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Le musée Gustave Moreau est un des lieux les plus étonnants de Paris. Le peintre a voulu que sa propre maison reçoive les visiteurs qui ont l'impression d'y être invités et de découvrir son univers.
Dans la galerie du deuxième étage, une grande toile presque carrée (2,90 sur 2,82) nous entraîne dans un paysage étrange, baigné d'une lumière grise aux reflets blancs.
On ne sait si la nuit descend ou si l'aube s'élève.
Dans une lumière onirique, avance comme une vague, une procession dont l'avant garde a la blancheur de l'écume...
...et dont la crête est constituée par les trois rois mages sur leurs chevaux.
Ils se laissent porter, guidés par l'étoile, veillés par la colombe du Saint-Esprit.
Les rochers dont les contours rappellent le groupe qui avance, s'opposent cependant à lui : bloc pétrifié, bloc immobile et agressif que le cortège en mouvement va laisser derrière lui.
Alors que le paysage est fait de gris, de noir et de blanc, la couleur commence à frémir sur les rois.
Comme s'ils étaient en train de se créer, d'être créés par leur marche vers la crèche.
On imagine qu'au moment où ils rencontreront l'enfant, elle fera briller leurs yeux et scintiller les bijoux et les étoffes.
"Que la lumière soit"
"Que la couleur soit".
Le roi noir a la tête levée vers l'étoile.
Il est en partie caché par le cheval blanc.
Moreau a écrit sous une étude de ce tableau : "La race noire est enfantine et naïve dans ses croyances".
Préjugés d'une époque où la France des Droits de l'Homme colonisait l'Afrique et où ce mot de race appliqué à l'unique famille humaine, allait avoir les terribles conséquences que l'on connaît...
Le cheval blanc, les yeux bien ouverts, frappé de lumière, est au centre de la toile, entre l'étoile claire et la colombe de lumière.
Il sait où il va.
Les deux autres chevaux ont la tête baissée.
Lui, il la tient bien droite.
Il porte le roi oriental dont la race est "dorée, indolente et sensuelle".
"La race des rêves".
Le seul des trois rois à ne pas lever la tête vers la comète.
Le roi qui regarde devant. Là où la réalité va se transfigurer.
Le roi habitué à vivre dans les contes. Celui qui sait que tout est possible au cours de cette première ou de cette mille et deuxième nuit.
Son visage très fin, féminin, est frôlé par un oiseau bleu, ombre de l'oiseau blanc qui plane au-dessus de lui.
Au premier plan, le roi blanc, tout aussi féminin, tête levée vers l'étoile... Il est selon le peintre de" la race intelligente et droite dans la foi"...
Sa couronne où l'on aperçoit la fleur de lys se confond avec sa chevelure. son visage est tendu. Il questionne. Son oeil est vif. Il vérifie qu'il n'est pas abusé par une illusion d'optique.
Son cheval noir et nerveux, regarde le spectateur pour l'inviter à entrer dans le mystère et l'interroger à son tour.
Devant les chevaux, un groupe d'écuyers comme dessinés à la craie. Devant eux, marche l'avant-garde...
Ce sont de jeunes pages vêtus de blanc à la façon des lévites (comme écrit Moreau). Ils regardent l'étoile et avancent en chantant. Ils tiennent des branchages qui ressemblent à des palmes et sont destinés à chasser les serpents.
Les palmes ne peuvent manquer d'évoquer les Rameaux, l'entrée triomphale du Christ à Jérusalem, porté par un âne blanc...
Elles évoquent aussi la passion et l'immense procession des martyrs.
Les pages sont beaux et lumineux.
Par quel art, avec si peu de traits et si peu de détails, le peintre obtient-il cette précision, cette présence?
Dessin de craie sur l'asphalte de la nuit...
À l'arrière du cortège, la foule des musiciens et des guerriers...
Quelques taches de couleur font émerger des gazelles aux colliers de perles...
et un visage qui se tourne vers l'étoile.
Gustave Moreau, à propos des grands maîtres qu'il admire, écrit :"Ils ennoblissent leur sujet en l'encadrant dans une profusion de formules décoratives. Leur respect, leur piété ressemblent à ceux des Rois Mages apportant sur le seuil de la crèche le tribut des contrées lointaines".
Au premier plan, le cadavre d'un vautour.
Les charognards ne tournent plus dans le ciel, au-dessus du cortège protégé par l'oiseau de lumière.
Le mal et la mort ne sauraient faire partie de cette humanité qui monte vers la vie.
Une toile fascinante, à la fois lumineuse et crépusculaire. La gauche du tableau avec la foule indistincte et mal dégagée du magma de la création, le centre avec les rois qui entraînent derrière eux les continents, et à droite, comme déjà entrés dans l'éternité, ces jeunes hommes qui traversent la mort et les apparences comme un miroir....
Musée Gustave Moreau.
14 rue de La Rochefoucauld.
75009 Paris
Heures d'ouverture :
Lundi et mercredi de 11h à 17h15
Autres jours : de 10h à 12h45 et de 14h à 17h15.
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Fontevraud. Fresques de Thomas Pot.
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