L'exposition du musée de Montmartre "Fernande Olivier et Picasso" (jusqu'au 19 février) présente les illustrations faites par Van Dongen pour illustrer le livre de son ami de bohème Roland Dorgelès "Au beau temps de la Butte".
Dorgelès parle du peintre dans son ouvrage : "Un grand fauve qui n'est pas gâté par le sort. Deux bouches à nourrir: sa femme et sa fille, or ses scènes de bal et ses fêtes foraines aux couleurs flamboyantes effraient les amateurs et rebutent les marchands."
Dans son Prélude, l'écrivain, de retour sur la Butte après la 2ème guerre, rencontre une jolie femme qui lui rappelle celle qu'il a connue au Lapin Agile une trentaine d'années plus tôt. Il est "interdit" quand il l'entend le saluer par son nom.
"-Comment! vous me connaissez?
-Oh non! Mais maman vous connaît très bien.
Une dame parut. Elle avait les cheveux gris... C'était elle ma jeunesse, et non la blonde aux cheveux dorés."
La tonalité du livre est résumée par ce prélude. Dorgelès part à la recherche d'un Montmartre qu'il a aimé lorsqu'il était jeune. Un Montmartre qu'il ne retrouvera pas, pas plus que sa jeunesse !
Le Lapin Agile a changé lui aussi et survit grâce à sa réputation. En 1949 quand Dorgelès publie son livre, Frédé vit dans la garenne céleste où l'âne Lolo continue de peindre des couchers de soleil. Dorgelès se rappelle Frédé "courbé sur sa guitare, murmurant les Stances de Ronsard ou lançant à pleine gorge "la vigne au vin" que les braillards reprennent au refrain".
Van Dongen restitue l'image d'un Montmartre-village avec sa laiterie sur la place du Tertre.
Plus de lait, plus de vaches, plus de village aujourd'hui.... Pas même une boulangerie! La dernière, place Jean-Baptiste Clément, a été remplacée il y a une quinzaine d'années par un bazar de souvenirs made in China.
Voilà une des lithos les plus intéressantes de Van Dongen qui en réalité pense à son Montmartre plus qu'à celui dont parle Dorgelès avec ses trop personnelles histoires. Il se représente de dos, devant le couple mythique que formaient Picasso et Fernande Olivier. Sur le trottoir passent deux autres personnages éminents de cette époque : Apollinaire et Max Jacob... La plus belle figure est celle de Fernande Olivier que Van Dongen respectait plus que ne le faisait Picasso. Dorgelès l'évoque : "sa radieuse compagne aux longs yeux d'odalisque".
Pas de Montmartre sans vache enragée! Le fameux défilé carnavalesque organisé par les artistes défraya la chronique.
La vache enragée (Lautrec)
La vache n'eut pas de veaux et le défilé n'eut que deux éditions mais il marqua les esprits et la fameuse vache devint à l'instar du chat noir, une des icônes de la Butte.
Hommage à celui qui régnait, capitaine du Bateau-Lavoir, sur la bande qui l'entourait et l'admirait...
Deux lithos représentent Max Jacob, le plus aimé, le plus doux des poètes et des amis. Van Dongen l'a bien connu et Dorgelès parle de lui longuement dans son livre.
"Serein, lumineux, nimbé d'or, le voilà le Patron des bohèmes! Max Jacob, Max de la Butte, Max le visionnaire, Max du Sacré-Cœur (...) un tendre sourire aux lèvres et des étoiles au fond des yeux."
Dorgelès va jusqu'à imaginer qu'un jour l'église fera de lui "le bienheureux Max de Drancy!"
Il se trompait! L'amour trop sensuel de Max Jacob pour le Christ avait de quoi rebuter les croyants vertueux (!). Il écrit en effet, s'adressant au Christ décloué de sa croix : "J'aime sentir ton corps dans mes bras. ton ventre dur lui aussi. Dieu jeune homme plus que charmant, plus que séduisant, plus que génial (...) Corps de mon cœur, cœur de mon corps, reviens que je t'aime encore."
(...)"Van Dongen m'a représenté près de lui au marché ambulant de la rue des Abbesses."
Ici le peintre illustre un moment d'amitié avec Dorgelès, au temps de leur jeunesse et de leurs balades dans le quartier. Grande liberté du peintre dans le choix de ses lithos et je me demande parfois s'il a vraiment lu le bouquin de son ami ou s'il a préféré simplement évoquer le Montmartre de ses propres souvenirs.
Allusion à des peintres dont Dorgelès parle à peine mais qui étaient proches de Van Dongen et du fauvisme.
Les chanteurs des rues comme Montmartre les accueillait et comme il les accueille toujours.
Utrillo est appelé ironiquement "Litrillo" par Dorgelès qui parle de lui comme d'un possédé de l'alcool. Il évoque le temps où pour le prix d'un repas il aurait pu acheter ses toiles, mais il avait préféré inviter une belle à dîner et sans doute prolonger un peu plus la soirée.
Dorgelès écrit de nombreuses pages sur le quartier latin et sur celui de Montparnasse. Il a vu comment peu à peu Montmartre s'embourgeoisait et cessait d'attirer les peintres.
Modigliani et Picasso
Modigliani qui habite rue Caulaincourt où il est ami de la bande à Picasso, notamment de Van Dongen et d'Utrillo, doit quitter Montmartre quand les promoteurs détruisent les vieux quartiers populaires du maquis.
Evidemment le fameux Moulin de la Galette est évoqué. Celui, le vrai, qui était alors remonté à l'angle des rues Lepic et Girardon et celui, rue Lepic, devenu jumeau par le nom alors qu'il s'appelle en réalité le Blute fin
Salmon et Mac Orlan faisaient partie de la même bande d'amis qui fréquentaient le Lapin agile. Salmon habite un temps au Bateau Lavoir et publie son premier recueil avant Max Jacob et Apollinaire. Si l'on veut connaître le Montmartre de la bohème, le livre de Salmon "La négresse du Sacré-Cœur" nous apportera plus d'informations que celui de Dorgelès écrit après la guerre.
Le mythique Bateau Lavoir fait partie des illustrations. Seule sa façade est représentée et non les couloirs et les coursives misérables où furent peintes quelques-unes des toiles les plus célèbres du monde!
Poulbot ne pouvait manquer à l'appel., "le grand Francisque Poulbot, patron des gosses".
"Comme dans Louise", allusion à l'opéra de Gustave Charpentier qui connut un immense succès populaire.
Le compositeur qui habitait sur le boulevard de Rochechouart s'inspirait du petit peuple de son quartier : Louise une jeune couturière et Julien un peintre bohème qui se donnaient rendez-vous sur les hauteurs de la Butte.
La dernière litho de Van Dongen n'est pas la plus originale.
Elle représente l'impasse Girardon où Gen Paul avait son atelier.
Les lithos de Van Dongen ne sont sans doute pas le meilleur de son œuvre. elles témoignent avant tout de son amitié pour Roland Dorgelès, une amitié nouée pendant les années de bohème et toujours vivace après la 2ème guerre, alors que l'écrivain est devenu célèbre depuis ses "Croix de bois" et le peintre avec ses toiles vendues dans les plus prestigieuses galeries.
La vache enragée fait désormais partie de leur passé et appartient au folklore du Montmartre de leur jeunesse, du beau temps de la Butte.