Huit ans avant sa mort, Gustave Moreau peint cette toile, auto-portrait symbolique et crépusculaire.
Orphée pleure la mort d' Eurydice, la deuxième mort, la mort définitive.
La première fois Eurydice a été mordue par un serpent
Elle a été emportée dans le royaume des ombres
La deuxième fois, ressuscitée par le pouvoir de son époux, elle s'apprête à revenir à la lumière quand Orphée impatient, rompant le marché conclu avec Hadès, se retourne pour la voir... et la perdre définitivement.
Orphée ramenant Eurydice (Corot)
Le poète qui charmait les animaux sauvages et faisait se lever le soleil, abandonne tous ses pouvoirs.
Au pied d'un arbre foudroyé, il s'agenouille comme on le fait sur une tombe.
Sa lyre inutile est accrochée aux branches sèches.
La nature qui vibrait à son chant dépérit autour de lui. Les arbres entrent dans un automne mortifère. Leur feuillage rouge sombre se teinte de noir calciné.
Le fleuve stagne comme un marécage. Les roches se couvrent de mousse, de moisissure verte.
Orphée tourne le dos au monument de pierre érigé pour son épouse.
Il se laisse aspirer par la terre vers le gouffre où elle a été entraînée.
Sa tunique beue glisse sur lui. Son corps dépossédé de l'amour se dénude non plus pour les caresses mais pour la voracité de la mort.
On sait que la toile peinte en 1891 a été inspirée à Gustave Moreau par la mort en mars 1890 de celle qu'il appelait sa meilleure amie, Alexandrine Dureux.
Moreau considérait les femmes comme fascinantes et dangereuses. Leur corps blanc est attirant et fatal. C'est Salomé exigeant la tête de Jean-Baptiste, c'est Hélène flattée de son pouvoir sur les hommes, indifférente aux massacres qu'elle provoque.
Or dans ce tableau dont elle est absente la femme conserve son pouvoir de vie et de mort.Elle est celle sans qui le poète ne peut survivre, celle sans qui ses dons s'épuisent...
L'inspiratrice a emporté avec elle ce qui donnait au poète l'envie de chanter.
Mais c'est elle encore qui inspire cette toile...
Cet adieu à la beauté et à la création...
Ce chant du cygne.
Orphée inconsolable sera taillé en pièces par les bacchantes jalouses de l'amour qu'il continue de porter à Eurydice
Sa tête détachée du corps roulera au bord du fleuve avant d'être enterrée.
Même sous terre, là ou règne l'oubli, elle continuera de chanter le nom d'Eurydice.
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Le peintre prête à Orphée une douleur qui n'est qu'en partie la sienne. Alexandrine n'est pas Eurydice. Elle est la confidente précieuse mais elle n'est pas l'amante et l'amoureuse qui donne sens à la vie de l'homme.
Moreau qui s'est représenté sous les traits d'Orphée pleure une femme qu'il est incapable d'aimer comme un amant. Il pleure une femme qui est intouchable comme le serait une mère. Il pleure la souffrance qu'elle provoque en lui, mêlée de ressentiment et de remords. Il s'abandonne, il pose devant lui comme ultime réparation sa voix qui fait lever le soleil.
Une voix qui continuera de chanter, séparée de son corps, comme les œuvres du peintre continueront d'enchanter après sa mort.
Le symbolisme trouve ici une de ses plus belles illustrations!
Liens : Toiles de Gustave Moreau:
Gustave Moreau. La Vie de l'Humanité.
Gustave Moreau. Jupiter et Sémélé
Gustave Moreau. Les Rois Mages.
Gustave Moreau. Prométhée foudroyé.
Gustave Moreau. Le Christ et les deux larrons.
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