Il y avait dans l'atelier de François Gabriel, un tableau étonnant de Marcel Matho, l'artiste qui conçut l'affiche que le photographe utilisait comme enseigne, au 36 rue Muller, aujourd'hui 2 rue Utrillo.
Panneau de Matho qui servait d'enseigne à François Gabriel
Le tableau représente quatre des gloires de la vie artistique de la fin du XIXème siècle. Elles y sont croquées d'un trait vif et élégant.
Ces caricatures méritent d'être connues. Elles viennent s'ajouter à des milliers d'autres, mais, étant inédites, elles apportent un regard nouveau sur ces artistes...
Tout d'abord, Edouard de Max, bien oublié aujourd'hui mais qui fut considéré comme le plus grand acteur lyrique de son temps. Il est né en 1869 en Roumanie et il fit sa carrière à Paris où il connut vite la célébrité. Il a joué aux côtés de Marguerite Moréno, Sarah Bernhardt et Antonin Artaud.
Il ne craignait pas de faire scandale en affichant ouvertement son homosexualité et en jouant nu dans le Prométhée de Jean Lorrain dont il fut l'amant.
Un dessin plus tardif de Cocteau le montre, cou relâché, cheveux teints... mais toujours l'air très satisfait de lui-même!
Nous découvrons ensuite, dans sa maturité rayonnante, la grande, l'unique, l'irremplaçable Sarah Bernhardt.
On a du mal à imaginer la passion qu'elle suscitait et les foules qu'elle déplaçait en Europe comme en Amérique...
Cette femme exceptionnelle possédait un charisme qui subjuguait les spectateurs. Victor Hugo la surnomma "la voix d'or" et Jean Cocteau inventa pour elle l'expression aujourd'hui galvaudée de "monstre sacré".
Elle inspira bien des créateurs de l'Art Nouveau dont Mucha qui devint son affichiste officiel lorsqu'elle reprit le théâtre des Nations qu'elle rebaptisa modestement théâtre Sarah Bernhardt.
Edmond Rostand écrivit pour elle "l'Aiglon" et Oscar Wilde répondit à la commande qu'elle lui fit d'une nouvelle "Salomé".
Affiche de Mucha pour Médée.
Elle s'engagea politiquement avec courage en soutenant Emile Zola lors de l'affaire Dreyfus et en prenant fait et cause pour Louise Michel. Enfin, elle milita sans relâche, bien avant Badinter, contre la peine de mort.
Edmond Rostand l'appréciait beaucoup et lui dut en grande partie le formidable succès de l'Aiglon. (Quelle Sarah Bernhardt du XXIème siècle serait capable de redonner vie à cette pièce injouable?)
Il pose ici en académicien, moustache conquérante et oeil vif!
La dernière caricature est celle de Polaire, de son vrai nom Emilie Marie Bouchaud, née à Alger, bien loin de la banquise!
Elle plut beaucoup à Willy et Colette qui lui confièrent le rôle de Claudine au théâtre. Les trois firent la paire, si l'on peut dire, puisqu'ils vécurent un certain temps une relation qui défraya la chronique.
Polaire avait une voix qui plaisait et qui lui permit de créer des "tubes" comme "tha ma ra boum di hé" ou "tchique tchique". Elle obtint également un grand succès en interprétant "la prière de la Charlotte" de Rictus que Monique Morelli, une autre chanteuse montmartroise, reprendra plus tard...
Sa taille de guêpe et sa sensualité sont restées légendaires...
Alors quel plaisir de retrouver nos quatre artistes sur ce tableau…
Remarquons que Marcel Matho n'a pas gâté les hommes mais a traité les femmes avec beaucoup plus de sympathie... Les hommes font la gueule et les femmes sourient, mais tous sont tournés vers le public et attendent les applaudissements…

Dessin de Matho pour le dernier "Chat Noir" 68 boulevard de Clichy.
Matho est un véritable Montmartrois, bien, que né à Lille (1881), il a vécu l'essentiel de sa vie sur la Butte et il y a été amoureux au point de se marier quatre fois!

Dessin de Matho (Chat Noir, bd de Clichy)
6 rue Paul Albert (adresse de Marcel Matho)
2 rue Utrillo (atelier et logement de François Gabriel)
En 1914, il habite 6 rue Paul Albert à proximité du studio et de l'appartement de François Gabriel, le photographe qui est aujourd'hui une partie de la mémoire populaire de la Butte.
Photo de François Gabriel dans l'escalier de la rue Muller (aujourd'hui rue Utrillo)
Il est témoin au mariage de celui qui est devenu un ami et il lui offre cette toile de 2 mètres de longueur avec les quatre têtes complices qui semblent tournées vers leur public.

Rêverie d'artiste. 1906.
Il tient une boutique d'antiquaire 91 rue des Martyrs (preuve s'il en était besoin que l'art ne nourrit pas son homme) lorsqu'il meurt en 1950. Il est grand temps de le redécouvrir et je serais preneur de tout document, de toute reproduction qui le concernerait.
Lien : Liste et liens: Peintres et personnages de Montmartre. Classement alphabetique.