La maison-musée de Gustave Moreau, rue La Rochefoucauld au pied de la Butte, est une inépuisable fabrique de rêves. Il suffit de se tenir devant une des œuvres laissées à l'emplacement qu'elles occupaient à la mort du peintre, pour entrer dans un monde de sensualité et de symboles...
Les amours de Zeus et de Léda ont inspiré de nombreux peintres et Gustave Moreau plus que d'autres puisque plus de vingt de ses toiles et dessins leur sont consacrés.
Le mythe de Léda raconte comment le roi des dieux à l'appétit sexuel insatiable, réussit à posséder la femme du roi de Sparte.
Pour séduire l'épouse fidèle, il demanda conseil à Aphrodite qui imagina une ruse efficace : elle se transforma en aigle et poursuivit Zeus métamorphosé en cygne.
Léda qui était assise au bord des marais vit le bel animal effrayé venir se réfugier en battant des ailes vers elle. Prise de pitié, elle lui ouvrit les bras afin de le protéger.
Le mythe connaît plusieurs versions mais c'est cette dernière qui est la plus répandue et que Moreau interprète dans les deux toiles qui nous intéressent aujourd'hui.
La 1ère version, celle que je trouve la plus belle, moins travaillée dans le détail que la 2nde, représente Léda abandonnée, déjà conquise, les yeux clos comme dans un rêve.
Son corps est androgyne. Le buste est celui d'un adolescent tandis que le visage évoque le profil d'un héros grec.
Le cygne se dresse contre Léda, un peu en arrière comme pour ne pas la réveiller du charme qui s'empare d'elle. Sa tête semble la protéger tandis que son aile gauche se lève.
Sur la gauche du tableau c'est l'aile sombre de l'aigle qui se déploie. Les deux ailes, la blanche et la noire, sont comme celles du même prédateur, prêtes à se rejoindre et à se refermer sur le corps désiré. C'est l'originalité audacieuse de cette version que l'on ne retrouve pas ailleurs.
L'aile noire d'Aphrodite, l'aile blanche de Zeus, métaphore d'un désir ardent qui enveloppe sa proie.
Léda est passive à l'abri de son apparent sommeil. Elle attend l'étreinte du dieu. Peut-être est-il possible d'interpréter cette attente de Léda comme celle, plus ou moins consciente, du peintre lui-même, attiré par les hommes mais n'assumant pas ce désir. Cette attirance est souvent présente dans son œuvre où elle se réfugie et se dissimule dans la représentation des mythes.
Les génies assistent à la scène, tenant bien haut le feu qui pourrait embraser le monde.
Tout est soumission et abandon dans le corps de Léda. Le décor est à peine esquissé. Nous sommes dans l'ambigüité et l'incertitude du songe, au moment où le corps s'abandonne à l'amour, dans une passivité qui écarte la culpabilisation et le remords à venir.
La deuxième toile, exposée en bonne place dans le musée est la version la plus officielle et la plus achevée. Si la composition est la même, plusieurs éléments différent...
Le corps de Léda est cette fois féminin, les hanches larges, la poitrine affirmée.
Comme dans la première version, ses yeux se ferment. Aucune protestation devant l'insistance du cygne dont la volonté ne fait aucun doute.
Le bras gauche de Léda est levé, comme attaché à des liens que son désir suscite. En réalité ce sont des fleurs qui entourent sa main mais qui suggèrent des entraves telles que l'on en utilise dans certains jeux amoureux.
Le cygne s'est rapproché, sa tête s'appuie sur celle de Léda. Son aile levée s'estompe dans le décor et le voile blanc entre les jambes de la femme glisse comme du lait pour laisser place au séducteur.
Les génies veillent à la scène en portant la couronne du roi des dieux et le feu sacré tandis que l'amour vainqueur s'envole vers d'autres conquêtes...
L'éclair divin forme comme un ostensoir derrière le couple, donnant au mystère de l'amour une dimension mystique.
Le couronnement de la Vierge Marie, elle aussi séduite par un dieu, n'est pas loin!
Dans le décor confus où l'œil averti doit se frayer un chemin, on devine le monde des divinités qui peuplent la nature, tandis qu'agenouillé, les bras ouverts Pan accueille l'univers vibrant et aimant.
Hymne à l'amour, au mystère, à la force des désirs, la 2ème œuvre comme la première est féconde en interprétations et en balades imaginaires.
Elles nous invitent à la rêverie…
Les toiles de Moreau ressemblant à la Nature dont parle Baudelaire :
"L'homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l'observent avec des regards familiers."
Liens : les œuvres de Moreau étudiées dans ce blog :
Les Prétendants (la toile où "l'homosexualité" de Gustave Moreau se révèle le mieux.
Orphée sur la tombe d'Eurydice
La tombe de Gustave Moreau au cimetière de Montmartre