Pas un monument parisien n'a été aussi décrié que celui-là!
Verrue blanchâtre, pâtisserie saint sulpicienne, monstruosité kitsch, insulte revancharde aux morts de la Commune.....
Les gens de goût se pinçaient les lèvres et le nez à sa vue, comme ils le firent devant sa contemporaine, la Tour Eiffel, son ancêtre le Palais Garnier ou le plus moderne Musée Pompidou...
"Les gens de goût" n'ont pas de goût!
Des générations et des millions de touristes plus tard, l'image de la Basilique n'a pas totalement changé.
Il faut une virginité du regard et une simplicité d'âme pour lui trouver des allures de ville byzantine, de palais oriental, d'envol de montgolfières au-dessus des nuages.
Certains artistes pourtant avaient été sensibles à sa force et à sa beauté.
Léon Bloy : "C'est un monument très beau qui atteste une magnifique puissance chez le constructeur. La médiocrité architecturale du Sacré-Coeur est un lieu commun aussi bête que tous les autres."
Max jacob : "Je continuai à suivre les offices, ceux du Sacré-Coeur de Montmartre, mon église d'élection que je regarde encore aujourd'hui comme le pays natal de ma foi."
Et que dire d'Utrillo qui ne se lassait pas de le peindre et qui désirait y être enterré?
La visite du dôme permet de sentir la puissance de ce rêve de pierres. Elle nous conduit après 300 marches dans la galerie qui s'ouvre sur le ciel et sur Paris.
Avant de s'élever, il faut descendre, sur la droite de la basilique quelques marches qui conduisent au guichet où l'on acquitte un péage de 6 euros. Monter au ciel est aussi une question d'argent!
Pas un bonjour, pas un sourire de la caissière qui vous pose une seule question : Département?
-Pardon?
Votre département?
Il faut attaquer maintenant la montée des 300 marches. Ce qui frappe alors que l'extérieur est d'une blancheur de craie, c'est la noirceur des murs lustrés par les mains qui s'y sont frottées. Tout est sombre et étroit, mal éclairé par d'étroites fenêtres opaques.
C'est que la pierre,"Château-Landon" venue de Souppes sur Loing, qui a été utilisée pour la construction du Sacré-Coeur a une particularité. Elle blanchit au contact de l'air et se ravive avec la pluie. Ce qui est vrai à l'extérieur (le Sacré-Cœur n'a pas besoin d'être ravalé) ne l'est pas à l'intérieur!
Cette pierre étonnante est très dure et son grain est très fin, si bien qu'elle est délicate et difficile à tailler, aussi difficile que le marbre.
Un petit passage nous permet de gagner un deuxième escalier dans le dôme lui-même.
C'est l'occasion de voir les toits de pierre....
Les gargouilles parmi lesquelles un petit rat bien sympathique!
Les descentes pluviales...
...Saint Michel vu de dos qui semble glisser sur le mur... la sculpture (1908) est due à Sicard et elle a des relents nationalistes, l'archange figurant la France terrassant ses ennemis représentés par un crocodile!
Les chapiteaux sculptés de motifs végétaux à la fois souples et géométriques, annonciateurs de l'art déco.
On peut voir également, faisant le tour du dôme des corbeaux originaux. Les visages sculptés représentent les principaux architectes et sculpteurs de la basilique...
Après un dernier effort, on émerge dans la galerie qui fait le tour du dôme, à 83 mètres du plancher des vaches.
Il n'y a plus qu'à tourner en essayant de ne pas céder au vertige... au nord on peut admirer le campanile, le phare de Paris qui porte la Savoyarde, la plus grosse cloche du monde, hissée en 1895 et qui plus tard recevra quatre petites sœurs venues de l'église Saint Roch : Félicité, Louise, Nicole et Elisabeth.
Le Campanile est dû à l'architecte Lucien Magne qui prit la direction des travaux du Sacré-Coeur après la mort de Paul Abadie.
C'est l'occasion d'admirer les remarquables sculptures à chaque angle de la tour. Les anges aux ailes déployées sont dues à Jean Dampt.
Hauts de cinq mètres, les anges portent chacun un des quatre évangiles.
Ils figurent parmi les plus belles sculptures de la basilique...
Les symboles des évangélistes sont représentés au-dessus. Plus audacieux que les anges, ils sont déjà de style art déco alors qu'ils ont été sculptés entre 1910 et 1912
Ils sont l'œuvre de Henri Bouchard dont l'atelier parisien riche de plus de 1000 œuvres est en cours de réinstallation à Roubaix.
.... En partant du nord où débouche l'escalier, un paysage divers se révèle où les amoureux de Paris détacheront comme dans un puzzle les monuments où les rues qui les intéressent.
Le jardin-potager du Carmel
Saint-Vincent de Paul
Le porche blanc des anciens magasins Dufayel et la rue André Del Sarte avec mon immeuble, le seul qui ait des tuiles!
Beaubourg
Saint Eustache. Négligeons la Tour Montparnasse qui se voit de partout et qui a gagné le prix de l'immeuble le plus laid de Paris.
Mais oui! C'est elle! La tour contemporaine de la basilique et comme elle décriée en son temps!
La Défense
En contrebas Saint-Pierre, la vieille église de l'Abbaye avec son jardin et son cimetière.
Ce jour d'avril le vent souffle en tempête et j'ai l'impression d'être sur un navire!
Le mal de mer ou le mal de ciel m'oblige à redescendre vers la houle des toits de Paris!
Le dôme du Sacré-Coeur a été peint par de nombreux peintres qui ont participé ainsi à sa gloire! Oublions les chromos painted in china qui ont envahi les boutiques de souvenirs et dont la laideur s'est abattue sans pitié sur Montmartre!
Suzanne Valadon a peint le dôme qu'elle voyait depuis les jardins du 12 rue Cortot où elle avait son atelier (reconstitué fidèlement dans le nouveau musée de Montmartre).
Marie-Claire Humeau le fait apparaître comme un sommet enneigé au-dessus de la rue Saint-Rustique.
Bernard Buffet l'allonge et le tire vers les hauteurs. Comme il y a des femmes-girafes, il y a chez lui un Sacré-Coeur girafe!
Udolf Quittner a saisi la magie de ce dôme qui change de couleur avec les heures et qui le soir s'élève doucement au-dessus des toits...
Nous le quittons avec cette "vision" d'Andres. Le Sacré-Coeur comme les derniers ours blancs que les eaux vont engloutir!