Peu à peu s'atténuent les jugements péremptoires sur cette basilique que certains exècrent pour des raisons de "bon goût" ou plus souvent pour des raisons historiques, pensant, à tort, qu'elle a été élevée pour rendre grâce après la défaite de la Commune.
Il est vrai que l'emplacement qu'elle occupe est celui où étaient alignés les canons de Montmartre, prêts à riposter aux Prussiens. C'est là que commença la Commune quand les troupes versaillaises voulurent confisquer les canons "populaires".
Mais la basilique fut édifiée pour demander la protection divine sur la France après la victoire des Prussiens en 1870 et non pour "fêter" l'écrasement de la Commune.
Question esthétique, elle est le dernier grand monument de Paris avec Beaubourg à exciter encore les gens de goût qui comme on le sait n'ont de bon goût que le leur.
Pour le Montmartrois indécrottable que je suis, elle est une ville orientale avec ses coupoles et ses tours, un décor onirique qui accroche le soleil au point de faire cligner les yeux et qui la nuit apprivoise les ombres qui se couchent contre ses formes blanches.
La façade est à n'en pas douter une réussite architecturale. Précédée d'un porche qui l'anime, elle n'essaie pas de voler la vedette aux coupoles et à l'élévation du monument qu'elle laisse se développer de part et d'autre. Elle est édifiée dans le prolongement du seul chœur et non de toute la largeur de la basilique comme d'autres projets retenus le prévoyaient.
Paul Abadie a été vertement critiqué pour son parti pris inspiré par le roman de Saintonge. Pour le porche, il n'a pas oublié la restauration qu'il assura du narthex nord de Saint-Front de Périgueux.
Sur les murs latéraux du narthex de Saint-Front Abadie voulait que deux cavaliers soient installés. Ce projet resta à l'état de projet alors qu'à Montmartre il se réalisa avec bonheur. Les deux statues équestres faisant oublier la lourdeur des contreforts.
Ces deux statues font partie des œuvres remarquables du monument. Elles sont dues à Hippolyte Lefèvre (1863-1935). Prix de Rome et médaille d'or à l'exposition universelle de 1900. Ce sculpteur, malgré un certain académisme, sait animer la pierre ou le bronze d'un vigueur charnelle.
La statue côté ouest représente Saint-Louis, épée dirigée vers le sol. Il symbolise la justice.
Côté est, Jeanne d'Arc, épée levée prête à bouter l'Anglais hors de France, symbolise la Sainteté!
Abadie s'est inspiré des édifices byzantins comme Sainte-Sophie dont les célèbres chevaux volés par les Vénitiens pour Saint-Marc, volés par les Français pour l'arc de triomphe du Carrousel du Louvre, restitués à Venise... font l'admiration de tous!
La tempérance
Le porche est percé de trois baie en plein cintre. On voit sur le bandeau supérieur des bas-reliefs représentant les 4 vertus cardinales, inspirées de l'Antiquité grecque : la Prudence, le courage, la tempérance et la justice.
Le courage
Le courage qui au lieu de maîtriser le lion de Némée comme dans les représentations antiques, tue le serpent qui cherche à occuper l'église.
La prudence qui tient un miroir symbole de réflexion! Dans l'Antiquité ces vertus platoniciennes étaient représentées par des femmes, ici Sacré-Cœur oblige, ce sont des anges... (mais au fait, quel est le sexe des anges?)
Une fois sous le porche d'où on jouit d'une vue époustouflante sur Paris, on pourra admirer les lourdes portes de bronze et leurs six panneaux historiés dus à Hippolyte Lefèvre.
Portail central : La Cène
Portail central : La multiplication des pains.
Portails latéraux : La guérison du paralytique
Marie Madeleine aux pieds de Jésus.
Jésus au milieu des enfants
La guérison du fils de la veuve de Naïm.
Tous ces panneaux sont chargés d'illustrer l'amour du Christ.
On remarquera encore, au-dessus des portes, les tympans sculptés, à mon avis académiques et sans étincelle d'originalité. De plus, étant à l'abri des pluies qui nettoient la pierre blanche, elles subissent la pollution qui monte depuis les boulevards encombrés jusqu'au sommet de la Butte.
Deux des trois tympans sont sculptés par Léon Fagel (1851-1913) :
La transfixion (le soldat romain perce le flan du crucifié)
Moïse faisant jaillir l'eau du rocher.
Léon Fagel est un sculpteur bien oublié qui fut très apprécié en son temps. Il reçut des commandes pour le Muséum, la Sorbonne et le Théâtre français. La Bible l'a beaucoup inspiré, beaucoup plus que son époque!
Le tympan du portail occidental est dû à Hippolyte Lefèvre et illustre l'incrédulité de Saint-Thomas qui touche les plaies du Christ.
La façade au dessus du porche reprend le rythme de trois baies en plein cintre abritant des vitraux et dont les tympans ouest et est sont sculptés
Sur le tympan ouest on peut voir Marie-Madeleine aux pieds du Christ, sculpture de Louis Noël. Un sculpteur artésien (je ne peux donc que l'aimer!) dont de nombreuses oeuvres se trouvent dans sa région d'origine et notamment à Saint-Omer.
Le tympan oriental représente Jésus et la Samaritaine. La sculpture est due à André d'Houdain (1859-1904) lui aussi homme du nord dont on peut voir quelques réalisations au musée d'Orsay, au musée des Beaux Arts de Lille ou à Carnavalet.
L'ensemble des sculptures est une bonne représentation des tendances de la fin du XIXème siècle et des influences des arts byzantin-roman-gothique et renaissance, excusez du peu, entre lesquelles hésitent les sculpteurs quand ils n'ont pas le génie d'un Rodin ou d'un Carpeaux.
La partie supérieure de la façade, entre les tourelles, abrite une niche chargée d'accueillir la statue la plus emblématique, celle du Christ découvrant son cœur. Elle est mise en valeur plus que dans plusieurs des projets initiaux. C'est Abadie qui a tenu à ce qu'elle soit là, en vedette, et non perchée au sommet.
Christ perché du projet de Raulin et Dillon
La statue a connu plusieurs avatars...
La première statue de Georges Thomas, a été détruite accidentellement lors de la Fête du Sacré-Cœur en 1900. Elle était plus originale que celles qui lui succédèrent mais déplaisait aux membres du Comité.
La deuxième statue commandée à Gustave Michel fut à son tour reléguée au profit d'une troisième, définitive, due à Seguin qui s'inspirait de la statue du "Beau Dieu" de la cathédrale d'Amiens.
Elle est une copie affadie de l'original et il faut reconnaître que malgré sa place d'honneur, elle n'a que peu de ressemblance avec la grande sculpture gothique amiénoise.
De part et d'autre de la niche, poule et pélican rappellent métaphoriquement l'amour divin :
La poule qui couve ses petits.
"Jérusalem! Combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants comme la poule rassemble ses poussins sous ses ailes?"
Et le pélican prêt à se sacrifier pour nourrir ses petits en leur donnant son cœur. Pélican qu'on retrouve à l'intérieur sur les mosaïques :
Il nous rappelle, version laïque, le poème de Musset :
(...) "Le sang coule à longs flots de sa poitrine ouverte;
En vain il a des mers fouillé la profondeur;
L'océan était vide et la plage déserte;
Pour toute nourriture il apporte son cœur."
C'est donc toute une histoire chrétienne et symbolique qui se déploie sur la façade. Mais ce qui frappe avant tout c'est l'harmonie et la simplicité de cette proue qui semble s'avancer dans le ciel pour voguer sur la mer des toits argentés de Paris!
Le Sacré-Cœur, articles du blog :
Les statues équestres de la façade
St-Michel terrassant le dragon, chevet de la basilique