...C'est une rue qui ne se monte pas du col et qui sans faire d'histoire suit son petit bonhomme de chemin entre la rue Saint-Georges et la rue de La Rochefoucaud. elle est pourtant exceptionnelle car elle a gardé pour l'essentiel son aspect originel qui fait d'elle un musée architectural de la Restauration et de la Monarchie de Juillet.
Elle est ouverte en 1846 et porte le nom d'un des fils de Louis-Philippe, Henri d'Orléans, duc d'Aumale (1822-1897).
Nous sommes dans la période de la colonisation de l'Algérie et le duc D'Aumale s'illustre (si on peut dire) en prenant en 1843 la Smala d'Abd El Kader. Il est considéré comme un héros qui mérite bien que la nouvelle rue porte son nom!
Le jour viendra peut-être où une "communauté" demandera qu'on débaptise la rue, comme si effacer un nom c'était effacer l'histoire avec ses ombres.
La rue commence au niveau de la rue Saint-Georges, au cœur du quartier de la Nouvelle Athènes.
Certains immeubles sont construits selon les goût de la Restauration (bien que nous soyons alors sous la Monarchie de Juillet), c'est à dire avec sobriété, peu de décoration mais un rythme régulier. Ils sont en pierre de taille, scandés par des bandeaux d'appui horizontaux.
Nous sommes dans des années où l'urbanisation se développe avec des immeubles de rapport qui assurent de confortables revenus à la bourgeoisie triomphante. De grands programmes sont lancés dans plusieurs quartiers de Paris, Saint-Vincent de Paul, François 1er et Saint-Georges où se trouve notre rue...
Le 3 est aujourd'hui connu grâce au passage dans ses murs de Wagner, venu à Paris présenter son Tannhäuser.
A l'en croire, il n'a pas gardé un très bon souvenir de ce deuxième étage où il déménagea après avoir été chassé de la rue Newton par les travaux du Baron Haussmann!
"Je me suis donc mis à la recherche d'un autre logement et j'en trouvai un, misérable et lugubre, rue d'Aumale. Par un temps exécrable, il nous fallut déménager à la fin de l'automne. Fatigué par ces opérations et les répétitions, je fus finalement terrassé par une fièvre typhoïde."
Wagner travaille d'arrache-pied pour donner une version en français de son œuvre. Il y ajoute un ballet censé séduire les Parisiens. Mais c'est un fiasco! Sifflets, quolibets, cabale...
Il est vrai que cette cabale prend un tour politique et est menée par les anti-bonapartistes, saisissant l'occasion de s'opposer à Napoléon III qui a voulu que Wagner vienne à Paris et qui a donné l'ordre à l'Opéra de représenter son œuvre.
Après la troisième représentation, Wagner retire son œuvre et quitte Paris. Malgré la qualité de ses défenseurs (parmi lesquels Baudelaire, Mendès, Gounod) il ne reviendra pas et ce n'est que trente ans plus tard qu'un de ses opéras sera représenté sur la scène de l'Opéra (Lohengrin en 1891).
Le 6 a pour architecte Emile Godeboeuf (1809-1879) qui s'est illustré en concevant la mairie du XVIème arrondissement et l'église luthérienne de la Résurrection dans le XVème.
Les 8 et 10 viennent rompre l'harmonie des immeubles à l'architecture plus simple du début de la rue. Ils sont spectaculaires et somptueux dans le plus pur style haussmannien. Ce style qui donne à Paris son unité et en fait une ville unique...
Leur architecte est Adrien Sibert et ils ont été construits en 1864, année de l'achèvement du lotissement de la rue.
Le 10 possède une remarquable cour en fer à cheval que l'on ne peut pas visiter, hélas. Paris est ainsi fait de trésors cachés derrières des façades hermétiques...
Mais par chance, je suis repassé par la rue un jour où le portail était entrouvert et où des travaux étaient en cours...
J'ai pu admirer la cour aux colonnes corinthiennes, les anciennes remises pour les voitures et la fontaine-abreuvoir pour les chevaux...
Le 9
Le 11
Au 12, un historien un peu oublié de nos jours a vécu des années avant d'y rendre l'âme. Il s'agit de François Mignet.
Sa grande œuvre est son "Histoire de la Révolution Française" qui se démarque des écrivains-philosophes en privilégiant la narration, aussi objective que possible. Son "Histoire" connaît un grand succès et vaut à son auteur l'admiration du poète Heinrich Heine. tous deux resteront amis et Mignet sera très atteint par la mort de Heine qu'il accompagne lors de son enterrement au cimetière de Montmartre.
Une autre amitié indéfectible est celle de Thiers dont l'hôtel somptueux et ses jardins jouxtent la rue d'Aumale. Hôtel qui sera brûlé pendant la Commune. On connaît le rôle que joua Thiers pendant ces jours terribles. Ce personnage ne fait pas partie de ceux que les Montmartrois gardent dans leur cœur!
Le 14 qui fait partie du même ensemble ouvre sur une cour classée où étaient construites des écuries autour d'une fontaine-abreuvoir. La cour ouvrait à l'arrière sur les jardins de Thiers, ce qui permettait à Mignet de prendre ce raccourci pour rencontrer son vieil ami!
Dans cet immeuble a vécu une des créatrice de bijoux les plus célèbres de Paris, Suzanne Belperron. Son histoire est liée à celle de la joaillerie. Venue à Paris (elle habita d'abord rue Lamarck) elle travailla pour Jeanne Boivin, sœur de Poiret, avant de gagner la maison Herz et de "révolutionner le monde du bijou par ses sculptures à la main de pierres précieuses". (Vogue)
Herz fut arrêté par la Gestapo et assassiné dans les camps. Suzanne devint résistante et risqua plus d'une fois sa vie. Après guerre, elle reprend son activité créatrice et travaille pour les stars d'Hollywood, pour les cours d'Europe ou pour les plus grands couturiers.
Elle meurt en 1985.
Le 15 n'est pas très original avec sa façade Louis XIII de briques et de pierres. Il est dû à Pigny architecte qui l'a conçu pour son beau-frère, le peintre chic et snob de la haute bourgeoisie : Edouard Dubufe.
Notons au passage que ces deux beaux-frères en avaient un troisième, Charles Gounod! Les trois hommes avaient en effet jeté leur dévolu sur trois sœurs Zimmerman. Charles Gounod épousa Anna, Jean-Baptiste Pigny épousa Berthe, Edouard Dubufe épousa Juliette. Il y avait une quatrième sœur, Zéa, qui fut l'épouse de Pigache, un médecin de Napoléon III!
Dubufe avait tant de commandes qu'il ne parvenait pas à les honorer toutes! On faisait queue dans son atelier et toute famille en vue se devait de faire portraiturer la maîtresse de maison...
Zola, ami de Cézanne, parlait de sa peinture "aux effets de crème fouettée"!
Les amateurs de théâtre auront l'occasion d'y goûter pendant les entractes dans la salle du foyer de la Comédie Française puisque le plafond est l'œuvre de Dubufe!
Un petit arrêt devant le 19, immeuble à pan coupé richement sculpté, dont une partie donne sur la rue Taitbout. Il date de 1854 et les sculptures sont l'œuvre de Joussot.
Il servit de siège à une des premières compagnies d'assurance, le groupe Prévoir créé en 1910, qui devint en 1923 Le Devoir...
Le 22
Le 23
Le 24 est un bel immeuble post haussmannien (1896) qui écrase un peu ses voisins. Son architecte est Ch. Michel.
C'est ici, au deuxième étage que passa plusieurs années de son enfance et son adolescence une chanteuse qui illustra la période Yéyé mais qui dès ses débuts eut une image à la fois romantique et moderne. Il s'agit de Françoise Hardy dont l'étoile n'a jamais pâli et qui les années passant s'est révélée écrivaine attentive et profonde.
Elle a 16 ans quand elle suit les cours du Petit Conservatoire....
Elle a voulu revoir l'appartement où elle vécut avec sa mère et sa sœur. Elle écrit à ce propos :
"Rien n'avait changé. Je me suis arrêtée à la porte de notre ancien appartement. Il y avait du bruit. Je n'ai pas osé frapper."
Peut-être pensa t-elle alors à une de ses chansons "La maison où j'ai grandi".
(...) Quand j'ai quitté ce coin de mon enfance
Je savais déjà que j'y laissais mon cœur.
(...)
Le temps a passé et me revoilà
Cherchant en vain la maison que j'aimais..."
Une plaque rappelle qu'au même 24 vécut Joseph Limon, un jeune homme, arrêté parce que résistant et déporté au camp d'Hersbrück en Bavière, où il mourut.
Savait-il que bien des générations avant lui, un autre Joseph Limon, âgé comme lui de 24 ans, fut fauché sur le champ de bataille de Waterloo?
Le camp d'Hersbrück fonctionna moins d'un an mais plus de 4000 déportés y moururent...
Le 26 est représentatif de cette rue dont il est l'un des premiers qui ait été édifié (1849). Il date de Louis-Philippe et il s'orne d'un riche décor néo Renaissance.
Le 27
Toute la rue pourrait être classée tant elle est harmonieuse dans son unité qui conjugue pourtant plusieurs styles.
Elle est un bel exemple de la vitalité architecturale de Paris qui au XIXème siècle devint la capitale artistique de l'Occident!
Et cela malgré la "crème fouettée" d'Edouard Dubufe!
Liens :