Quand elle vient habiter avec sa mère le bas Montmartre, la jeune Marie-Clémentine Valadon a 16 ans.
Sa beauté qui allie grâce et vigueur attire les peintres qui font d'elle des portraits aujourd'hui célèbres.
La jeune femme, pendant les séances de pose chez Puvis de Chavannes, Renoir ou Lautrec, ressemble aux chats indifférents qui en réalité observent et méditent...
C'est ainsi qu'elle fait l'apprentissage d'un art pour lequel elle avait sans le savoir un véritable don. Elle devient elle même peintre et il n'est pas étonnant qu'elle ait aimé représenter les chats auxquels elle ressemblait!
Sur cette photo prise dans l'atelier de la rue Cortot, on la voit entre son fils et son mari.
C'est un moment heureux, un moment de pose et de pause, d'autant plus harmonieux qu'il y a sur ses genoux le chat Raminou, tête levée vers elle.
On imagine qu'il ronronne.
Utrillo l'envie peut-être, lui qui a tant souffert de l'absence de sa mère pendant son enfance, lui qui a vu son meilleur ami, André Utter, plus jeune que lui, devenir l'amant puis le mari de sa mère.
Raminou s'enfuit sous un meuble ou dans les jardins quand Utrillo est en proie à l'un de ses accès de folie. Il attend que le calme revienne avant de retrouver l'atelier lumineux où Suzanne Valadon travaille.
De temps en temps, c'est lui qui se retrouve sur la toile ou sur le carton. Il ignore qu'il sera un jour admiré par les visiteurs des plus grands musées! Les chats n'ont aucune vanité et ne trouvent d'intérêt qu'à la seconde présente!
Renoir a croqué Raminou.
Steinlen, l'ami qui vient , en voisin de la rue Caulaincourt dans les jardins de la rue Cortot, l'a souvent caressé. C'est un chat sociable et bien nourri, différent des matous efflanqués du maquis que Steinlen aime saisir dans leur fière indépendance.
Sur cette toile de 1922 Raminou s'est posé sur les genoux de miss Lily Walton. Il profite de ce temps de silence pour regarder sa maîtresse et s'interroger sur son étrange activité, sur ce pinceau qui court sur la toile comme un moineau. Il a bien essayé alors qu'il était petit de l'attraper mais il a reçu une tape sur l'arrière train qui l'a dissuadé de recommencer!
Parfois d'autres chats que le seigneur Raminou se laissent peindre....
Mais le plus souvent, c'est Raminou qui reçoit sur la toile, les caresses de sa maîtresse. Entre le tableau de 1917 et celui de 1932 le représentant, le temps a passé, les jours agités mais souvent heureux de la rue Cortot se sont enfuis.
Suzanne Valadon et André Utter se sont séparés en 1926.
Elle quitte la rue Cortot pour habiter avenue Junot (au 11) dans la maison achetée par son fils avec l'argent qu'a rapporté la vente de ses tableaux.
De ces années date le dernier portrait de Raminou. De 1932 exactement. Le chat est âgé d'au moins 16 ans, peut-être 18 puisqu'il a été recueilli adulte.
Le portrait est émouvant. Le vieux Raminou a perdu son éclat fauve. Il est couché sur une table de jardin près d'un bouquet d'œillets dans un pichet.
A côté de lui est posé un linge blanc qui évoque un linceul. Il a les yeux ouverts et regarde toujours sa maîtresse.
Peut-être vivra t-il encore quelques mois après cet ultime portrait. Trois ans plus tard, c'est Suzanne qui sera hospitalisée et consciente de sa fragilité poussera son fils à quitter l'avenue Junot pour épouser Lucie Valore et vivre avec elle au Vésinet.
Les trois dernières années de Suzanne sont terribles. Elle supporte mal sa solitude, ne sort plus que la nuit pour traîner avec les clochards de la Butte.
Elle meurt d'une hémorragie cérébrale en 1938.
On dit que les chats ont des pouvoirs magiques.
Raminou, le petit compagnon des années heureuses est sans doute venu, à pattes de velours, dans cette nuit brutale. Il a entraîné sa maîtresse dans le grand jardin de la rue Cortot qu'elle aimait tant et où le printemps les a accueillis...
Avec des brins de mimosa et un coussin bleu...