Article de 2019 repris et complété après l'exposition de l'été 2023 au musée de Saint-Pierre d'Oléron.
La maison des aïeules à Saint-Pierre d'Oléron où Pierre Loti est enterré sous une simple pierre, ne vous ouvrira pas ses portes.
L'écrivain qui a exprimé ses dernières volontés dans son testament, après avoir décrit l'emplacement de sa sépulture a dressé la liste de la dizaine de personnes qui seraient autorisées à lui rendre visite, au maximum deux fois par an.
Cette précaution qui pourrait passer pour de la modestie renforce le mystère et l'attrait du lieu interdit aux "profanes". Toutes proportions gardées (et lesquelles!) il en est de la maison comme de la pyramide où le pharaon repose au plus secret du monument devenu sanctuaire.
Autant Pierre Loti s'expose dans la maison de Rochefort devenue musée (livrée à une interminable restauration) autant il veut garder privé cet endroit à la fois précieux et douloureux où il a voulu reposer après avoir été emporté par la mort, "la reine des épouvantements".
Pierre Loti est dès l'enfance obsédé par le temps qui passe et par la mort qui triomphe toujours. Il collectionne les insectes, les coquillages, les menus objets comme pour les soustraire à la menace. Les chères aïeules font partie de ce monde menacé et précieux.
La maison des aïeules, comme il la nomme, a appartenu à la famille de sa mère, les Renaudin, dès 1677. Ce n'est qu'en 1834 qu'elle est vendue. Sa grand-mère, sa tante Claire et sa cousine Corinne viennent alors vivre à Rochefort où elles parlent souvent de la maison perdue.
Le petit Julien les entend raconter les vieilles histoires oléronaises et peu à peu l'île prend place dans son imagination d'enfant. Malgré ses vacances à la Brée à quelques kms de la maison de Saint-Pierre, il la connaît peu.
Avant de quitter la France pour son "premier départ de marin" il se rend dans l'île pour dire adieu à ses tantes qui vivent non loin de l'ancien domicile familial.
"Ma grand-tante Clarisse, quatre-vingts ans, soeur de ma grand-mère et ruinée définitivement comme elle, m'attendait dans l'un de ses toujours mêmes fauteuils Louis XIV en tapisserie, les plus luxueux débris qu'elle possédât encore de l'aisance ancienne(…) Près d'elle se tenaient ses deux filles, mes tantes à la mode de Bretagne, déjà d'une soixantaine d'années et les cheveux très gris, mais qui cependant se coiffaient d'une manière moins archaïque".
A cette occasion, il se rend dans la vieille maison habitée alors par le pasteur : "On me laissa errer seul dans le grand jardin enclos de murs, où des buis centenaires bordaient les allées, et, tout au fond, dans le bois où dorment nos aïeux huguenots qui furent exclus des cimetières catholiques (...)
Plus tard, en 1899, après la mort des aïeules, le succès littéraire lui permet de racheter la maison. C'est pour lui l'aboutissement, la dernière escale définitive après tant d'autres. C'est là qu'il retournera dans l'enfance heureuse, dans l'amour de sa mère. C'est là qu'il se mêlera à la vieille terre des ancêtres. Il demandera que son cercueil soit défoncé "après sa descente dans la fosse, pour être mieux et plus vite mélangé à la terre".

Tombe de Pierre Loti
C'est au cours de ce voyage d'avril 1899 qu'il retourne dans la maison dont il est devenu propriétaire.
"Elle est là, devant moi, l'antique maison familiale (…) Elle semble être l'âme de ce vieux petit quartier mort qui l'entoure et qui, en plus de sa tristesse d'abandon, exhale aussi l'inexprimable tristesse des îles"...
Il franchit le porche et entre dans la cour :
"Oh! Comment dire l'émotion de voir réapparaître, sous ces nuages de deuil, cette cour silencieuse des ancêtres!... (…) Et voici que j'ai le sentiment de pénétrer chez les morts, chez les aïeules mortes. Nulle part autant qu'ici et à cette heure le passé ne m'avait enveloppé de son linceul."

Il gravit avec respect les marches du perron "où, vers la fin du XVIIème siècle, à ce que l'on m'a souvent conté, de joyeuses petites filles (qui furent mes grand-tantes, mon aïeule, et moururent octogénaires) avaient pour jeu favori de monter et de descendre en courant, sur des échasses."

De l'autre côté de la cour s'élèvent les bâtiments des chais, des pressoirs ainsi que la demeure des domestiques. Il y a là une pièce où comme on le lui a raconté, les enfants se réfugiaient les jours de pluie. Sa mère, avec une bague a gravé son nom sur une vitre.

"Je n'espérais point retrouver cela; mais le carreau a miraculeusement résisté à soixante années de possession étrangère, et la précieuse inscription y est encore! (…) NADINE!...Alors je ferme les yeux et me recueille plus profondément pour me représenter, dans sa petite toilette surannée, l'enfant qui écrivit cela, vers 1820, un soir d'ennui sans doute, en regardant tristement cette même rue de village toujours pareille, un soir où la pluie devait tomber comme aujourd'hui."
C'est ensuite dans le jardin et le petit bois que Loti marche, habité par les vieilles histoires racontées au cours de veillées familiales. Son fils Samuel qui a fait le voyage avec lui est enthousiasmé par cette nature et fait promettre à son père qu'ils reviendront habiter la maison.
"Résider ici, fût-ce même en passant (…) voir chaque matin à mon réveil ce jardin-cimetière, non je ne pourrais plus!... A moins que ce ne soit plus tard dans la suite des années, si, quelque part en Orient, je ne tombe pas au bord d'un chemin… Oui plus tard, qui sait, rentrer pour le déclin de ma vie, puis dormir dans ce vieux sol où gisent des ossements d'ancêtres…"
Samuel à qui il promet cependant de revenir avec lui ne peut savoir que son père dit vrai. Ils y reviendront tous deux et c'est Samuel qui se chargera de défoncer le cercueil dans la fosse où il aura été descendu, afin de respecter les dernières volontés de son père.
On comprend devant l'intensité des sentiments de Pierre Loti confronté à l'irréparable saccage que la disparition des êtres chers provoque en nos vies, qu'il ait voulu s'entourer de silence et que soit refermée la porte "comme on scellerait une entrée de sépulcre".
Et pourtant, il exprime dans Le Roman d'un enfant son désir fou, sa certitude illusoire que l'amour est plus fort que la mort :
En quittant ce lieu simple et hanté, j'ai remarqué qu'au-dessus des arbres du petit bois, on apercevait là-bas, la lanterne des morts, tour romane qui veillait sur le cimetière de Saint-Pierre. On sait qu'une flamme y était allumée chaque nuit pour guider les défunts.
J'aime penser que chaque nuit, elle éclaire Pierre Loti et ses chers fantômes.
Liens :
Oléron
En complément de cet article, voici quelques peintures et dessins de la maison des aïeules qui font partie de l'exposition proposée par le musée de Saint-Pierre en cette année qui marque le centenaire de la mort de Loti.