Nous reprenons notre ascension de la rue Blanche où nous nous étions arrêtés au 25, devant l'église protestante allemande.
Où s'élève aujourd'hui le 27 a vécu un peintre oublié, Achille Gratien Gallier (1814-1871).
L'immeuble de 1910 qui a remplacé l'hôtel où vivait Gratien mort en 1871.
Il fait partie de ces peintres paysagistes très appréciés au milieu du XIXème siècle dont les paysages (surtout italiens) étaient à la mode. Il paraît banal aujourd'hui bien que Corot paraît-il l'eût admiré.
Vue de la campagne romaine
Les 24-28 sont l'adresse des pompiers! Ils accueillent le 1er groupement d'incendie et de secours de la 7ème compagnie.
La partie la plus ancienne a servi d'hôpital à la maison militaire de Louis XVIII puis d'école pour les musiques de la garnison de Paris sous Louis-Philippe avant d'être intégrée à l'ensemble construit entre 1901 et 1907 par l'architecte Louis Sauffroy.
Il s'agit d'ailleurs du dernier ouvrage de Louis Sauffroy (1847-1907). Parmi ses réalisations les plus spectaculaires, citons le Grand Hôtel de Saint-Lunaire et le Castel Sauffroy qui est aujourd'hui le siège de la mairie..
Le 43 rue Blanche est connu des fans de Berlioz bien qu'il n'y ait jamais vécu.
Il utilisa pour lui-même cette adresse postale mais c'est surtout là qu'en 1844 vint vivre Harriet Smithson alors que son mari après l'avoir quittée s'était installée avec Marie Recio rue de Provence. Harriet y vivra pendant 4 ans avant de déménager au 65 rue Blanche puis rue Saint-Vincent où elle mourra non loin de la maison où elle avait vécu avec Berlioz et où son fils était né.
Aujourd'hui une même adresse réunit au cimetière de Montmartre, un peu plus haut, Berlioz et les deux femmes de sa vie.
Toujours au 43 a vécu en 1836 Paul Gavarni, dessinateur, illustrateur qui reste très lié au quartier (il habita rue Fontaine et rue Saint-Lazare).
Il a immortalisé les petits métiers de Paris et a donné l'image la plus connue des lorettes et des grisettes. Le monument de la place Saint-Georges lui rend hommage.
Avant la construction du 44, immeuble assez banal, il y avait à cet emplacement un hôtel particulier où vivait Jean-François Boursault dont le nom de comédien était Boursault-Malherbe (nom choisi pour l'admiration qu'il portait au poète).
Jean-François Boursault (1750-1842) fut un révolutionnaire prudent mais surtout un homme de théâtre passionné.
Charles-Philippe Ronsin (1751-1794)
Il fit construire à paris en 1791 près de la rue Quincampoix le théâtre Molière où il monta les pièces révolutionnaires de Ronsin, général de division de la Révolution et auteur dramatique. Ses pièces cessent d'être jouées et le théâtre est fermé le jour où il est guillotiné, accusé à tort de complot militaire. En 1795 (an IV) Boursault reprend la salle qu'il nomme "théâtre des Variétés nationales et étrangères" et y monte des pièces de son auteur favori Shakespeare.
Ce personnage étonnant était passionné d'horticulture et fit installer des serres sur des terrains alors campagnards qui allaient jusqu'au Pigalle actuel. Il introduisit de nouvelles fleurs en France et fut le créateur de la rose "Boursault" qui existe encore aujourd'hui, contrairement à la Rose de son poète, préféré : "Et Rose elle a vécu ce que vivent les roses, l'espace d'un matin"
Alberte de Rubempré peinte par Delacroix en Catherine d'Alexandrie
Pour l'anecdote, notons qu'une de ses filles, d'une grande beauté, Alberte Alexandrine, mariée à 17 ans à Marie Emile Cozette de Rubempré, malheureuse dans son couple, fut la maîtresse de Stendhal à qui elle inspira quelques aspects du personnage de Mathilde de la Mole dans "Le Rouge et le Noir". Elle avait fort bon goût puisqu'elle fut également la maîtresse de Mérimée, Delacroix et Rossini!
Au 45 vécut Pierre Humbert (1848-1919) un des plus importants architectes parisiens qui contribua à la transformation de Paris. On ne compte plus ses réalisations parisiennes, hôtels particuliers, immeubles, notamment dans le XVIème arrondissement. Un Montmartrois ne manquera pas de retenir qu'il fut l'auteur du 58 rue Caulaincourt où vécut Steinlen et qu'il créa l'élégant square de Montmartre (aujourd'hui Kriegel-Valrimont).
J'ai une sympathie particulière pour le 124 avenue Victor Hugo, élevé à l'emplacement d'un hôtel où vécut l'écrivain représenté au-dessus de l'entrée.
Au 47 (à son emplacement plus exactement) a vécu Manuel Francisco de Barros e Sousa (1791-1856),homme politique portugais qui fut ministre d'Etat et ministre des Affaires étrangères.
Jugé trop modéré il s'exila à Paris où il se consacra aux études historiques qu'il aimait. Il fut à l'origine du terme de "cartographie".
Carte de l'Atlas de Barros e Sousa
Le 49 a perdu la mémoire. Il s'est transformé en un passage qui conduit à une résidence Alzheimer! "Les parentèles de la rue Blanche".
Les notes de piano qui s'y élevaient ont disparu elles aussi. C'est pourtant un des plus grands pianistes français qui y vécut : Louis Diémer (1849_1919). Il se produisit dans de nombreux pays et il redécouvrit le répertoire du clavecin.
Il eut pour élèves au Conservatoire, à la fin du XIXème siècle, entre autres, Robert Casadesus, Alfred Cortot, Georges Enesco, Marcel Dupré.
Il fut aussi compositeur apprécié. Il repose aujourd'hui au cimetière de Montmartre où son buste semble humer le ciel et entendre venues des nuages, des notes légères de clavecin.
Le 51 est un immeuble protégé, typique de l'architecture de la Restauration avec sa cour en U et son portail fermé orné de vasques.
Le 54 est plus récent, construit dans la deuxième moitié du XIXème et adresse aujourd'hui d'un restaurant.
Il y eut à cet endroit une institution-pension pour jeunes-filles dont l'une des directrices fut Euphémie Vauthier, autrice, journaliste, enseignante qui marque une date dans l'histoire toujours à approfondir des femmes.
Elle dirige avec trois de ses soeurs l'institution du 54 rue Blanche tout en ne cessant d'écrire. Sa rencontre avec Lamartine l'impressionne et l'encourage. C'est lui qui écrira la préface de son roman "Léonie" (1860) après l'avoir incitée à se lancer : "Mademoiselle il faut tout quitter pour écrire".
Féministe, elle milite dans plusieurs associations comme celle du "Droit des femmes". Son nom restera célèbre car il est celui de la première femme à avoir été poursuivie pour un délit commis par voie de presse.
Louis Rossel
En effet, engagée dans la défense des victimes de la Commune, elle écrit un article après l'exécution de Louis Rossel, colonel qui a rejoint la Commune et après l'écrasement a refusé l'exil que lui proposait Thiers soucieux de ne pas en faire un martyr. Il fut fusillé à 27 ans :
"Ils croient l'avoir tué et à jamais ils le font vivre" écrit Euphémie.
Lors de son procès en cour d'assises, elle est soutenue par Victor Hugo. Elle sera acquittée et restera dans l'histoire!
C'est toujours au 54 que Firmin Gémier mourut en 1933. Cet acteur marqué par les théories d'Antoine fut un de ces hommes qui œuvra pour un vrai théâtre populaire. Il est d'ailleurs le créateur du TNP (Théâtre National Populaire) en 1920.
Notons qu'il fut, comme Malraux le sera pour Jean Moulin l'organisateur du transfert de Jean Jaurès au Panthéon.
Le fils qu'il eut avec Mary Marquet, mourut au camp de Buchenwald en 1943.
Le 70 fut le domicile (1er étage) de la baronne Copens, de son vrai nom Stéphanie Marie Arnoult de Joyeuse. Elle fut une adversaire active du coup d'Etat du Prince Président en 1851 et elle réunit dans son appartement de la rue Blanche, le 2 décembre, une soixantaine d'opposants dont Victor Hugo, Arago, Edgar Quinet...
C'est aussi à cette adresse que vécut, après son exil, le patriote vénitien Daniele Manin (1804-1857) qui lutta contre les Autrichiens et fut chef de la République de Saint-Marc. Il mourra à Paris sans avoir vu se créer l'unité italienne pour laquelle il s'était engagé corps et âme. Une statue lui rend hommage à Venise.
Une rue de Paris, près des Buttes Chaumont, le rappelle à notre mémoire.
Au 72 a vécu presque toute sa vie Jules Garcin (1830-1896) violoniste, chef d'orchestre et compositeur. Il déménagea quelques années avant sa mort pour la rue Victor Massé voisine.
Il fut élève de maîtres célèbres comme Adolphe Adam et Ambroise Thomas. Premier prix de violon, il rejoignit l'orchestre de l'Opéra de paris où il fut ensuite chef d'orchestre.
Il est enterré au cimetière de Montmartre.
Toujours au 72 nous rencontrons un auteur dramatique, vaudevilliste à succès, bien oublié aujourd'hui : Paul Barré (1854-1910).
Il a écrit des livrets d'opérettes, des pièces qu'on pourrait appeler "de boulevard" dans lesquelles il aimait laisser libre cours à sa verve gauloise. Ce qui le rend un peu plus actuel, c'est le titre de sa première pièce, en 1877, "Les Gilets Jaunes"!
La façade du 75 porte une plaque, fait rarissime dans cette rue qui a pourtant abrité de nombreuses célébrités.
Cette plaque prend une valeur particulière car il est impossible de se recueillir sur la tombe d'une belle actrice qui a voulu donner son corps à la science et dont les cendres ont été dispersées dans la fosse commune du cimetière de Thiais.
Entrée à la Comédie Française, elle y a passé l'essentiel de sa vie professionnelle. Quand en 1966, elle la quitte c'est pour être professeur au Conservatoire et former de jeunes comédiens parmi lesquels Daniel Auteuil, Patrick Chesnais, Nicole Garcia, Sabine Azéma, Francis Huster...
Dans la Marseillaise de Renoir
Elle a connu une brillante carrière cinématographique sous la direction de quelques uns des grands cinéastes français (Renoir, Tourneur, Cayatte, René Clair).
Dans le Capitan de Hunebelle
Au 77 Edgar Degas eut un atelier de 1873 à 1876, une de ses nombreuses adresses à Montmartre. Ces années correspondent à une intense créativité du peintre.
Le 78, classé, est un des beaux immeubles de la rue. Il s'agit d'un hôtel particulier construit dans la deuxième moitié du XIXème siècle dans le style néo Renaissance par l'architecte Théodore Ballu, pour lui-même.
L'architecte qui est grand connaisseur de l'histoire de l'architecture et des styles, a laissé de nombreux témoignages à Paris de son talent et de son éclectisme.
Le "etc" de la plaque aurait pu être précisé par l'église Saint Ambroise, l'église Saint-Joseph, le beffroi de la mairie du Ier arrondissement entre Saint-Germain l'Auxerrois et la mairie construite par Hittorf, la restauration de la tour Saint-Jacques....
Une rue qui commence rue Blanche porte son nom
Voilà que nous arrivons à la fin de cette rue qui avait tant à nous raconter. Un dernier numéro, le 96, aura droit à notre attention. C'est en effet dans cet immeuble qu'André Antoine, si présent à Montmartre, loua en 1887 un atelier. C'est l'année où il crée au 37 de la rue Antoine actuelle "le Théâtre Libre".
Et maintenant nous sommes sur la place Blanche qui, elle aussi, a bien des souvenirs à nous raconter pendant que le Moulin Rouge laisse entendre à l'ombre de ses ailes immobiles le frou frou des dentelles qui affolèrent les noctambules!
Camoin
Liens :
Rue Blanche 1ère partie (de la Trinité au 25)
Liste des rues de Montmartre visitées sue ce blog
Bassin de la Trinité