C'est une rue insupportable!
C'est le trajet obligatoire des touristes qui débarquent du métro Anvers et qui rêvent de découvrir le Montmartre mythique dont films et romances leur ont donné une image idéalisée!
Il faut une bonne dose de courage pour l'emprunter et se frayer un chemin entre les bazars aux hideux souvenirs, les joueurs de bonneteau, les fausses sourdes-muettes de Roumanie avec leurs fausses pétitions...
On s'étonne que la Mairie n'ait pas transformé cette artère, une des plus fréquentée de Paris en voie piétonnière.
Il paraît que le projet est dans les tuyaux depuis des années.... Les tuyaux doivent être bouchés!
Et pourtant...
Elle est une rue du vieux Montmartre dont certaines maisons sont toujours debout. Elle réserve encore quelques belles surprises....
La rue (longue de 153 mètres et large de 7,4) s'appelait à l'origine "Virginie" du nom de la fille du propriétaire des terrains sur lesquels elle a été tracée.
En 1877, elle reçoit le nom de Steinkerque.
Elle commémore (comme chacun sait!) la victoire remportée en 1692 par les troupes françaises commandées par le Maréchal de Luxembourg sur les troupes alliées (anglo-dano-hollandaises) dirigée par Guillaume d'Orange.
Le Maréchal de Luxembourg revient de ses batailles avec une moisson de drapeaux arrachés à l'ennemi. Ils décorent la nef de la cathédrale de Paris. Voilà pourquoi notre homme est surnommé "le tapissier de Notre-Dame"
La rue commence sur le boulevard de Rochechouart. On voit sur cette carte qu'il y avait côté gauche l'hôtel de Nancy. Juste derrière on reconnaît les façades de l'Elysée Montmartre.
L'Elysée Montmartre fait partie de l'histoire de la Butte. Le Bal qui ouvre en 1807 verra naître le cancan et fera connaître des artistes comme Valentin le Désossé ou la Goulue.
Les bâtiments donnaient sur un grand jardin aujourd'hui disparu. La salle de spectacle, classée, est l'un des pavillons de l'expo de 1889, construit par Eiffel.
Quand l'Elysée est remanié après un incendie en 1906, il gagne sa façade actuelle qui en fait tout le charme et qui est aujourd'hui emblématique du Montmartre des plaisirs.
Pourtant la belle danseuse qui lève la jambe n'est pas montmartroise! Elle vient en droite ligne du bal Mabille sur l'avenue Montaigne actuelle.
Un nouvel incendie détruit une partie de la salle en 2011. Les travaux sont en cours pour lui redonner son lustre... Espérons que le déballage de fripes qui occupe une partie du rez de chaussée ira s'installer ailleurs.
Côté pair, le 2 est un bel immeuble de pierres où a vécu henri Casadesus de 1911 à 1947.
Compositeur, chef d'orchestre, joueur de viole d'amour il écrit des opérettes et il crée la Société des Instruments Anciens...
Etonnante destinée de la famille Casadesus issue d'un modeste émigré catalan, Luis, dont huit enfants (parmi lesquels Henri) seront musiciens.
Dans la 2ème génération, dix seront musiciens ou acteurs!
Parmi eux Gisèle Casadesus qui vient de fêter son centième anniversaire!
Elle est née rue de Steinkerque et c'est peut-être là qu'un jour elle mourra. Qu'elle prenne son temps et continue de nous émouvoir et de nous charmer!
Le 4 est un immeuble de rapport du début du XXème siècle, en briques.
Du 7 au 11 on retrouve des maisons typiques du vieux village. Leur rez de chaussée a été converti en commerces attrape-trouristes.
Au 9, un pâtissier-chocolatier breton a installé une de ses boutiques. Il s'agit de LARNICOL le roi de la kouignette, version miniature du kouing aman dont il offre des versions imbibées de rhum ou de cointreau.
Un délice (à éviter si l'on veut grimper léger jusqu'à la basilique!)
Chez Larnicol, la maquette de Notre-Dame, en chocolat... de quoi convertir bien des mécréants...
Côté pair, on trouve le même type de maisons du 10 au 12, survivantes du vieux Montmartre.
Arrêtons-nous un instant au 12 qui fut l'adresse de Michel Zévaco.
Zévaco (1860-1918) est un journaliste anarchiste très engagé qui séjourna à plusieurs reprises dans les prisons républicaines à cause de ses articles violents dans lesquels sa haine de la société bourgeoise s'exprimait librement.
Il est surtout connu pour ses feuilletons : Le Capitan, la série des Pardaillan.
Le 13 est un immeuble de rapport du milieu du XIXème siècle.
Le 16 est un bel immeuble de pierre de 1898, conçu par Georges Massa, un architecte qui a donné à Paris quelques très beaux immeubles comme le 16 rue d'Abbeville.
Le dernier immeuble, côté impair se retrouve dans le film "Baisers Volés" de Truffaut. C'est là, au 15, qu'habite Antoine Doinel, à deux pas du Sacré Coeur. C'est devant son miroir qu'il répète en l'articulant soigneusement, son prénom et son nom, dans une scène devenue culte!
La rue s'achève sur la place Saint-Pierre qui n'a rien d'une place! Pas plus large qu'une rue, elle donne sur le square Louise-Michel et offre une vue de carte postale parfaite sur le Sacré Coeur.
Les jardins permettront aux touristes de respirer un peu et de se reposer après avoir réussi sans trop de casse la remontée tumultueuse de la rue de Steinkerque!