En septembre j'ai retrouvé Louise Michel à Rochefort où le musée de la Vieille Paroisse présente une expo sur le bagne et les insurgés de la Commune.
Musée de la Vieille Paroisse
Comme beaucoup je voue une admiration sans limite à celle que Victor Hugo appelait sa chère fille et qui est toujours vivante à Montmartre où le square qui porte son nom escalade la Butte à deux pas de chez moi.
Le square Louise Michel
Rappelons qu'elle est arrêtée après son dernier combat sur la barricade de la Chaussée de Clignancourt à la fin de la Semaine Sanglante. Le 16 décembre 1871, elle est mise en jugement par le 6ème Conseil de guerre de Versailles. Elle refuse d'être défendue : "Si vous me laissez vivre, je ne cesserai de crier vengeance".
Le conseil de guerre à Versailles
Elle est condamnée à l'unanimité à la déportation et transférée à la prison d'Auberive, ancienne abbaye où sont regroupées les femmes. Elle y retrouve Nathalie Le Mel, figure majeure de la Commune.
Cloître de l'abbaye d'Auberive
20 mois plus tard, elle est transférée en voiture cellulaire à La Rochelle.
Elle fait partie d'un double convoi de 24 femmes qui arriveront à la maison d'arrêt de La Rochelle, rue du Palais, les 6 et 7 août, après plus de 17 heures de voyage.
Dans la maison d'arrêt, rue du Palais, elle reste pendant deux jours. Sur les 24 femmes convoyées, 20 sont jugées aptes au long voyage pour la Nouvelle Calédonie. 13 sont condamnée à la déportation simple, 7 dont Louise Michel à la déportation en enceinte fortifiée.
La quasi-totalité de ces femmes viennent de Paris où elles exerçaient de petits métiers, blanchisseuses, lingères, relieuses, coiffeuses et, pour Louise Michel, institutrice. Six sont célibataires et l'une d'elles, Lucie Boisselin, épouse Leblanc, âgée de 29 ans est incarcérée avec son garçon de 6 ans et sa fille de 6 mois née en prison. Son mari Auguste Leblanc fait partie du voyage.
Les 20 femmes, ainsi que 149 condamnés dont Henri Rochefort embarquent sur la Comète pour atteindre l'île D'Aix où mouille la frégate la Virginie qui doit les emmener jusqu'à Nouméa. Avant de monter à bord, elles reçoivent leur tenue pénale : une longue robe de bure et un fichu de coton.
La Virginie est un bâtiment de 52,8 m de long et 13,4 de large. Elle a été construite à Rochefort en 1827 et baptisée "Niobé". Elle change de nom en 1839 pour devenir la Virginie. Elle participe à la guerre de Crimée en 1854 avant d'être utilisée plus tard pour le transport des condamnés.
La frégate appareille le 10 août 1873 sous l'autorité du Commandant Launay. Elle doit parcourir 30 000 km en quatre mois.
Grâce aux souvenirs de Louise Michel, nous pouvons suivre ce long périple. Les conditions de vie sont difficiles. Un espace grillagé est réservé aux femmes qui dorment dans des hamacs.
Une heure par jour, par souci d'hygiène, elles montent sur le pont. Il est à noter que le médecin major Perlié est soucieux de la santé des condamnées. Il n'y aura aucun décès pendant la traversée et contrairement à ce qu'il advint pendant d'autres transports, le scorbut est évité. Ce qui n'empêche pas Henri Rochefort d'être malade, pris de vomissements et de diarrhées pendant tout le voyage!
Henri Rochefort
Louise Michel passe plus de temps à s'occuper des autres qu'à penser à elle-même.
Elle assiste notamment Nathalie Lemel qui souffre du mal de mer.
Une anecdote est révélatrice : le Commandant Launay voyant Louise Michel pieds nus sur le pont transformé en patinoire par la glace décide de lui donner des chaussons. Il sait qu'elle n'acceptera rien venant de lui. Il demande alors à Rochefort de les lui donner en prétendant que sa fille les avait mis dans son paquetage mais qu'ils étaient trop petits pour lui. Louise Michel les accepte. Le 3ème jour ils se retrouvent aux pieds d'une autre déportée qu'elle avait jugée plus faible et plus fatiguée qu'elle.
Maquette de La Virginie
Elle ne se plaint pas et n'intervient que pour aider les autres et les défendre comme elle le fera bientôt pour les Canaques.
Un autre aspect de sa personnalité et de sa force apparaît dans ses mémoires. Plutôt que de se morfondre et s'enfermer dans la peine et le regret, elle prête attention aux oiseaux de mer, aux rivages aperçus, aux vents et aux vagues. elle s'émerveille, elle dessine.
Elle écrit à la date du 16 août : "Le soleil fait mille facettes sur les lames; deux rivières de diamants semblent glisser sur les flancs du navire."
A l'approche du Cap de Bonne Espérance : "La haute mer au Cap fut pour moi un ravissement (...) Nous vîmes la mer polaire au sud où, dans une nuit profonde, la neige tombait sur le pont."
Quand le 8 décembre la Virginie arrive en rade de Nouméa, Louise Michel qui n'a cessé d'écrire des poèmes qu'elle veut envoyer à Victor Hugo avec qui elle correspond, écrit : "Je me reprochais vraiment de trouver le voyage si beau."
les sept condamnées à la déportation en enceinte fortifiée sont débarquées à la presqu'île Ducos où rien n'est préparé pour les recevoir. L'aumônier des déportés réussit à convaincre l'administration de les transférer à Bourail où les conditions sont plus favorables pour des femmes. Louise Michel refuse : "On cherche comme toujours à faire un sort à part aux femmes. si les nôtres sont plus malheureux à la presqu'île Ducos, nous voulons être avec eux."
Elle y reste donc, fidèle à elle-même et dans le baraquement réservé aux femmes, elle recueille des animaux blessés ou affamés, chiens, chats, chevreaux. Pour elle la manière de traiter les animaux est liée à la manière dont on conçoit la société : "Plus l'homme est féroce avec la bête, plus il est rampant devant les hommes qui le dominent."
La grande aventure calédonienne de Louise Michel commence.... Elle fait l'apprentissage de la langue, se passionne pour la culture et obtient une baraque pour faire l'école aux Canaques. Jamais désespérée, jamais défaitiste, elle agit comme elle pense, avec son cœur.
Film "Louise Michel le rebelle" avec Sandrine Testud. (Solweig Anspach)
J'aime cette femme éprise de justice et d'idéal. Elle devrait reposer au Panthéon, dans la ville qu'elle aima et pour qui elle lutta.
La belle exposition de Rochefort m'a donné l'occasion de penser à elle, loin de Montmartre où elle est si présente. Merci aux organisateurs et à Hervé Porcher auteur d'un numéro de "Roccafortis" dédié à Louise Michel qui m'a fourni de précieux renseignements.
Avant de retrouver Louise Michel dans un prochain article sur ses années de bagne, voici quelques mots qu'elle écrivit et qui sont plus d'actualité que jamais :
"Chacun cherche sa route; nous cherchons la nôtre et nous pensons que le jour où le règne de la liberté et de l'égalité sera arrivé, le genre humain sera heureux."
Louise Michel en Nouvelle Calédonie
Liens vers un article consacré à Louise Michel dans ce blog :
Artistes, personnalités, personnages historiques de Montmartre