Il n'est pas né sur la Butte mais il y a vécu l'essentiel de sa vie (plus de 40 années!).
Il ne la quittera qu'après son attaque cérébrale de 1934. Il sera alors recueilli par une vieille dame qui l'héberge dans une chambre minuscule mise à sa disposition rue des Couronnes. C'est là qu'il rendit l'âme un soir de décembre 1938.
C'est une partie de l'âme de Montmartre, libertaire, artiste, insolente, généreuse, qui s'envolait avec elle... (et qui n'est jamais revenue)
C'est aussi un créateur qui sans le savoir fut un des annonciateurs de la Bande Dessinée et de la fameuse ligne claire qu'illustrera Hergé.
Georges Delaw a vu le jour à Sedan en 1871, année de la fameuse bataille qui signa l'arrêt de mort du Second Empire. Son père Jean Hubert Deleau est tenancier d'un café, ayant épousé la fille du tenancier, grand-père maternel de Delaw qui possèdait en outre un moulin à Herbeumont en Belgique...
Il y avait donc quelque chose de prédestiné dans cette familiarité avec un moulin et un bistro!
Montmartre se dessinait à l'horizon!
De son enfance heureuse, il parlera en écrivant un long poème, pendant les derniers mois de sa vie : "Le Beau Voyage". Alité et souffrant, à demi paralysé, il utilisera la main gauche pour le rédiger. Il y évoquera ses Ardennes aimées et ses habitants.
Pendant ses études sedanaises, il a pour camarade un certain Jules Depaquit, de deux ans son aîné, au collège Turenne. Il partage avec lui le goût du dessin et de la caricature et participe à un journal qui déjà s'appelle "Le blagueur"!
C'est avec lui, futur maire de la commune libre de Montmartre qu'il vient à Paris et habite sur la place Ravignan (aujourd'hui Emile Goudeau), face au Bateau-Lavoir, à l'hôtel du Poirier.
Les chambres y sont bon marché et la Bohême apprécie cet endroit au cœur du Montmartre libre et artiste.
Aussitôt il fréquente le Chat Noir de Bruant. Il y crée des pièces pour le théâtre d'ombres alors très apprécié et dont le musée de Montmartre conserve quelques silhouettes remarquables d'Henri rivière.
Il participe à différents journaux humoristiques et il modifie son nom dont "leau" devient "law" ce qui lui donne un petit air british alors à la mode!
Après avoir séjourné deux années place Ravignan, il loue une maisonnette perchée en haut de la rue du Mont-Cenis, connue, à tort ou à raison, pour avoir été celle de Mimi Pinson.
Il apprécie son côté villageois et lui donne un aspect ardennais avec des meubles de sa région et une décoration rustique.
Il aime aller, à moins de cent mètres de là, au restaurant Bouscarat, repaire de peintres et de poètes qu'il avait connu à son arrivée sur la Butte comme modeste épicerie de village.
Il est aussi un des plus fidèles piliers du Lapin Agile et de ses soirées de chants et de poésie, cocktail d'anarchie et d'ironie. Il y vient avec sa pipe, fidèle compagne qui ne le quittera que lorsqu'il la cassera en 1938. Son chien Jap fait partie de la fête. Pendant des années, ils sont inséparables aussi bien au cabaret que dans les rues de la Butte.
Delaw n'est pas fait pour l'humour mordant ou la violence. Il n'a pas d'ennemis et la bande du Lapin l'aime malgré ce qu'il y a de lisse et d'impénétrable en lui. C'est Carco qui en parle le mieux : "Les poèmes en prose de ce charmant artiste, ses dessins, ses propos, tout l'opposait à nous et il n'était pas jusqu'à son chien et ses souliers ferrés qui ne nous proposassent l'exemple d'une autre vie".
Voilà! le mot est lâché! "Charmant"! Comme il détonne dans ce milieu de caricaturistes, de bouffeurs de bourgeois, de combattants de l'art! On le retrouve sous la plume de plusieurs témoins ou acteurs de cette époque. Le charmant Delaw! Solitaire, différent, sans passion féminine tapageuse!
Est-ce parce qu'il a aimé écrire pour les enfants qu'on l'a édulcoré de cette façon? Son livre "Les premières années de collège d'Isidore Torticolle" ne mérite pas ce terme de charmant. Il dépeint sans complaisance le milieu quasi militaire de l'école du début du siècle. Isidore, son petit héros s'y débrouille comme il peut, avec son allure qui annonce le Petit Prince!
Quand éclate la guerre, il est à Verdun lors des premiers bombardements. Il revient à Paris où il est affecté. Le pacifiste est horrifié par tout ce qu'il apprend des atrocités et de la boucherie des tranchées. Il se protège par l'imagination et les dessins qu'il crayonne.
Dans les années 20, il va habiter 20 rue Durantin. Il dessine alors pour les autres, pour les écrivains et poètes qu'il admire...
Francis Jammes bien sûr, celui qui lui ressemble le plus, Anatole France, Jules Renard, sans oublier l'illustre ancêtre, Charles Perrault...
C'est cependant son travail pour les journaux qui lui permet de gagner tant bien que mal sa vie. Il collabore toute sa vie à certains d'entre eux comme le Rire ou le Sourire.
Une caricature qui rejoint notre réalité! La Grande Bretagne et sa peur du tunnel! Le Brexit est annoncé!
- Cette soirée et véritablement étouffante!
- En effet! Le pianiste serait bien aimable de renouveler l'air!
Son style est marqué par plusieurs influences revendiquées, parmi lesquelles le fauvisme, les nabis ( Il connaît Valloton qu'il fréquente au Chat Noir), le Japonisme... Sans doute aurait-il été un peintre de grand talent s'il avait eu assez confiance en lui et n'avait pas été impressionné par des artistes avec lesquels il ne se sentait pas capable de rivaliser....
Félix Valloton
Il occupe un bel atelier sous verrière, 20 rue Durantin. C'est là qu'il fait le portrait de Francis Jammes et qu'il dessine les cartons qu'il utilisera pour décorer la maison d'Arsène Alexandre place Ravignan, celle d'Edmond Rostand (Arnaga) qui dira que "sa grâce et sa fantaisie sont uniques"
Il exécute également des décors pour le théâtre (pour Dullin notamment) et des tableaux pour les Folies Bergères...
Par malheur la quasi totalité de ses toiles a disparu. Il y a bien eu, il y a quelques mois une vente aux enchères d'une œuvre peinte dans la petite maison du Mont-Cenis, mais qui fait penser à ses dessins pour illustrés...
Peut-être est-ce l'apparente banalité de son existence, vouée à l'amitié comme à un caractère paisible et peu opportuniste qui expliquent l'effacement de cet artiste?
Après une congestion cérébrale, il perd son autonomie et, sans fortune, doit faire appel à l'affection de la mère de sa filleule, Madame Millot pour trouver le refuge de la rue des Couronnes et une assistance fidèle.
Ses amis sont présents et lui apportent une aide matérielle qui lui permet pendant ses derniers mois, de s'évader dans les souvenirs et évoquer sa chère région.
Il meurt le 8 décembre 1938. André Billy l'évoque dans le Figaro Littéraire :
"Le charmant Georges Delaw, après une carrière montmartroise laborieusement et gaiement remplie est mort après plusieurs années de souffrance..."
Le charmant!
Encore une fois!
Et quel compliment vipérin que cette carrière "laborieusement" remplie!
Sans doute n'a t-il pas vu l'essentiel : le grand talent sans forfanterie d'un artiste qui aimait les gens et qui était bon.
C'est Louis Nucéra qui lui rendra justice :
"Georges Delaw avait des anges dans le cœur".