Passage Dépaquit, après le 55 rue Lepic.
Jules Dépaquit (1869-1924) Malgré son air austère, un farceur invétéré!
Pour présenter un tel personnage, figure emblématique de Montmartre, rien de tel que de lire son programme, alors qu'il participait aux premières élections (dont il était l'initiateur) à la Mairie de la Commune Libre de Montmartre :
-Construction de toboggans pour descendre la Butte.
-Installation de trottoirs roulants pour se rendre d'un bistrot à l'autre.
-Interdiction de mourir sur le territoire de la Commune Libre de Montmartre, sous peine de mort.
-Déclaration de paix en cas de déclaration de guerre.
-Suppression des mois de décembre, janvier et février. Jamais d'hiver!
-Suppression de l'eau. Les fontaines devront éjaculer du vin rouge, rosé ou blanc selon le goût des habitants.
Caricature de Jules Dépaquit en maire de Montmartre (par lui-même)
Sûr que j'aurais voté pour lui!
Quoi...que... Il y avait de quoi hésiter!
Imaginez qu'il y avait en lice pour ces élections de 1920 : la liste dadaïste avec Breton, Tzara et Picabia, dont le slogan était "A dada! A dada! A dada!"... La liste des Sauvagistes qui voulaient transformer le Sacré-Coeur en piscine municipale... La liste des Cubistes avec Picasso, Max Jacob et Cocteau, avec un slogan plus contestable, "Un gratte-ciel, deux gratte-ciel, trois gratte-ciel!"
Mairie de la Commune Libre, place du Tertre.
Mais c'est la liste des anti-grattecielistes, menée par Poulbot, Valadon et Dépaquit qui l'emporta.... et c'est ainsi que ce dernier devint Maire de Montmartre!
Carte postale de Depaquit en Don Quichotte "sauveur de Montmartre"
Il fut très vite considéré comme "le sauveur de Montmartre".
C'est lui qui institua la course de lenteur automobileet les Vendanges...
Georges Delaw (Deleau)
Et pourtant ce défenseur et cet amoureux de la Butte n'y est pas né. Il y est arrivé en 1893 pour ne la plus quitter.
Avec son ami Delaw, peintre et décorateur natif comme lui de Sedan, il partagea une chambre à l'hôtel du Poirier. La nuit il y dormait et le jour c'est Delaw qui l'occupait. Ainsi était la vie de Bohême!
L'hôtel au 16 place Emile Goudeau a été remplacé par un méchant immeuble. Son nom faisait écho à la Guinguette du Poirier Sans pareil qui était situé à l'emplacement du Bateau-lavoir.
Quand il gagne un peu d'argent (très peu) grâce à ses dessins, il loue une chambre à l'Hôtel de Tertre, au dessus du célèbre restaurant Bouscarat, à l'angle de la place du Tertre et de la rue du Mont-Cenis. Il y est alors voisin de Satie et de Mac Orlan.
Chauds les marrons. Depaquit. (Le Rire)
C'est dire qu'il fait pleinement partie de la vie foisonnante et parfois difficile des artistes montmartrois. Ses dessins sont publiés successivement dans "Le Rire", "Le Bon Vivant", "La Baïonnette" et "Le Canard Enchaîné".
Quand son activité lui rapporte un peu plus d'argent, il déménage pour louer un petit appartement dans une maison qui appartient à Bruant, 30 rue Saint-Vincent. Il se lie alors avec Utrillo avec qui il va souvent discuter et boire à l'auberge de la Belle Gabrielle.
Auberge de la Belle Gabrielle (Utrillo)
Et c'est en 1920 qu'il fonde la Commune Libre de Montmartre, toujours en activité, bien que moins créatrice et moins provocatrice!
On ne retourne pas en arrière et les notables montmartrois d'aujourd'hui n'ont plus rien en commun avec l'insolence, le goût de la provocation, l'esprit anti-conformiste et délirant de leurs prédécesseurs! Ils se déguisent en "Bruant" avec cape noire et écharpe rouge et participent à toutes les mascarades officielles. Rien chez eux de l'insolence et de l'esprit iconoclaste de Depaquit!
La foire aux croûtes, place Constantin Pecqueur et rue Caulaincourt.
Ce qui est amusant, c'est qu'il créa la "Foire aux Croûtes" qui permit à des peintres de talent, boudés par les circuits officiels, de se faire connaître, alors qu'aujourd'hui, la Foire aux Croûtes qui ne dit pas son nom, se tient très officiellement sur la Place du Tertre!
On le voit sur cette photo (2ème à droite) lors de l'inauguration de la Vachalcade dont il fut l'initiateur.
A cette époque de responsabilité (!), par dérision, il s'habille d'une redingote cintrée, d'un haut de forme et il se ceint d'une écharpe de maire! Une écharpe aux couleurs de Montmartre : le rouge et le vert. Le rouge de la Commune et le vert des vignes et des jardins.
Passage Dépaquit, vers la rue Caulaincourt
Malgré son statut très officiel de maire d'une commune inofficielle, il reste éternellement fauché. On raconte que pour se protéger des créanciers qui le poursuivaient, il avait écrit sur sa porte : "WC". Lorsque l'un d'eux frappait, il s'écriait : "Occupé". j'ai essayé avec les huissiers mais ça n'a pas marché!
Grille du Passage Dépaquit
Dépaquit meurt en 1924. La mort le saisit loin de Montmartre, à Balan. Aurait-il pu passer son éternité au cimetière Saint-Vincent, lui qui avait imprudemment prévu dans ses promesses électorales : "Expulsion des locataires du cimetière Saint-Vincent ne pouvant justifier qu'ils demeuraient à Montmartre avant de mourir"?
Passage Dépaquit sur la rue Lepic
...Mais il est toujours présent sur la Butte! Une artère de 38 mètres de long porte son nom entre la rue Lepic et la rue Caulaincourt.
Côté Caulaincourt Ce n'est pas une rue mais un Passage privé qui ne porte même pas de plaque!
Fenêtre fleurie Passage Dépaquit! Quelques fleurs pour Jules!
Mac Orlan écrira pour lui une épitaphe digne de cet homme de passage, comme chacun de nous :
"Son activité se bornait à régler la circulation entre la Place du Tertre et la Lune."
Si Montmartre est devenu Montmartre c'est grâce à des gens comme Jules Dépaquit. Des poètes, des potaches, de joyeux lurrons, des pierrots...
Car c'est à condition de ne pas se prendre au sérieux qu'on voyage jusqu'aux étoiles!
Liens: Artistes et Personnages de Montmartre :
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Peintres et personnages de Montmartre. Classement alphabetique.