Paco Durrio (le Guitariste, Gauguin)
Encore un grand artiste à redécouvrir, au moins ici, à Montmartre où il a vécu mais certes pas au pays basque, à Bilbao où le musée lui a consacré en 2013 une exposition-rétrospective
Il s'agit de Paco Durrio, de son vrai nom Francisco Durrio de Madron (1868-1940). Son nom est d'origine française, le "Durrieu" de ses grands-parents ayant été hispanisé.
C'est à Bilbao qu'il a fait ses études (il a eu comme condisciple dans sa classe Miguel de Unamuno) avant de travailler à Madrid où il étudie son art avec le sculpteur Justo Gandarias.
Sapho (Gandarias)
En 1888, il a vingt ans et il décide, comme beaucoup d'artistes espagnols, de se rendre à Paris.
Il y rencontre Gauguin avec qui il lie une véritable amitié. Gauguin réalise un beau portrait de son ami alors qu'il partage avec lui le même atelier rue Campagne Première.
Durrio sera un de ses grands admirateurs et il contribuera à le faire connaître et apprécier.
En 1892, il vient vivre à Montmartre où il retrouve ses amis, les peintres Zuloaga et Uranga.
Zuloaga, considéré en Espagne comme un des plus grands peintres de la fin du XIXème, est hélas amateur de boucheries tauromachiques et une bonne partie de son œuvre est consacrée aux toreros et non aux danseuses de cancan...
C'est la période où Durrio s'intéresse à la création de bijoux. Ses œuvres sont des sculptures symbolistes qui allient l'argent et les pierres semi précieuses. Il crée un monde étrange, en partie inspiré par Gauguin où le mythe et la sensualité se mêlent.
"Cléopâtre embrasse le serpent" (musée d'Orsay)
Boucle de ceinture.
Bague (or et émail)
Il expose ses bijoux en 1896 et rencontre un vif succès. Il trouvera sa vraie consécration en 1925 lors de l'exposition internationale des Arts Décoratifs à Paris.
Il travaille pendant trois ans au Bateau-Lavoir, recevant les Catalans de Paris, Picasso, Juan Gris, Gargallo et les Basques, Uranga, Iturrino, Etchevarria...
Les soirées sont mémorables dans ces baraques de bric et de broc où Picasso occupe un atelier exigu...
Quand en 1904, Durrio quitte le Bateau-Lavoir, Picasso loue l'atelier un peu plus grand de son ami. Les deux hommes resteront proches et dans les années 1910, ils collaboreront à la création de bijoux et de céramiques.
Pièce réalisée par Picasso dans l'atelier de Paco Durrio: "Femme agenouillée se coiffant" 1906
Paco Durrio. Vase anthropomorphe. Grès émaillé. (Musée d'Orsay)
La production de Paco Durrio est appréciée des critiques et de ceux qui la découvrent comme Apollinaire ou Morice (théoricien du symbolisme, ami de Gauguin qui lui confie la réécriture de ses manuscrits tahitiens).
Paco Durrio. Tête. Grès émaillé.
Durrio avait appris la technique de la céramique, comme Gauguin, dans l'atelier d'Ernest Chaplet, un des maîtres céramistes du XIXème siècle, réinventeur, entre autres du fameux rouge "sang de bœuf" apparu en Chine au XIIIème siècle.
Cet art de la céramique, Paco Durrio le posséde au point d'en devenir un des créateurs les plus novateurs. C'est ce qui lui permet de donner des leçons à Picasso.
Paco Durrio. Jardinière. Terre cuite.
Paco Durrio. Tête d'homme. "Le jour ni l'heure"
Pot anthropomorphe.
Quand il quitte le Bateau-Lavoir, il s'installe deux ans place Constantin Pecqueur (ainsi nommée en 1899 pour remplacer la place de l'Abreuvoir).
Les petites maisons côté impair ont été démolies lors du lotissement de l'avenue Junot. Un gros immeuble élevé en 1910 occupe aujourd'hui l'emplacement de l'habitation de Durrio.
Paco Durrio quitte la place en chantier pour trouver refuge dans un coin de Montmartre qui tient encore tête à la spéculation, dans l'impasse Girardon.
(La maison de Durrio peinte par Charles Camoin. (Musée de Montmartre)
Il y déménage avec sa collection de tableaux, parmi lesquels ceux qui sont le plus chers à son cœur, les toiles de Gauguin de la période de Pont-Aven. Ces œuvres remarquables aiguisent l'appétit des marchands qui proposent à leur propriétaire des sommes importantes. Durrio même aux jours noirs, refuse de se déprendre de ses tableaux.
Un voyou nommé Manolo, connu dans le Maquis pour ses activités pendables, faillit réussir là où les marchands avaient échoué. Il profita de l'hospitalité de Paco Durrio, toujours prêt à aider ses compatriotes, pour vider son chalet de la trentaine de toiles qui y étaient accrochées.
Il perpétra son mauvais coup alors que son hôte était parti en province pour quelques jours. Quand Durrio revint, ses chers Gauguin avaient pris la poudre d'escampette.
Par chance le brocanteur à qui Manolo les avait vendus accepta de les restituer à bas prix à son propriétaire.
Manolo ne fut pas inquiété et raconta dans le maquis que Durrio n'avait pas à se plaindre car il avait acquis pour presque rien chez le brocanteur une collection unique d'œuvres de Gauguin!
Mais Le maquis était en sursis et bientôt les dernières maisons qui subsistaient malgré le "nettoyage" entrepris depuis des années pour permettre aux promoteurs de tracer l'opulente avenue Junot, furent sacrifiées.
Paco Durrio qui se vendait mal et qui donnait le peu d'argent qu'il avait à plus pauvre que lui, devint conseiller-intermédiaire auprès de riches collectionneurs pour l'achat d'œuvres d'art.
Mais la misère le rattrapa et en 1939 il dut quitter son refuge. Il ne survécut qu'un an à son départ de Montmartre et mourut à l'hôpital.
La grande exposition de 2013 à Bilbao, lui a rendu justice en montrant à la fois ses créations originales et son influence sur les artistes de son temps.
Il reste à la ville de Paris de rendre hommage à cet artiste, Montmartrois de cœur, qui participa à l'effervescence et au rayonnement de la Butte!