Voilà une figure inoubliable de Montmartre ...
Un homme qui a marqué la Butte de sa gouaille et de sa fantaisie. Un épouvantail, un ivrogne, un dépravé, un magouilleur...
Clochard sublime, roi de la bohême, mythomane kleptomane, affabulateur narquois... Que n'a-t-on dit de lui !
De son vrai nom, André Joseph Salis de Saglia, Bibi La Purée était un trouble personnage, fascinant et repoussant à la fois...
Il était mendiant, pique-assiettes, cireur de chaussures, entremetteur et selon certaines langues vipérines (ou non), indic !
Ce qui est certain c'est qu'il errait dans Montmartre, entre deux vins ou deux absinthes, vêtu de hardes malodorantes. Il assurait aux passants qu'il était en mesure de leur fournir tout ce dont ils avaient besoin. Ainsi était-il souvent chargé d'objets hétéroclites, selon les demandes qu'il avait reçues.
Il s'était spécialisé dans les vols de parapluie et le cirage des pompes.
Bibi cireur de chaussures (Jacques Villon)
Ce Bibi (1847- 1903) fut aussi compagnon de Verlaine qu'il rejoignait au Quartier latin. Il prétendait être son secrétaire et avoir été son amant. On ne prête qu'aux riches !
Verlaine, Bibi et Mallarmé au Procope. (1890, Serafino Macchiati)
C'est en partie grâce à cette relation avec le poète que l'on parle encore de lui aujourd'hui.
C'est aussi parce qu'il a attiré l'attention de peintres et de poètes qui fréquentaient la Butte et le choisirent pour modèle...
Bibi la Purée. Picasso.
Bibi la Purée assis. Picasso.
Bibi (Jacques Villon)
Bibi la purée (Bottini)
Bibi à la pittoresque allure a été peint par Picasso, jacques Villon, Bottini et croqué par Steinlen qui avait l'habitude des matous efflanqués...
Il aurait pu l'être par Renoir dont il fréquentait la cuisine, rue Girardon, où Adèle le laissait vider un bocal de cornichons et un litre de rouge, en écoutant d'une oreille distraite les poèmes qu'il débitait pour payer son écot !
Il a même été immortalisé dans le bronze par Bailleul!
...Et il apparaît ici ou là dans des poèmes ou des romans.
Jehan Rictus lui consacre une complainte :
Dessin de Steinlen pour "Les Soliloques du Pauvre" de Rictus.
Complainte pour complaire à Bibi-La-Purée
"Stupeur du badaud, gaîté du trottin,
Le masque à Sardou, la gueule à Voltaire,
La tignasse en pleurs sur maigres vertèbres
Et la requinquette au revers fleuri
D'horribles bouquets pris à la poubelle,
Ainsi se balade à travers Paris,
Du brillant Montmartre au Quartier latin
Bibi-La-Purée, le pouilleux célèbre,
Prince des crasseux et des Purotins.
(...) Va comédien, noble compagnon,
Cabot de misère, ami de Verlaine,
Errant de Paris, spectre d'un autre âge
Que ne renieraient Gringoire ou Villon."
Dessin de Sophie Pimberton
Paul Fort le cite dans son poème "L'Enterrement de Verlaine", comme compagnon fidèle et garde du corps du poète !
Poème que Brassens enregistrera un demi siècle plus tard !
L'enterrement de Verlaine.
(...) N'importe ! Je suivrai toujours, l'âme enivrée
Ah ! Folle d'une espérance désespérée
Montesquiou-Fezensac et Bibi-la-Purée
Vos deux gardes du corps - entre tous moi dernier."
Bibi par Géo Dupuis
Raoul Ponchon lui consacre un poème sans concession :
(...) "Qui étais-tu? D'où venais-tu?
Espèce de Bibi têtu,
Entre le vice et la vertu.
Paresseux jusqu'au délire
Et maigre au point qu'on pouvait lire
Toutes les cordes de ta lyre !
Que le Seigneur et Notre-Dame
Prennent pitié de ta pauvre âme
Ta pauvre loque et chiffe d'âme !"
Voilà qui n'est pas très flatteur, mais que savait Ponchon de l'âme de Bibi?
Ce Bibi qui lui-même se prétendait poète. Ce qui à en juger par ses vers n'est pas évident...
Portrait d'homme (Bibi la purée) Picasso.
La Lettre à deux sous
"Depuis Monsieur Grévy, l'on corne à nos oreilles
Des journaux, chaque matin
Qu'on nous mijote un beau destin
Tout de velours, d'or, de satin :
Des impôts pour la frime et des lois sans pareilles,
Du pain garni de beurre, au-dessus, en-dessous,
Rien que des folles nuits, après des jours bien calmes,
Des rubans et des croix, des poireaux et des palmes
Et surtout la lettre à deux sous !!!" (...)
Portrait de Bibi (Sophie Pimberton)
Après la mort de Verlaine, en 1896, Bibi se transforme en revendeur officiel d'objets, de lettres, ayant appartenu au poète. Il en fait un commerce lucratif, comme le fut le celui des reliques de la vraie croix au Moyen-Âge!
Ainsi, parvint-il à fourguer plusieurs dizaines de cannes ayant appartenu à Verlaine
Bibi meurt quelques années plus tard à l'hôpital de la Pitié. Pendant quelques années son souvenir reste vivace à Montmartre et au Quartier latin. Un char à son effigie est promené par les étudiants lors d'un carnaval et plus tard, en 1934, le film de Léo Joannon portera son nom!
Personnage étrange qui semble faire un pied de nez à la mort avec son sourire matois et sa dégaine de j'menfoutiste, il n'a pas disparu de la Butte...
Vous le rencontrerez peut-être, rue Lepic ou rue Norvins, et comme il pleut souvent sur la Butte, vous aurez l'occasion de lui acheter un parapluie!
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bibi la purée (Pablo Tillac)