Après Gainsbourg et Xenakis, c'est encore la musique qui est à l'honneur dans la rue Chaptal.
En effet, c'est au 17 que vécut un violoniste qui fut considéré comme un des plus virtuoses de son époque.
Il s'agit du Belge Henri Vieuxtemps (1820-1881). Interprète prodige, il fut comme Mozart, exhibé dès l'âge de 6 ans dans des concerts où la bonne société venait applaudir un phénomène.
Sa virtuosité qui le fit comparer à Paganini, lui fut préjudiciable, comme à ce dernier, car on oublia que le musicien fut aussi un compositeur, ami de Schuman, admiré de Berlioz.
Après une attaque qui le laissa en partie paralysé, il passa les dernières années de sa vie à Paris.
L'immeuble est inscrit sur le plan de protection patrimoniale. Sa façade dissimule un hôtel particulier dont les jardins donnent sur la rue Henner.
Nous y rencontrons une poétesse qui fut aimée de Charles Cros et qui y tenait un salon littéraire, un des plus brillants de Paris.
Il s'agit de Nina de Callias (1843-1884). Elle serait sans doute oubliée aujourd'hui si Manet ne l'avait peinte. Elle est la célèbre "Dame aux éventails" aujourd'hui au musée d'Orsay.
Elle eut pour amant le poète Charles Cros à qui elle inspira quelques poèmes de son recueil "Le coffret de Santal"....
..."L'odeur de tes cheveux, la blancheur de tes dents,
Tes souples soubresauts et tes soupirs grondants,
Tes baisers inquiets de lionne joueuse
M'ont, à la fois, donné la peur et le désir
De voir finir, après l'éblouissant plaisir,
Par l'éternelle mort, la nuit tumultueuse."
Au 20 s'ouvre la cité Chaptal où habitait Fréhel l'année où elle offrit un verre à l'écolier Gainsbourg rencontré à la sortie de l'école. La voie est étroite et éclairée par la façade peinte en jaune de l'International Visual Théâtre, créé en 1976 et installé depuis 2004 au 7 cité Chaptal.
C'est un haut lieu de culture et de rencontres dédié au langage des signes et au spectacle. Il est dirigé par Emmanuelle Laborit, la bouleversante interprète des "Enfants du Silence".
Ce théâtre à l'abri du tumulte et qui laisse libre cours à l'énergie créatrice abrita une des salles les plus tapageuses et les plus sanglantes de Paris : Le Grand Guignol ... qui donna son nom à un genre de spectacle arrosé à l'hémoglobine
C'est en 1897 qu'il ouvrit ses portes grinçantes... dans une chapelle qui avait été transformée en atelier par le peintre Rochegrosse.
Les auteurs des pièces qui y sont jouées sont souvent des écrivains de grand talent comme Jean Lorrain ou Courteline. A la fin du siècle, pour attirer un plus grand public, la mise en scène macabre prend le dessus sur le texte. L'auteur le plus prolifique est alors André de Lorde surnommé "le prince de l'épouvante".
Les sujets de prédilection sont les rapports entre soignants et malades, dans des asiles psychiatriques.
Dans les années 30, le cinéma d'horreur concurrence le Grand Guignol qui bat de l'aile et il faut attendre l'après guerre pour que de nouveaux auteurs comme Frédéric Dard lui redonne un peu de sang frais!
Mais ce ne sera pas suffisant et malgré quelques réussites et la prestation d'acteurs talentueux comme Roger Hanin ou Judith Magre, le théâtre ferme ses portes en 1963....
Nous avons vu que le Grand Guignol s'était installé dans l'atelier de Rochegrosse, un peintre qu'il convient de mentionner maintenant...
Rochegrosse (1859-1938) commença sa carrière de peintre en réalisant des scènes historiques avant de rejoindre le symbolisme...
Il tomba amoureux de l'Algérie où il rencontra sa femme et où il vécut juqu'à sa mort après avoir quitté la rue Chaptal. Sa dernière période le classe alors parmi les peintres orientalistes.
Parmi les immeubles de la Cité, le 4 bis actuel mérite notre attention. C'est un bel hôtel de la première moitié du XIXème siècle qui donne une idée de ce qu'était la rue lors de sa création, quand le quartier se targuait d'être "la Nouvelle Athènes" et qu'il était loti d'hôtels particuliers et de jardins.
Au 21, le linteau garde mémoire d'un laboratoire pharmaceutique comme il y en avait de nombreux à Paris. Des pharmaciens-Tournesol mettaient au point des remèdes qu'ils commercialisaient.
Scientia connut de nombreux succès avec des médicaments contre la décalcification, d'autres à base d'huile de foie de morue (oh l'horrible souvenir!) et d'autres enfin survitaminés... Il ne ferma ses portes qu'au milieu du XXème siècle et seul le linteau parle encore de lui...
Le 22 abrite une galerie d'art de renom : "La Nouvelle Athènes". L'architecte de l'immeuble est Emile Hennequet, assez théâtral dans son style post haussmannien. Nous l'avons déjà rencontré avenue Trudaine où il signa dans la pierre plusieurs numéros.
Bien différent des hôtels de la Nouvelle Athènes, le 24 est un bel exemple de l'architecture du début du XXème siècle, avec ses larges baies, sa pierre blonde et ses décorations inventives, fleurs, visages, bouc....
Il est dû à l'architecte Henri Petit (1856-1926) que nous avons déjà rencontré au début de la rue. Nous avons vu qu'il était, lui aussi, amoureux de l'Algérie où il conçut de nombreux bâtiments dans le style qu'on a qualifié de "mauresque". Une de ses réussites est la Grande Poste d'Alger.
Le 26 est un bel immeuble qui comme beaucoup d'autres dans le quartier s'est édifié sur les jardins d'un hôtel particulier (hôtel de Serigny) plus ancien que ceux de l'époque romantique puisqu'il date de 1780.
Il a été remanié, restructuré au XIXème. La plupart de ses décors et de ses stucs ont été ratiboisés. Seul subsiste celui du grand salon, somptueux, avec ses quatre saisons peintes par Claude Bourgonnier.
Claude Bourgonnier (1860-1921) qui étudia avec Cabanel et Millet fut influencé d'abord par l'impressionnisme avant de préférer le symbolisme décoratif de se consacrer essentiellement à la peinture de fresques dans des hôtels particuliers et des bâtiments publics.
Aujourd'hui l'hôtel est un lieu de calme et de culture puisqu'il abrite la bibliothèque Chaptal.
Les habitants du 26 aiment leur refuge et y entretiennent amoureusement les plates bandes...
Le 27 est encore un immeuble qui a été construit sur les jardins, à la fin du XIXème siècle. Son architecte, Eugène Blanchet a fait graver son nom sur la façade.
Le 32 n'a pas l'honneur d'exister entre le 30 et le 34 où il s'est perdu! C'était une pension connue sous le nom d'Institution Landry dont on se rappelle le nom pour la seule raison qu'elle eut pendant neuf ans un illustre pensionnaire : Paul Verlaine.
Ses parents habitaient alors rue Truffaut (28).
Le poète parlera de son école dans "Mes prisons" :
"Une grille monumentale sur une cour pavée, menait au réfectoire de la pension."
"Tout cela a disparu pour faire place, bien entendu, à de belles maisons de rapport."
"C'était là qu'il y a trop longtemps, je commençais mes études après avoir achevé d'apprendre à lire, à écrire, à compter (mal), dans la petite classe élémentaire."
C'est à Montmartre, rue Nicolet qu'il vivra, jeune adulte, avec sa femme Mathilde et son fils Georges.
Mais c'est une autre histoire.... soudain illuminée et bouleversée par une météorite nommée Rimbaud.
Nous arrivons rue Blanche et passons devant un café qui rend hommage par un jeu de mot au vin boisson des dieux....
Alors, non loin de la vigne de Montmartre, comment ne pas citer quelques vers du poème "Vendanges" de Verlaine?
"Frère du sang de la vigne rose,
Frère du vin de la veine noire,
O vin, O sang, c'est l'apothéose!
Chantez, pleurez, chassez la mémoire
Et chassez l'âme et jusqu'aux ténèbres
Magnétisez nos pauvres vertèbres."