Etienne Carjat est avec Nadar le plus connu des photographes de la deuxième moitié du XIXème siècle…
Etienne Carjat (autoportrait)
Indépendamment de son talent ce sont les hommes et les femmes qu'il a photographiés qui assurent sa célébrité!
Baudelaire (Carjat)
Certains des plus grands écrivains, peintres, acteurs, politiciens de ses contemporains figurent sur ses clichés et illustrent nombre de livres, recueils, études…
Verdi (Carjat)
Et que dire du plus célèbre et peut-être du plus beau, Arthur Rimbaud dont le visage d'ange et de démon est devenu une icône, à l'égal de Che Guevara de Korda.
Rimbaud (Carjat)
Etienne Carjat n'est pas seulement photographe et son arc possède plusieurs cordes, celle de caricaturiste, de journaliste et de poète.
Berlioz. Caricature de Carjat
L'homme est né dans l'Ain en 1828, dans un milieu des plus modestes, il "monte" à Paris avec ses parents. Sa mère y est concierge.
Il travaille dès l'âge de 13 ans comme dessinateur sur soie et il prend le goût qu'il ne perdra jamais de tout ce qui touche à la production artistique.
Ce n'est qu'à 30 ans qu'il découvre la photographie, art alors à la mode et en plein essor. Il apprend le métier dans l'atelier de Pierre Petit.
Pierre Petit (autoportrait)
Pierre Petit est un photographe bien en cour qui s'est fait une clientèle en or, celle des prélats catholiques, modestement soucieux d'immortaliser leur dignité. Il est surnommé "le photographe de l'épiscopat"!
Monseigneur Freppel évêque d'Angers (Pierre Petit)
Il est surtout LE photographe officiel de l'exposition universelle de 1867 dont il tire plus de 12 000 clichés et de celle de 1889.
Nain tartare expo 1867 (Pierre Petit)
Enfin il a pu photographier le chantier de la statue de la Liberté alors que les plaques de cuivre de Bartholdi étaient assemblées sur la structure de Eiffel, dans le XVIIème arrondissement.
Très vite Etienne Carjat égale son maître dont il retient la leçon, notamment pour l'éclairage et la mise en valeur du modèle qu'il fait poser le plus naturellement possible sur un fond neutre et sans décor qui éparpillerait l'attention.
Sarah Bernhardt (Carjat)
Il installe son atelier rue Lafitte (56) où il rencontre le succès. Il est lié au monde des arts et ses convictions politiques le rapprochent d'écrivains et de peintres soucieux de justice sociale.
Le 56 rue Lafitte aujourd'hui. L'immeuble d'assurances construit en 1914 a supprimé l'immeuble où Carjat avait ouvert son atelier.
Son amitié avec Courbet traversera les années. Il partage avec lui le même enthousiasme pendant la Commune et le soutient dans les poursuites injustes qu'il subit après l'écrasement.
Il prend plus de dix photos de son ami et dessine plusieurs caricatures qui laissent percevoir son affection admirative
En 1866, Etienne Carjat déménage et installe son atelier rue Pigalle (62).
62 rue Pigalle aujourd'hui. Là encore l'immeuble où Carjat avait ouvert son atelier a disparu au profit de ce vilain bâtiment.
Il y restera quelques années avant de déménager une dernière fois, toujours dans le quartier de la Nouvelle Athènes, rue Notre-Dame de Lorette (10)
10 rue Notre-Dame de Lorette. Le seul immeuble qui soit toujours tel que Carjat l'a connu.
Parmi les écrivains qu'il fréquente et considère comme des amis figure évidemment Victor Hugo.
Hugo (Carjat)
Il lui dédie le premier poème de son recueil "Artiste et citoyen".
A Victor Hugo
Des champs de la pensée, auguste moissonneur,
Quand ta faucille d'or a nivelé les plaines,
A peine reste-t-il pour le pauvre glaneur
Quelques uns des épis dont tes granges sont pleines;
Il faut chercher longtemps dans le creux du sillon,
Pour trouver quelque grain oublié sur la terre,
Mais si petit qu'il soit, ce grain est l'embryon
D'où peut jaillir demain le froment salutaire.
Baudelaire fait aussi partie des admirations de Carjat qui le fréquente en voisin de la rue Pigalle où le poète vit avec Jeanne Duval.
Grâce à cette amitié, nous possédons quelques unes des plus belles photos de Baudelaire.
Mais il est inévitable d'en arriver au plus célèbre des portraits, celui qui a donné de Rimbaud l'image d'un ange inquiétant et fascinant...
Etienne Carjat connaît bien Rimbaud car il fait partie avec lui et Verlaine du Club des Vilains bonshommes.
Ce club d'inspiration parnassienne compte dans ses rangs Verlaine, Fantin Latour, André Gill, Banville, Mallarmé… et bien d'autres .
"Un coin de table" (Fantin Latour). Une réunion des Vilains Bonshommes. A gauche Verlaine et Rimbaud.
C'est Verlaine qui y convie en 1871 Rimbaud qui lit son fameux Bateau Ivre.
Carjat fait partie de l'assemblée et participe au repas mensuel des bonshommes qui aiment la poésie, le bon vin et l'absinthe!
Les repas se terminent souvent sur le trottoir en de mémorables bagarres. C'est au cours de l'une d'elles, devant l'Abbaye de Thélème, place Pigalle, que le jeune Rimbaud blesse à la jambe Etienne Carjat avec une canne-épée.
Rimbaud ne reviendra plus dans le club, mais ce qui est regrettable, c'est que Carjat qui avait pris de nombreuses photos du jeune poète, de retour dans son atelier, les eût détruites une à une. Il ne reste par miracle que celle que nous connaissons et qui suffit à la gloire de son auteur.
Nous ne sommes pas certains de l'origine d'une autre photo qui représente Rimbaud plus jeune, bien que des exemplaires aient été publiés sur des cartons signés de Carjat.
Les rimbaldiens ont plusieurs hypothèses à ce sujet. La plus vraisemblable serait que Verlaine aurait confié une photo de Rimbaud adolescent à Carjat afin qu'il la restaure.
Il nous reste l'extraordinaire regard de Rimbaud sur la photo dont Carjat est assurément l'auteur. Cette photo est sa Joconde, son chef d'œuvre, dû en grande partie au charisme de son modèle.
Quatre ans après cette photo, Carjat privilégiera la caricature en fondant la revue "Boulevard"
Daumier (Carjat)
Il est marié et a deux enfants mais ce qui compte le plus pour lui c'est la fréquentation des artiste qu'il admire.
Il est fidèle à ses idées généreuses et utopistes et garde au cœur "le temps des cerises".
Il meurt le 9 mars 1906, dans la maison Dubois, (Xème arrondissement) l'ancien établissement fondé par Vincent de Paul et qui en 1953 prendra le nom d'hôpital Fernand Widal.
Sans doute ne connaîtrons-nous jamais l'étendue de son génie de photographe, car la plus grande partie de son œuvre a disparu après avoir été vendue à un certain Mr Roth.
Peut-être un jour réapparaîtra-t-elle, découverte dans un grenier ou dans une cave…
Peut-être alors découvrirons nous d'autres clichés uniques et connaîtrons-nous d'autres illuminations!