces arrestations, alors qu'Aloys Brunner qui sent approcher la fin du nazisme se déchaîne et s'exaspère pour obtenir le nom d'un maximum de Juifs. Elle est arrêtée le 12 juillet 1944, internée à Drancy, emmenée par le convoi 77 à Auschwitz où malgré son âge et son bon état physique elle est aussitôt emmenée à la chambre à gaz. Sans doute pour protéger le traître.
De gauche à droite :
Anne-Marie et Lucienne penchée contre elle. Assis sur un tabouret, Antoine. Denise sur les genoux de Flore Hayem, leur mère.
Le quatrième nom est celui de Denise, née en 1905.
Elle n'hésita pas une seconde pour s'engager et entrer dans la résistance sous le nom de Madame Denis.
De gauche à droite : Lucienne, Antoine, Anne-Marie, Denise les mains sur les hanches, les deux petits frères, François et Philippe.
Elle est arrêtée le 12 juillet 1944 comme sa soeur Lucienne et son oncle Georges. Elle est internée à Drancy. Elle est jetée dans le convoi 77 le 31 juillet. J'imagine son arrivée, exténuée, angoissée, sur le quai où les Nazis l'attendent avec leurs chiens. Ces bergers allemands qu'elle aimait pour leur intelligence et leur fidélité.
Denise à 17 ans avec le berger allemand de la famille.
Elle contracte le typhus peu de temps après son arrivée et meurt sans doute en décembre 1944 alors que Paris a été libéré trois mois plus tôt.
Vient ensuite le nom de Georges, frère de Henry et oncle de Denise et Lucienne. Il a été arrêté le 11 juillet et il a retrouvé ses nièces à Drancy. Il a 76 ans. Ce soldat de la France, Croix de Guerre, est dès son arrivée à Auschwitz conduit à la chambre à gaz.
Viennent ensuite les noms du beau-frère de Henry arrêté avec sa fille. Maurice Sergine a été dans sa jeunesse un auteur de comédies qui eurent un certain succès comme Le Greluchon ou L'enjôleuse qui fut jouée en 1910 au théâtre Femina sur les Champs Elysées.
Les derniers noms sur le marbre sont ceux des cousins de Henry, Fernand et Louise Ochsé et de son neveu André Hayem.
Fernand Ochsé est un créateur admiré et aimé. Proust parle de son "règne". Homme raffiné, il est considéré comme un dandy, apprécié pour son élégance et son esprit. Il participe à l'effervescence du début du XXème siècle en concevant des décors, en créant des costumes pour le théâtre ou le cinéma. Au conservatoire de musique il est ami de Ravel et de Reynaldo Hahn. C'est là qu'il rencontre Honegger qui s'attachera à lui au point de lui dédier deux de ses œuvres. En 1940 Fernand et sa femme Louise ont fui Paris. C'est à Cannes qu'ils sont arrêtés pendant ce terrible juillet 1944. Internés à Drancy, ils retrouvent Lucienne, Denise et Georges. Honegger averti tente en vain de les sauver.
Sa femme Louise Mayer Ochsé est artiste elle aussi. Elle est sculptrice. On peut voir au musée de Saint-Germain son "masque de Debussy".
Ils partent par le convoi 77. On ne sait s'ils meurent pendant le voyage ou s'ils sont conduits à la chambre à gaz dès leur arrivée.
L'élégance et la légèreté des compositions que Fernand Ochsé nous laisse, ses Odelettes sur les poèmes de Henri de Régnier, son Parc sur ceux de Verlaine, sont impuissantes à mettre un peu de bleu sur le ciel noir d'Auschwitz.
André Hayem, le dernier de la liste, suit de peu son frère cadet emmené à Auschwitz par le convoi 73. Son père Emile est mort en héros de France en 1914 dans une charge de cavalerie.
Le temps a passé depuis le nazisme et la collaboration.
Le silence, l'indifférence ont souvent remplacé l'indignation et la révolte.
Restent des noms qui s'effacent peu à peu sur des pierres…
Sarah Bernhardt avait un tigre, couleur noir et or...
Il montait la garde dans son hôtel particulier et impressionnait les visiteurs...
La diva avait une passion pour les fauves et les félins, à la manière de son époque où rares étaient ceux qui se préoccupaient de la souffrance animale. N'est pas Louise Michel qui veut!
Elle posséda, à certaines périodes de sa vie, une arche de Noé composée de caméléons, de singes, de pumas, de crocodiles.
Animaux dont elle se défaisait dès qu'ils devenaient encombrants.
Elle acheta même à Mr Cross un lionceau qu'elle exposa dans une cage dans son hôtel. Au bout d'une semaine la puanteur était telle que le lionceau fut renvoyé à son vendeur.
Et son tigre?
Eh bien il entra chez elle et y resta des années malgré sa belle taille : 88 cm de haut, 1 m35 de long.
Son âge exact, nul ne le sait vraiment. Il a vu le jour entre le début du XVIIIème siècle et la première moitié du XIXème, au Japon, pendant l'époque Edo.
Il a été acheté par Siegfried Bing, célèbre vendeur d'art japonais qui participa à la mode japonisante dans la création française. Sarah en fit l'acquisition dans son magasin de la rue Chauchat "Fantaisies Japonaises" où il était exposé et faisait l'admiration de tous les amateurs.
Il lui en coûta 6000 francs, environ 25000 euros!
Il est exceptionnel et mérite bien ce prix! De laque et d'or, il semble avoir été surpris et, queue dressée, se mettre en position d'attaque, les yeux (de verre) exorbités.
Réaliste et fantastique à la fois, il impressionne et fascine….
La patte avant droite porte une encoche qui laisse penser que manque une partie de la sculpture. Peut-être une proie maintenue au sol...
Il se sentait bien chez Sarah, ne dérangeait personne, n'avait d'odeur que celle de l'encens qu'on faisait brûler devant lui...
Bref, il jouait son rôle décoratif à merveille jusqu'au jour où...
Nous sommes en 1895, Sarah joue dans une pièce de Victorien Sardou, "Théodora". Elle connaît toujours le succès mais ses dépenses folles menacent son équilibre financier.
Il faut trouver au plus vite de quoi apaiser les créanciers dont la meute ne recule pas devant la gueule menaçante du tigre.
Si l'on en croit Edmond de Goncourt, elle écrit à Cernuschi pour lui proposer d'acquérir l'animal :
" Je suis pauvre comme mon aïeul Job. Voulez-vous m'acheter 3000 francs un tigre que j'ai payé 6000 francs chez Bing? … Mais j'ai besoin d'argent tout de suite… Je m'adresse à vous, parce que mon tigre est superbe et japonais."
Et voilà comment , bradé à la moitié de sa valeur, le magnifique félin rejoint la collection Cernuschi.
Il y est à l'honneur mais il garde quelque chose du prestige de son ancienne maîtresse car dans sa vitrine, son curriculum vitae rappelle qu'il fut "LE TIGRE DE SARAH BERNHARDT".
Si vous voulez des couleurs et de la vie dans ces jours gris où rôde covid-19 à l'affût de ses proies, alors montez vite au sommet de la Butte, là où l'air est plus léger et où le musée de Montmartre accueille un des peintres les plus novateurs, les plus humanistes du XXème siècle.
Composition (1935)
Je devrais dire de la première moitié du siècle car le 4 mars 1943, le convoi 50 parti de Drancy, l'a emmené loin de France, en Pologne, à Sobibor où il a été assassiné dès son arrivée le 9 mars.
Les Signes
C'est en juillet 1878 que vient au monde, dans une famille protestante d'origine juive Otto Freundlich.
La ville natale de Freundlich, Stolp (aujourd'hui Slupsk en Pologne) après bombardements de 1945.
La ville prussienne où il est né se trouve aujourd'hui en Pologne. Dans ce même pays où il sera assassiné par les Allemands. Dès le début de sa vie plane l'ombre de la mort car sa mère meurt une année après sa naissance.
Freundlich et Kandinsky à Paris
Il entreprend des études à Berlin mais c'est à Munich qu'il rencontre deux hommes qui vont avoir une importance dans sa vie d'artiste : Kandinsky et Klee. Il a déjà commencé à peindre et à sculpter quand il vient à Paris où il va trouver son véritable chemin.
Le Bateau-Lavoir en 1907
Il loue un atelier au Bateau-Lavoir, place Emile Goudeau où vit et crée depuis quatre ans Picasso. avec qui il sympathise. C'est là qu'il rencontre Max Jacob, Braque, Uhde...
"Il fut immédiatement accueilli au sein du groupe d'artistes qui habitaient les lieux… La douceur rêveuse, extatique même de son visage, attestait chez lui une générosité native et une tendresse qui nous séduisirent tous." (Maurice Raynal)
En mars 1911, il quitte le Bateau-Lavoir pour s'installer non loin de là, 55 rue des Abbesses. Il peint alors de grandes toiles qui manifestent son évolution vers l'abstraction et non vers le cubisme qui avec Braque influençait de nombreux artistes. C'est dans cet atelier qu'il peint sa première œuvre abstraite : Composition (1911) aujourd'hui au Musée d'Art Moderne de Paris.
Son séjour montmartrois est capital. Montmartre est le lieu de sa mutation et de sa réflexion décisive :
"J'ai débuté en peinture, indépendamment de toute école, en utilisant des surfaces colorées, claires et purement constructives, sans éléments naturalistes ou impressionnistes, et je suis resté fidèle à cette technique depuis 1908."
Femme allongée (vitrail 1924)
En 1914, il fait un séjour à Chartres dans l'atelier de restauration des vitraux dans la tour nord de la cathédrale. C'est un moment essentiel pour lui. Il trouve dans l'art du vitrail, outre la spiritualité, l'architecture de Cézanne et les couleurs de Van Gogh.
Composition (vitrail 1919)
"J'ai été pendant cinq mois prisonnier du monde à Chartres et j'en suis ressorti marqué pour toujours."
Composition (vitrail 1934)
De retour en Allemagne ses convictions socialistes et pacifistes après la boucherie de la guerre le conduisent à adhérer au dadaïsme allemand, plus engagé que le dadaïsme français. Il connaît alors Rosa Luxembourg et Walter Benjamin.
Otto Freundlich par Otto Dix (1923)
En 1925 il revient en France où il choisit de vivre.
Composition (1924)
Il tente d'obtenir la nationalité française avec le soutien de Braque. Mais sa demande est refusée. Si elle avait été acceptée sans doute lui aurait-elle permis d'échapper à son arrestation sur exigence des Nazis qui voulait "récupérer" leurs ressortissants exilés, Juifs ou non. (conformément au traité de 1938).
Il refera sa demande, dans l'urgence, avec sa compagne, en 1940 : …"Que nous puissions acquérir au plus tôt la nationalité française à laquelle nous tenons tous les deux de tout notre cœur".
Montmartre est passé de mode et ce n'est plus sur notre Butte que vit Otto Freundlich.
Il fonde une académie "le Mur" dans son atelier de la rue Henri-Barbusse dans le quartier latin.
Composition (1939)
1937 est une année terrible en Allemagne où est organisée l'exposition de l'Art Dégénéré.
C'est une sculpture de Freundlich qui illustre la page de couverture du catalogue tandis que ses œuvres sont décrochées des musées allemand pour être détruites.
"De telles œuvres, louées par les Juifs comme étant de l'art, ont été détruites dans le troisième Reich." (Volkischer Beobachter, 26 février 1938)
Hommage aux peuples de couleur
En 1938, une exposition est organisée pour ses 60 ans à la galerie Bucher-Mirbor. De nombreux artistes dont Picasso, Arp, Braque, Derain, Ernst, Gropius, Léger, les Delaunay émus par la pauvreté de Freundlich, signent une pétition pour que soient acquises par les musées des œuvres de l'artiste. "L'hommage aux peuples de couleur" entre à cette occasion dans les collections du Musée du jeu de Paume (aujourd'hui Centre Pompidou).
Composition (1933)
En 1939, après sa participation à l'exposition des Réalités Nouvelles organisée par les Delaunay, commence le chemin de croix de Freundlich, l'homme de la fraternité et de l'humanité.
Il est arrêté, interné de camp en camp avant d'être libéré et de fuir Paris avec Jeanne Kosnick-Kloss, la femme avec qui il partage ses convictions, ses couleurs, ses jours.
Composition (1939)
Ils se réfugient tous deux dans les Pyrénées orientales, à St-Paul de Fenouillet, tout en multipliant les démarches pour obtenir sans succès d'émigrer aux Etats-Unis.
C'est la période où il tente, comme un combat contre l'oubli, contre la haine et le vandalisme, de repeindre de mémoire certaines œuvres détruites dans les bûchers nazis.
Composition avec trois figures (1911, recréé en 1941)
Il continue d'avoir foi en l'avenir fraternel. Ses compositions savamment composées font vibrer la lumière en juxtaposant des formes et des couleurs. Ses toiles sont comme des vitraux dans une église où la lumière transfigurée toucherait les hommes. Il y a une telle harmonie, un tel bonheur dans ces toiles peintes dans une période d'angoisse que tout spectateur est touché sans ressentir le besoin de chercher un sens, une explication à l'œuvre qu'il regarde.
La rosace (1941)
Pour plus de sécurité, le couple change de village et se réfugie à St-Martin de Fenouillet dans une famille de paysans. Le répit est de courte durée. Il est dénoncé par un de ces délateurs anonymes qui ne manquent jamais pendant les guerres.
Séparé de Jeanne, il est interné au camp de Gurs.
Il dicte à une infirmière de la Croix Rouge une lettre pour Jeanne :
"Ma chérie je t'embrasse avant de quitter cet endroit et j'espère que Dieu nous réunira bientôt, mais dans le cas d'un accident je te dis tous les remerciements et mon amour fidèle. Toutes mes œuvres de peinture et de sculpture restées à l'atelier de Paris t'appartiendront et je te prie de continuer ton travail d'artiste avec courage et confiance en Dieu.
Toujours ton Otto"
Atelier d'Otto Freundlich et Jeanne rue Henri-Barbusse
Emmené à Drancy, il part pour la Pologne où il est assassiné dès son arrivée à Sobibor.
Avant de prendre le train de la SNCF, il rédige un dernier billet pour Jeanne :
"Mon cœur le plus chéri, je peux encore t'envoyer un adieu avant le départ du train. Je t'embrasse avec tout mon amour, que le ciel te protège et te donne de la force. Je t'aime et suis toujours auprès de toi. Ton Otto."
Composition inachevée (1940)
Une toile est restée inachevée dans son atelier. Des pièces noires semblent prendre possession de la partie inférieure sans enlever au puzzle en formation sa force de vie et de vibration.
Mausolée de Sobibor
A Sobibor un mausolée a été édifié, fait de sable mêlé aux cendres des crématoires. Des cendres peut-être de celui qui mettait de la couleur sur l'avenir et qui nous laisse des oeuvres de lumière comme ce dernier vitrail.