Le Prométhée foudroyé de Gustave Moreau (1869) a été peint un an après le Prométhée exposé au salon de 1868.
Combien pourtant il est différent...
Le Prométhée de 1868, bien qu'enchaîné, est assis comme un roi au sommet du monde. Il est indifférent à la torture et ignore le vautour qui s'est approché par derrière pour arracher des lambeaux de foie. Notons que l'aigle du supplice a été remplacé par un charognard qui ne s'attaque habituellement qu'aux cadavres.
Prométhée, le visage tourné vers l'horizon, ignore le dépeceur qui finira par mourir avant d'être remplacé par un autre charognard, comme le rappelle le cadavre, au pied du Titan condamné, lui, à ne pas mourir.
Prométhée ne regrette pas son vol. Le feu qu'il a voulu donner aux hommes, brille au-dessus de sa tête, comme la flamme de Pentecôte au-dessus des disciples, la flamme de l'Esprit et de la Vie plus forte que la mort.
Gautier a su voir dans ce tableau sa dimension christique : "Mr Gustave Moreau n'a pas donné à son Prométhée les proportions colossales du Prométhée d'Eschyle. Ce n'est pas un Titan. C'est un homme auquel il nous semble que l'artiste ait voulu donner quelque ressemblance avec le Christ dont, selon quelques Pères de l'Eglise, il est la figure et la prédiction païennes. Car lui aussi il voulut racheter les hommes et souffrit pour eux."
Gautier, en vrai poète, savait "voir". Que n'aurait-il écrit devant le Prométhée foudroyé?
L'oeuvre, d'une touche moins léchée, moins académique, l'aurait sans doute inspiré. Prométhée n'est plus impassible, regard tourné vers l'avenir et la chute des dieux de l'Olympe. Son corps de souffrance est attaché au sommet d'un piton rocheux, comme exposé sur une croix.
Pas de clarté, pas de couleurs... des gris, des ocres, des blancs... le rouge presque brun du sang coagulé...
Les jambes sont repliées comme celles du crucifié. La tête penchée sur le côté semble souffler son dernier souffle tandis que les yeux se révulsent.
Le corps n'est plus le corps athlétique du premier Prométhée, il est le corps torturé, le ventre creusé, les côtes saillantes... La dernière force du supplicié se concentre dans sa main repliée sur le flambeau dont la flamme continue de s'élever contre le ciel.
Près de lui, l'aigle-vautour, Jupiter, ressemble à un oiseau mort, un squelette d'oiseau.
...Tandis que la foudre vient achever le condamné.
Moreau invente donc cette mise à mort, comme si le supplice excédait les dieux et qu'il fallait y mettre un terme.
Evidemment, l'aspect christique reconnu par Gautier dans le premier tableau, est ici plus manifeste encore. C'est après le chemin de croix et la montée au calvaire, après le fouet, les épines et les clous, le dernier coup de lance..
Moreau entoure le visage du Christ de l'auréole des icônes.
Une humanité distincte et indistincte se mêle et s'emmêle sous ce Prométhée. Une humanité en devenir, une humanité en voie de recréation. Certains corps sont à peine esquissés, les bras imprécis, les visages sans yeux.
Les Océanides selon le mythe... Une pyramide de femmes, certaines indifférentes, d'autres concernées...
Une humanité blafarde qui participe au mystère et peut recevoir la lumière du flambeau que Prométhée n'a pas lâché et que la foudre n'a pas éteint.
Oeuvre étonnante, oeuvre forte qui touchera le croyant comme l'incroyant, plus que le Prométhée impassible.
"Christ païen" est -il écrit dans les notes de visite du musée!
Bizarre, bizarre... Le chrétien Gustave Moreau n'a pas représenté un Christ païen, n'en déplaise aux rédacteurs de catalogues, mais un Prométhée chrétien...
Un Prométhée-Moreau qui au-delà de la mort tend vers nous le flambeau...
Musée Gustave Moreau.
14 rue de La Rochefoucauld. 75009.
(tel : 01 48 74 38 50. fax : 01 48074018 71)
Métro: Trinité. Saint-Georges. Bus : 67-68-74-32-43-49
Ouvert tous les jours sauf mardi et 1er janvier, 1er mai et 25 décembre:
De 10h à 12h45 et de 14h à 17h15.
Liens :
Liste et liens: Peintres et personnages de Montmartre. Classement alphabetique.
Gustave Moreau. Le christ et les deux larrons.
Gustave Moreau. Les rois mages.
musée de la vie romantique, rue Chaptal (1)
musée de la vie romantique (2) Ary Scheffer.
Camille Bombois peintre à Montmartre