Polaire (1874-1939) n'est pas vraiment montmartroise mais elle a été peinte ou croquée par des artistes de la Butte … notamment le plus montmartrois d'entre eux, Toulouse Lautrec.
… Et il était impossible qu'elle ne passe pas dans les cabarets montmartrois où les débutants et débutantes ne manquaient pas de tenter leur chance.
Edmond bouchaud dit Dufleuve
Elle quitte son Algérie natale alors qu'elle n'a que 16 ans pour rejoindre son frère Edmond Bouchaud qui faisait carrière au café concert sous le nom de Dufleuve.
Ce frère qui prit soin de faire connaître sa sœur aux directeurs de salle qu'il connaissait et qui s'illustra en écrivant des chansons pour Dranem, Fréhel, Polin, Maurice Chevalier… (Fréhel puis Gainsbourg reprendront l'une d'entre elle : la Coco).
La tradition la fait débuter à l'Européen alors que selon toute vraisemblance c'est à Montmartre, à la Cigale qu'elle fit ses premières armes.
Elle en parle dans ses mémoires : "Je me revois achetant une chanson à un sou, ignorant ce qu'était une orchestration et débutant le cœur angoissé sur les planches de la Cigale, six mois après j'étais lancée."
Elle était lancée! elle avait séduit par sa présence nerveuse, sa manière expressionniste de bouger et par sa taille incroyablement fine, sa taille de guêpe qu'aucune élégante de la Belle Epoque malgré les corsets les plus contraignants n'égala jamais!
Elle détient d'ailleurs le record Guiness de la taille la plus fine (titre partagé avec la britannique Ethel Granger) de 33 cm!
Dans ses mémoires, elle dit comment, pour s'amuser, des messieurs pouvaient entourer sa taille de leur faux col!
Après quelques mois à la Cigale, le succès aidant, c'est à l'Européen qu'elle est engagée dans un autre music-hall montmartrois proche de la place de Clichy.
Cette salle où a débuté Fragson se spécialisera dans les opérettes et notamment celle qui aura un succès immense (et disproportionné) Phi-Phi.
C'est alors qu'elle éprouve la nécessité de se trouver un nom d'artiste, Emilie Bouchaud n'ayant rien d'exotique ni d'accrocheur. Il ne m'étonnerait pas que ce fût sur la Butte d'où l'on contemple le plus beau ciel de Paris, qu'elle ait eu l'envie, devant les étoiles qui éclairaient la nuit, de choisir le nom de l'une d'elle, la plus brillante de la constellation de la Petite Ourse, l'Etoile Polaire.
Choix judicieux et poétique s'il en est, feu et glace à la fois!
Ce nom va vite devenir célèbre et attirer la foule à la Scala. Polaire est ce que l'on appelle alors une "gommeuse épileptique", mélange de femme aguicheuse et de danseuse expressionniste aux gestes saccadés. "Je fis tout de suite des gestes exaspérés. Projetant ma tête en arrière, je chantais avec mes cheveux battant au vent, avec mes narines frémissantes, avec mes poings crispés."
Polaire vue par Léandre
Plus tard Polaire sera sévère avec ce début de carrière qu'elle jugera vulgaire et composé de chansons médiocres et à double sens "des idioties, des pornographies".
En 1895 Le Rire publie le célèbre dessin de Toulouse Lautrec qui, reconnaissons-le, ne rend pas justice à son charme juvénile mais saisit plutôt une attitude et une ambiance.
On ne comptera plus le nombre de dessinateurs et caricaturistes qui la prendront pour sujet, surtout quand, devenue actrice, elle recevra des louanges quasi générales de la critique dans le rôle de Claudine que Willy lui a confié en 1905. Colette écrira : "Elle comprenait ce qui était nuance, finesse, arrière pensée, et le traduisait à merveille."
Ici s'enracine une rumeur tenace.
Il y aurait eu une liaison amoureuse et passionnée entre Colette et Polaire. La rumeur est née d'une confidence de l'écrivaine à une de ses amies, disant qu'elle aurait aimé coucher avec Polaire.
Rien n'atteste que ce voeu soit devenu réalité. Polaire n'a jamais montré de goût pour le lesbianisme. Au contraire, elle avait un jugement définitif et plutôt moral sur la question : "Tant de légendes ont pu s'échafauder sur moi, alors que je n'ai jamais pu comprendre les mœurs anormales".
Et c'est sans empathie qu'elle joua le rôle d'un travesti au théâtre dans "Le P'tit Jeune Homme"
Ce qui ne fait pas d'elle une homophobe. Elle appréciait au contraire ses amis homosexuels et notamment Jean Lorrain, le plus célèbre d'entre eux dont elle dira dans ses mémoires : "Grâce à lui tout prenait intérêt, les plus humbles détails s'enrichissaient de poésie"
Un autre passage mémorable de Polaire à Montmartre a pour cadre le plus célèbre des music-halls, le Moulin Rouge. Colette elle-même s'y'était produite en 1907 dans "Rêve d'Egypte". Elle dansait avec son amie Missy et les deux femmes provoquèrent un scandale en s'embrassant interminablement et langoureusement au dernier tableau.
C'est deux ans plus tard, en 1909, que Polaire est engagée à son tour au Moulin Rouge pour jouer dans la pièce "Ma gosse" d'Yves Mirande et Henri Caen.
Dans la même soirée, elle interprétait "La danse noire" dans la tradition épileptique qu'elle avait illustrée à ses débuts. Pendant cette "danse de barrière violente, tragique et passionnée", elle se blessa au bras sans interrompre cependant son numéro.
Elle aura encore un lien avec Montmartre en 1910 en jouant dans la pièce homonyme de Pierre Frondaie au Théâtre du Vaudeville.
Mais c'est surtout sur les boulevards qu'elle se produira, un peu loin de la Butte qui se dessine au loin avec sa basilique qui s'achève enfin.
Elle fut aussi actrice de cinéma et tourna dans une vingtaine de films dont 5 de Maurice Tourneur.
Pour ma part j'ai une tendresse particulière pour elle qui figure sur un tableau peint par Marcel Matho et qui pendant des années fut accroché dans l'atelier du "roi des photographes" de la Butte, François Gabriel.
Ce tableau n'a pas quitté Montmartre. Il m'a été confié par la petite fille du photographe. Polaire, rieuse et mutine, y est pour longtemps un éclat de soleil venu de la Belle Epoque.
Il existe un site dédié à Polaire où j'ai puisé des informations. Je ne peux que vous le conseiller si cette artiste vous intéresse :