Chemises blanches, chemises de fête et de noces...
Mais la boue et le sang comme des balafres qui lient les corps des amoureux dans la souffrance et la mort.
L'exposition du peintre bosniaque Safet Zec (né en1943) devenu vénitien rend hommage à deux amoureux fauchés en pleine jeunesse en 1993 à Sarajevo.
Ils sont les Roméo et Juliette victimes d'une guerre non pas entre deux familles mais entre deux "peuples" qui avaient appris avant la folie meurtrière à s'apprécier et à vivre en paix.
Bosko est serbe et chrétien. Sa famille a quitté Sarajevo pour se réfugier à Belgrade mais lui n'a pas voulu fuir. Il est resté parce qu'il aime Admira, bosniaque et musulmane, qui lui rend son amour.
Les deux amoureux devant le danger de plus en plus menaçant et le risque d'être torturés et assassinés par les factions qui n'admettent pas que l'on puisse trahir son camp, décident de partir, de franchir le pont de Vrabna vers la Tchécoslovaquie.
Les soldats serbes et bosniaques les autorisent à passer. Est-ce l'un d'eux, est-ce un sniper? Bosko est abattu le premier, il tombe face contre terre. Admira rampe vers lui et l'enlace avant d'être tuée à son tour. Les amoureux vont rester ainsi une semaine entière, liés l'un à l'autre, avant d'être ramassés et inhumés.
Safet Zec qui en 2017 exposait dans la même église de la Piéta sur le quai des Schiavoni, à deux pas de la place Saint-Marc, des toiles racontant le voyage souvent mortel des migrants (Exodus) nous invite cette année à être témoins de l'assassinat des deux amoureux pour qui les luttes politiques et les intransigeances religieuses comptaient peu devant la liberté d'aimer.
S'embrasser, s'enlacer, s'accrocher l'un à l'autre pour ne pas se séparer…
Les toiles nous donnent à voir cette urgence de l'étreinte que la mort n'interrompt pas.
Parfois ce n'est que le jaillissement de la couleur rouge qui nous rappelle que nous sommes devant une étreinte tragique. Un éclat, une zébrure, un trait de feu...
Quelques œuvres évoquent la descente de croix et le corps supplicié reçu par la femme aux bras et au cœur ouverts qui porte l'homme et le tient debout.
Sur d'autres toiles, la couleur du sang n'apparaît pas. Le blanc des linges domine. Linge de linceul ou tumulte des vêtements sous l'urgence des caresses?
Dans la contemplation des œuvres qui sont à leur place dans cette église, le spectateur comprend que si la violence impose sa loi c'est la force inouïe de l'amour qui s'exprime…
C'est bien ce qui domine dans cette exposition, ce sentiment de la vérité des corps qui se tiennent l'un à l'autre face à la barbarie.
"Embraces"
Embrassements c'est le nom de l'exposition qui dans cette biennale 2019 exceptionnelle de Venise fait écho aux ponts construits par Lorenzo Quinn, ces mains qui se réunissent par dessus les eaux vertes.