Nous avons étudié dans leur richesse et leur diversité les sculptures de la Basilique mais sommes restés interrogatifs et intrigués devant l'une d'elles.
Elle n'est pas très visible et il faut se coller le dos au mur du jardin de l'église Saint-Pierre, rue du Cardinal Guibert pour l'apercevoir là où peu de touristes ne la détectent.
Elle est peu spectaculaire et ne porte pas ombrage aux nombreuses gargouilles, monstres ou animaux plus familiers qui hérissent le monument.
Comme l'on sait, au Moyen-Âge les monstres et les gargouilles à l'extérieur de l'église étaient censés la protéger du mal, des mauvais esprits diaboliques qui tenteraient d'y entrer.
D'ailleurs la sculpture qui occupe l'angle gauche de l'arc où se tient notre sculpteur représente bien une chimère, un improbable rapace à tête de chouette, saisissant dans ses serres un malheureux poulet.
En bonne logique elle aurait dû avoir sa pareille dans l'angle qui lui fait face.
Or tel n'est pas le cas! la seule sculpture qui ne représente pas une chimère ou un animal (mis à part la façade, le Saint-Michel du chevet et les figures du tambour du dôme) c'est cet homme allongé en train de pratiquer son art.
Il tient à la main ses outils. Son visage est réaliste et fait penser aux photos du début du XXème siècle quand tout homme qui se respectait se devait de porter moustache.
Les principaux sculpteurs de la Basilique sont connus et leurs œuvres répertoriées. Il faudrait l'aide d'un spécialiste de cette sculpture de la fin du XIXème et début du XXème pour attribuer à notre statue mystérieuse son créateur.
Quand des photos existent des plus connus de ceux qui ont été choisis pour donner vie à la fameuse pierre de Chateau-Landon, il faut reconnaître qu'ils ont tous un air de ressemblance et portent moustache! De plus leur renommée leur aurait rendu difficile un travail quasi clandestin.
Les sculpteurs les plus connus sont Barrias et Gustave Michel, choisis par Charles Garnier et très appréciés en leur temps. Il faut leur ajouter Léon Fagel, Hubert-Louis Noël et Hyppolite-Louis Lefebvre à qui l'on doit les statues équestres de la façade.
On sait que des dizaines de sculpteurs moins connus travaillèrent au chantier et réalisèrent quelques-unes des gargouilles qui hérissent la basilique. C'est sans doute l'un d'eux qui s'est représenté modestement, à peine détectable, sur le flanc ouest du Sacré-Cœur.
Pourquoi? Pour immortaliser son travail? Pour dire qu'il était là, participant à l'oeuvre colossale? Il aurait alors inscrit son nom sur la pierre.
Il a bien pris la peine de graver des lettres sur le socle, non pas celles de son nom mais cette phrase : "Qu'il lui soit beaucoup pardonné".
Libre à nous d'imaginer alors ce qui poussa cet homme à se représenter pour demander d'être absous de ses fautes par un pardon accordé sans compter ("beaucoup")
Se sentant coupable de fautes qu'il a peine à porter, peut-être a-t-il pensé à Marie-Madeleine, dont l'image est présente dans la statuaire de la basilique. "Ses nombreux péchés ont été pardonnés car elle a beaucoup aimé".
Marie Madeleine (Louis Noël. Façade)
Le parfum qu'il a à offrir, c'est ce qu'il a de plus précieux, son art de sculpteur, ce sont les heures passées à donner vie à cette pierre de Chateau-Landon si difficile à travailler.
On sait que cette pierre possède une qualité bien à elle, une qualité exceptionnelle, elle s'auto-nettoie avec la pluie. C'est la raison pour laquelle le Sacré-Cœur n'a pas besoin de ravalement.
Enfin! Disons que les parties de cette église exposées à la pluie restent blanches et immaculées tandis que celles qui sont au nord ou à l'abri des averses noircissent. Notre sculpteur mystérieux a choisi un humble emplacement, en partie exposé, en partie protégé. En partie blanc, en partie noir!
Mais l'espoir est permis, avec le dérèglement climatique, qu'un bon déluge parachève le travail et le rende un jour blanc comme un agneau! Sa prière aura alors été entendue!
Liens :
Les sculptures du Sacré-Cœur
Statues équestres. Saint Louis et jeanne d'Arc. Hippolyte Lefebvre.
Saint Michel terrassant le dragon