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Chaque fois que je passe devant le 36 boulevard de Clichy je pense à Jules Pascin, peintre bulgare qui se donna la mort dans son atelier en 1930 à l'âge de 45 ans.
Une mort difficile décidée après des années de dépression et de mal de vivre. Il se trancha les veines des deux poignets et la mort tardant à le libérer, il se passa une ficelle autour du coup et voulut se pendre. La ficelle ne résista pas, Pascin tomba sur le sol, nuque brisée. Il agonisa plusieurs heures. Il ne fut découvert que trois jours plus tard par sa maîtresse, Lucy, (de son vrai nom Cécile Vidil), mariée au peintre norvégien Per krogh neveu de Charles Munch. C'est son nom qu'il écrivit avec son sang sur les murs de son atelier.
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Lucy
J'ai voulu retrouver dans notre quartier quelques endroits où il a vécu. Il est en effet lié à Montmartre et comme tous les artistes qui y ont travaillé, son fantôme est toujours présent dans l'air si particulier de la Butte.
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Jules Pascin, de son vrai nom Julius Mordecai Pincas est né en Bulgarie en 1885.
C'est Apollinaire avec qui il se lia d'amitié qui lui proposa l'anagramme Pascin.
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La famille turque (Pascin)
Il arriva à Paris en 1905 et atterrit à Montparnasse où alors qu'il était à ses débuts influencé par l'expressionnisme, il se rapprocha des Fauves.
Il séduit par son allure de prince en exil et il participe aux folles nuits du quartier, ce qui lui vaut le surnom d "anarchiste déguisé en dandy".
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Photo prise au Dôme en 1910
1907 est une année décisive.
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Il rencontre la peintre Hermine David et il quitte Montparnasse pour s'installer (enfin!) à Montmartre.
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Hermine dans son lit (Pascin)
Sa première adresse montmartroise est l'hôtel Beauséjour, 1 rue Lepic.
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L'hôtel existe toujours mais il est devenu le Manolita et il cache bien ses cinq étoiles!
Il vit avec Hermine une liaison orageuse car deux années plus tard il rencontre Lucy, modèle de Marquet, qui devient sa "seconde maîtresse".
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Hermine dans le studio
C'est en 1909 qu'il change d'adresse à Montmartre pour occuper un atelier au 49 rue Gabrielle.
C'est à cette adresse que débarqua Picasso en 1900, chez son ami le peintre Casagemas qui sombra dans l'alcool et se suicida en 1901 après avoir tenté de tuer la femme qu'il aimait.
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Les nombreux portraits que Pascin réalise d'Hermine, outre qu'ils montrent son amour pour elle, révèlent l'art sensuel et mélancolique du peintre qui ne se départit que rarement d'une tristesse existentielle profonde.
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En 1914 il est contraint de quitter la France car la Bulgarie est un pays ennemi. Il se réfugie aux Etats-Unis où Hermine le rejoint et où elle l'épouse en 1918, devenant Madame Pascin comme l'atteste intitulé de cette toile :
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Portrait de Madame Pascin
Le portrait laisse deviner la vieille blessure qui la mutila. Accident dû à une baleine (une baleine de corset plus précisément) catapultée dans les yeux d'Hermine qui en garda les séquelles après chirurgie, des yeux trop saillants, presque exorbités.
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Le "style" si particulier de Pascin apparaît dans ces toiles où l'on peut voir ce qu'il a retenu de l'expressionnisme, du Fauvisme, de l'Ecole de Paris....
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Si Hermine pose souvent pour lui, elle n'en est pas moins peintre elle-même, un peintre de grand talent qui s'épuise dans les trop nombreuses illustrations qui lui sont commandées mais reprend parfois le pinceau pour réaliser des toiles de valeur comme sa fameuse Kiki de Montparnasse.
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Après les années américaines, le couple revient à Paris en 1920 et c'est à Montmartre que le peintre loue un atelier.
15 rue Hégésippe Moreau
Il choisit la Villa des Arts, voie privée qui ouvre au 15 rue Hégésippe Moreau près du cimetière de Montmartre (sur des terrains récupérés sur lui). C'était au XIXème siècle la plus grande cité d'artistes de Paris, avec une cinquantaine d'ateliers. Elle devrait susciter le même intérêt que le Bateau-Lavoir. Il suffit de nommer, parmi les nombreux peintres qui y créèrent : Cézanne, Carrière, Signac, Dufy, Rousseau... et Pascin!
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Lucy (Melancolia)
Le peintre retombe amoureux de Lucy qu'il n'avait jamais oubliée. Elle accepte de poser pour lui et de vivre une relation qu'elle veut garder secrète, étant mariée et mère d'un garçon.
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C'est une nouvelle fois par ses portraits de femme que l'on peut apprécier l'art de Pascin. Lucy partage avec Hermine un grand nombre de portraits.
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Lucy à sa table (1928. Deux ans avant le suicide)
Nous pouvons les voir réunies sur une même toile :
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Le peintre est déchiré entre ses deux amours et par la souffrance qu'il inflige à sa femme. Ce déchirement fait sans doute partie des causes qui ont précipité son mal de vivre.
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Jean Marchand
En 1922, il loue l'atelier du peintre cubiste Jean Marchand 73 rue Caulaincourt.
L'immeuble est situé à l'emplacement du Cat's Cottage de Steinlen. C'est là que vécut et mourut l'un des plus beaux Montmartrois, peintre des chats et infatigable combattant contre la misère et l'injustice.
Hermine encourage l'homme qu'elle aime à quitter Paris et ses démons pour voyager en Afrique du Nord, en Italie, aux Etats-Unis. Mais les retours se ressemblent et le mènent inévitablement dans les bars, les maisons closes, les fêtes.
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Hemingway au Dôme (Pascin)
Hemingway qui le rencontre au Dôme en 1924 l'évoque sans complaisance : "Pascin était un très bon peintre et il était ivre constamment, délibérément ivre et à bon escient..."
En 1923, Pascin vient vivre dans ce qui sera son dernier appartement, au 36 boulevard de Clichy.
Il continue de peindre les pensionnaires des maisons closes, avec une attention teintée de tristesse et de sympathie qui fait de lui un frère de Toulouse Lautrec.
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Le 2 juin 1930, le jour même du vernissage de son exposition à la Galerie Georges Petit, il ferme sa porte à double tour, boit sans modération, comme il a l'habitude de le faire quasi quotidiennement et s'ouvre les veines.
C'est à Lucy qu'il pense et c'est elle qu'il appelle en silence en écrivant son nom en lettres de sang sur le mur.
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Alors qu'il a vécu l'essentiel de sa vie parisienne à Montmartre et qu'il y est mort, c'est au cimetière Montparnasse qu'il est enterré. Salmon qui fut un de ses amis, notamment au Bateau-Lavoir a écrit le poème gravé sur sa stèle :
" Homme libre héros du songe et du désir de ses mains qui saignaient poussant les portes d’or esprit et chair Pascin dédaigna de choisir et maître de la vie il ordonna la mort ".
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Depuis que je connais son histoire je ne peux m' empêcher chaque fois que je passe devant le 36 boulevard de Clichy, d'imaginer derrière les murs, cet homme qui après avoir choisi la mort peignit une dernière fois avec ce qui lui restait de vie un adieu à la femme la plus aimée.
Dans cet adieu sanglant, je pense à Apollinaire qui avait donné à Pascin son nom :
"Et tu bois cet alcool brûlant comme ta vie
Ta vie que tu bois comme une eau de vie (...)
Adieu adieu
Soleil cou coupé"