Comme chacun sait le jour des morts c'est aujourd'hui le 2 novembre. Par chance le soleil vient caresser les tombes du cimetière Montmartre. La lumière est douce et le seul mot de lumière suffit à évoquer le cinéma et à faire passer sur l'écran du ciel des visages inoubliables, des moments gravés non pas dans le marbre mais sur la rétine….
J'ai voulu rendre visite à quelques habitants du cimetière qui y sont comme on dit enterrés. Mais ce mot convient mal! On n'enterre pas les étoiles!
J'ai commencé par Falconetti, celle qui m'a ouvert en grand les portes de l'émotion quand j'étais adolescent. Je l'ai aimée, j'étais prêt à sauter dans l'écran pour la sauver, j'ai pleuré comme Anna Karina dans Vivre Sa Vie!
Il y avait sur sa tombe une seule rose blanche et une petite médaille déposée là par un fidèle pour qui elle est à jamais Jeanne d'Arc, la vraie!
La tombe de Brialy est beaucoup plus fleurie. Il est vrai qu'il est un jeune mort par rapport à Falconetti. Il a choisi de reposer à côté de la Dame aux Camélias. Il reste pour moi le séducteur du Genou de Claire.
Je suis passé par hasard devant la tombe de Pierre Dux. Elle était veillée par un arbuste aux feuilles d'or.
Je connais mal ce grand résistant, acteur de théâtre et aussi de cinéma puisqu'on le voit chez Costa-Gavras, Deville, Nelly Kaplan, René Clair…
Z de Costa-Gavras
Non loin de là, caché sous les fleurs d'une inhumation familiale récente, Michel Galabru repose dans une tombe qui lui ressemble, à la fois modeste, sans pierre ni monument et pourtant en bordure d'allée. Homme d'apparence bourrue et rustre, homme sensible et délicat… il n'hésitait pas à aller dans les collèges et les lycées rencontrer les jeunes qui se sentaient considérés et respectés…
Le juge et l'assassin (Tavernier)
En bordure d'allée, entre des tombes ostentatoires, celle de Clouzot est simple et grise. Une tombe banale, conventionnelle, qui ne dit rien de son œuvre en contrastes violents et en noirceur abyssale.
Le Corbeau, l'Assassin habite au 21, Quai des Orfèvres, les Diaboliques, la Vérité… Autant de chefs d'œuvre… dédaignés par la Nouvelle Vague.
La Vérité
Sa femme Véra Clouzot repose à ses côtés. Elle a tourné avec son mari dans les trois seuls films où elle ait joué: Les Diaboliques, Quai des Orfèvres et Les Espions. On sait moins qu'elle a été co-scénariste de la Vérité et qu'elle est morte d'une crise cardiaque peu de temps après la sortie du film. C'est de la même mort que son mari la fait mourir dans les Diaboliques.
Les Diaboliques (Véra Clouzot et Simone Signoret)
Pour terminer cette rapide visite en apothéose, comme le bouquet final qui ne serait pas de chrysanthèmes, je me suis rendu à cet endroit du cimetière où à quelques mètres les uns des autres reposent Truffaut, Dominique Laffin, Jeanne Moreau et Jacques Rivette!
A tout seigneur tout honneur, Truffaut est au centre, sous une large dalle de marbre noir. Alors que l'anniversaire de sa mort était le 21 octobre et que la Toussaint est propice aux visites et aux fleurs, il n'y a sur la dalle noire que trois roses. Quelques admirateurs ont laissé un billet de métro ou des tickets de cinéma qu'ils avaient dans leur poche.
Certes pas du Gaumont Palace où se réfugie le jeune Antoine Doisnel. Le somptueux cinéma a disparu et désormais ce sont les fenêtres d'un vilain hôtel qui donnent sur le cimetière.
A quatre mètre de Truffaut, comme pour un rendez-vous, la Catherine de Jules et Jim a pris place. La tombe est en blanc pour la mariée qui était en noir.
Jeanne Moreau… Son sourire, sa voix sensuelle et harmonieuse comme l'eau sur les cailloux… Combien d'amoureux viennent là, se recueillir et toucher la pierre fermée, comme dans ce poème de Max Jacob :
"Verras-tu dans ton rêve, endormie, celui qui touche à la porte, à cette porte de ta maison?"
A une tombe de Truffaut repose Dominique Laffin, bien oubliée aujourd'hui. On la voit pourtant dans de beaux films, de Doillon, Miller, Catherine Breillat, Marco Ferreri…
Comme Véra Clouzot, elle meurt d'une crise cardiaque à 33 ans.
La femme qui pleure (Doillon)
Entre Truffaut et Dominique Laffin, est agenouillée une femme sans tête. Elle est pour moi l'allégorie de temps ravageur et de la mémoire qui peu à peu s'efface.
A 20 mètres de Truffaut et Dominique Laffin, un autre cinéaste est venu habiter. Il s'agit de Jacques Rivette.
Un créateur unique, bien sûr lié à l'aventure de la Nouvelle Vague et aux Cahiers du Cinéma, mais avant tout en phase avec une jeunesse libre et exigente. Une jeunesse avide de poésie, de hasard et d'amour. Nous étions jeunes et ivres d'absolu quand nous découvrions l'Amour Fou.
Et quel régal que l'aventure de Céline et Julie vont en bateau, sur cette Butte Montmartre où nous avons cherché en vain la rue du Nadir aux pommes près du Château des Brouillards. Mais la vie est un songe!
J'ai oublié dans ma balade de cinéma dans le cimetière de Montmartre Louis Jouvet, Mary Marquet et quelques autres… mais il m'est impossible d'ignorer Sacha Guitry pour la bonne raison qu'il a choisi une place éminente, immanquable, à l'entrée (qui est aussi la sortie)!
Homme d'esprit, acteur, auteur de théâtre, cinéaste… Il n'a pas tourné moins de 36 films parmi lesquels "Le Roman d'un Tricheur" ou "Si Versailles m'était conté". Truffaut parle du "génie de Sacha Guitry". Et pour terminer notre balade sur le plus beau mot de la langue française, il écrit :
"Les héroïnes de Sacha Guitry mentent comme elles respirent, mais elles respirent l'amour".