Comment le fou de Moreau que je suis a-t-il pu ignorer si longtemps cette exposition qui prendra fin dans moins de trois semaines?
Difficile à expliquer. Peut-être parce que je n'avais pas du tout aimé la dernière sur l'illustration des Fables de la Fontaine avec ses panneaux trop hauts qui cachaient les les toiles du musée.
Cette expo, plus modeste a tenu compte des critiques formulées par les visiteurs. Sa disposition est judicieuse et ne nuit pas à la visite normale.
Elle est modeste également et c'est une grande qualité devant un tel sujet et un tel peintre.
Gustave Moreau et le Moyen âge!
Comment aborder le thème? Comment avec un peintre si foisonnant, si éclectique faire un tri, choisir une ligne?
En abordant tout d'abord le romantisme qui fut le grand "re-découvreur" du Moyen Âge. Moreau qui admire Delacroix ou Chassériau illustre à son tour Dante, l'Arioste ou Shakespeare.
Hamlet
Cet aspect est peu représenté dans l'expo qui évoque ensuite Les sujets mythologiques source privilégiée d'inspiration.
Orphée
Théophile Gautier parle à propos de son style, d'un "hellénisme gothique" et compare ses héroïnes à des "châtelaines du Moyen Âge."
Héraut porte étendard
L'expo évoque la guerre de 1870 et ses répercussions chez Gustave Moreau qui, profondément affecté par la défaite, représente des figures médiévales qui font partie du roman national : chevalier partant pour la Croisade, Jeanne d'Arc...
Deux hérauts
Jeanne d'Arc armée
Son "jeune Croisé mort" est un des plus beaux tableaux de l'exposition. Tout l'art de Moreau s'y déploie, la précision et le flou, l'androgynie, le réalisme et l'onirisme.
Une autre toile remarquable retient l'attention : "La Mort offre des couronnes au vainqueur du tournoi". Thème médiéval de la vanité de la gloire que l'on retrouve dans les danses macabres qui unissent dans la même farandole les seigneurs, les évêques, les mendiants...
Qui aime Moreau retrouve ici cette liberté qui le caractérise avec précisions et esquisses, avec paysage antique et rêvé. Avec au centre de la toile, la mort bien vivante devant la colonne qui porte une dérisoire victoire ailée.
Autre thème médiéval, celui de la licorne des enluminures et des miniatures. Cette licorne de la tapisserie présentée à l'exposition de 1878 et confiée au musée de Cluny.
Les quelques œuvres ici proposées sont un résumé de l'art de Moreau capable d'allier l'extrême précision, hommage aux enluminures, à l'évaporation des formes, à l'atmosphère plus qu'à la figuration. La femme au corps blanc, la licorne au symbole phallique, tout concourt à la poésie du trouble et de la sensualité diffuse.
Poète persan
Fait rarissime, un homme peut être associé à l'animal fabuleux. Ici "le poète persan" chantre de la liberté des amours (on pense à Omar Khayyam)
Bien sûr le terme clé pour définir l'art de Moreau est "syncrétisme". La palette de ce peintre est un maelstrom qui mêle Antiquité, Renaissance, Moyen Âge, Romantisme, Symbolisme. Et bien avant leur heure le surréalisme et l'abstraction.
L'Apparition est une œuvre majeure. Outre qu'elle fascine par son sujet : Salomé voit apparaître la tête de Jean Baptiste dont elle a obtenu d'Hérode en dansant et en se dénudant qu'il ordonne sa décapitation. Sur la droite le bourreau comme une tache de sang. Sur la gauche Hérode enfoncé, ténébreux dans son trône près de sa femme instigatrice du supplice. Le décor fantasmé mêle les époques. La forte charge érotique de l'épisode se concentre sur le corps presque nu de Salomé.
Les colonnes sont gravées de figures empruntées à l'art roman. Le tympan de Moissac, ou les colonnes ornées de griffons de Brive
Une dernière partie de l'exposition évoque l'importance de la religion catholique sans laquelle il est impossible de comprendre le Moyen Âge. Chez Moreau, elle est présente, on pourrait dire omniprésente avec l'image de la femme tentatrice, une Eve susceptible de s'incarner dans les mythes qui la précèdent. Mais plus directement elle s'illustre avec les Saints les plus emblématiques comme Ste Cécile, St Martin ou Ste Elisabeth de Hongrie :
Si contrairement aux enluminures, les éléments architecturaux intérieurs gothiques sont rares chez Moreau il n'en est pas de même pour l'extérieur avec les anges voyageurs qui font halte sur les cathédrales.
Moreau s'inspire de croquis de Violet le Duc pour Notre-Dame.
Et cette année qui va voir se rouvrir les portes de Notre-Dame qui faillit disparaître dans les flammes, j'aime terminer cette balade avec ces anges posés avec légèreté sur les tours, gardiens de la cathédrale et de la ville.
Liens pour les articles de ce blog consacrés à Gustave Moreau :
Orphée sur la tombe d'Eurydice
La tombe de Gustave Moreau au cimetière de Montmartre