C'est par hasard que je suis passé devant sa tombe après être allé rendre visite à Monique Morelli et au chat roux qui dort au pied de son caveau.
Le bonhomme bleu, une main montrant le ciel et l'autre la terre a attiré mon attention.
J'ai lu le nom de celui qui avait élu domicile sous la pierre étrangement vermoulue où on l'a couché quelques jours après sa mort le 28 décembre 2016.
Quelle belle définition pour un homme que celle-là! Auteur, compositeur, promeneur! L'élégance de ne pas trop se prendre au sérieux et de rappeler que l'on est nomade dans le monde.
Je ne connais pas tous les liens de Pierre Barouh avec Montmartre mais j'imagine que dans sa jeunesse chantante il a fréquenté la Butte où vivaient nombre de ses amis chanteurs et compositeurs.
Il est certain que son studio Saravah était situé sur la Butte, passage des Abbesses où il tiendra le cap entre 1965 et 1977, année de sa vente...
Comme tout le monde, j'ai dans la tête le refrain entêtant de la chanson qu'il a écrite pour "Un homme et une femme" de Lelouch (un vrai Montmartrois), avec la complicité de Francis Lai pour la musique. C'est sur le tournage du film qu'il rencontra Anouk Aimée qu'il aima et épousa.
Leur amour dura trois ans comme les amours intenses.
Et puis, il connut d'autres amours sans jamais renier personne. Dominique bien sûr, dix années de complicité et de créativité. Au sens propre du terme car ils ont un fils qui porte le même prénom que sa mère.
Je crois (bien qu'il soit un peu prétentieux de ma part de l'affirmer alors que je le connais si peu) qu'il n'y avait en lui ni ressentiment ni haine. Ce sont ses poèmes qui m'en convainquent.
Pourtant, la haine, il aurait pu la nourrir....
En effet, le flâneur, l'amoureux aurait pu ne jamais flâner, ne jamais aimer s'il n'avait été caché en Vendée pendant l'occupation. Il serait parti en fumée comme les milliers d'enfants juifs déportés et assassinés. Anouk Aimée, elle aussi avait été cachée dans un département voisin la Charente.
Est-ce la conscience de la précarité de la vie et de ses hasards qui firent de lui un humaniste, un vivant, un homme aux yeux ouverts sur les autres?
Un homme qui ne cessa d'être un passeur. Il aimait plus que tout faire connaître les artistes qu'il aimait. C'est à cette fin qu'il créa son propre label "Saravah" pour y recevoir Higelin, Brigitte fontaine, Maurane, Caussimon..
... les musiciens brésiliens et africains qu'il aimait d'une passion qu'il tenait à partager.
Il aima également le Japon, pays de sa femme Atsuko Ushioda avec qui il eut trois enfants.
Parmi eux sa fille Maïa qui comme lui chante la vie...
Le 28 décembre 2016, c'est un infarctus qui l'emporta. Le jour de son enterrement, le 4 janvier, il y eut autour de son cercueil décoré de pastels, la petite foule de ceux pour qui il comptait. Sa femme bien sûr et ses enfants, ses amis de toujours...
Claude Lelouch était là, avec Anouk Aimée, avec Francis Lai....
Comment ne pas rappeler un témoignage qui a pris un relief particulier avec les attentats de Paris?
Dans les années 70, une association caritative organise un concert afin de récolter des fonds. Pierre Barouh fait partie des artistes qui ont tenu à y participer. Comme souvent dans ces manifestations, la salle est indisciplinée et brouillonne.
Pierre Barouh prend le micro et chante a capella.
Les spectateurs font soudain silence et l'écoutent jusqu'à la dernière parole, recueillis et attentifs...
Ce concert avait lieu au Bataclan et le titre de la chanson était "Vivre".
" Moi si j'étais de bois
Je serais de ce bois qui fait les goélettes
Et je giflerais l'eau sans penser aux complots
Des grands fonds qui me guettent"
C'est ce qui dit le petit bonhomme bleu sur sa stèle.
Il montre les grands fonds de la main gauche et le ciel de la main droite.
Entre les deux, le promeneur poursuit son voyage.... et prend le temps de faire des ronds dans l'eau!