Dans le petit cimetière du village de Montmartre où reposent quelques gloires du passé comme Clouzot, Steinlen, Honegger ou Eugène Boudin... c'est Utrillo qui sans conteste attire le plus grand nombre de visiteurs!
Pas étonnant puisque nous sommes à Montmartre et que le seul peintre authentiquement montmartrois, c'est lui....
Lui qui est né à cinq cents mètres de là, rue du Poteau!
Lui qui a contribué à faire connaître la Butte dans le monde entier et dont la vie et l'œuvre restent liées à son quartier pour le meilleur et pour le pire (parfois!)...
La tombe qu'il partage avec Lucie Valore, sa femme, n'est séparée de la rue des Saules et du Lapin Agile qu'il peignit tant de fois que par un simple mur couvert de lierre.
Le marbre est triste hélas et lourdement banal.
Deux noms sont gravés: Maurice Utrillo V et Lucie Utrillo
Une femme de pierre veille, dans une pose élégante sur le caveau.
C'est une allégorie de la peinture, la main gauche tenant une palette, la droite s'apprêtant à saisir un pinceau...
Une âme pieuse, la confondant avec un ange, l'a ornée d'un chapelet, objet qu'Utrillo n'a manipulé que dans les dernières années de sa vie après une conversion tardive!
On connaît l'histoire du peintre né des amours intenses et variées de Suzanne Valadon sa mère et reconnu en 1891 par un gentil critique d'art espagnol, Miguel Utrillo, qui n'est certainement pas son père.
Quand on a une mère si belle et si courtisée, il est inévitable qu'on en tombe amoureux, même ou surtout si elle vous expédie chez sa propre mère afin de mener en toute liberté son existence de modèle, d'amante et de peintre....
Suzanne s'occupe par intermittence de son fils qu'elle retrouve à l'âge adulte. Elle l'accueille (et le séquestre) rue Cortot où après son divorce elle vit avec son amant et bientôt mari, Utter, le meilleur ami de son fils!
Psychanalystes de tout poil à vos tablettes!
L'alcool, la fragilité psychologique provoquent des crises de plus en plus intenses chez le jeune homme qu'il faut interner à plusieurs reprises et qui trouve grâce à sa mère un remède à son mal de vivre : la peinture.
Il peint, repeint et peint encore pendant des décennies. De 1902 à sa mort en 1955, il produit tant de toiles que le succès venant, il suscite des vocations de faussaires.
Il y a de nos jours trois fois plus de toiles signées Utrillo que d'authentiques!
Sa plus belle période, la plus mélancolique, la plus musicale (on pense à l'ambiance des gymnopédies de Satie, un autre amant de sa mère), la plus montmartroise aussi, c'est sa "période blanche".
Il saisit la tristesse et la poésie des immeubles crayeux de Montmartre qu'il représente sous les nuages ou sous la neige comme un décor pour Pierrot... le poète à l'âme d'enfant en quête d'amour...
Quand il meurt en 1955, Utrillo ne vit plus à Montmartre. Il Habite une grande villa dans la banlieue bourgeoise du Vésinet où l'a entraîné Lucie Valore, collectionneuse de ses œuvres, qu'il a épousée en partie grâce à l'activisme de sa mère soucieuse de lui procurer une certaine stabilité.
Le mariage a été célébré en 1935, Utrillo avait 51 ans. En apparence (seulement) il avait coupé le cordon qui l'unissait à sa mère qui mourra seule avenue Junot et à l'enterrement de laquelle il n'assistera pas.
C'est à Dax où Lucie Valore l'a entraîné pour une cure thermale qu'il rend son âme montmartroise.
Il a 72 ans, ce qui n'est pas si mal quand on a connu l'esclavage de l'alcool, les crises de démence, les dépressions, le désespoir....
Il a été inhumé dans le vieux cimetière Saint-Vincent.
Il a pour presque voisin Steinlen le peintre des chats qu'il avait rencontré plusieurs fois rue Cortot.
L'allégorie de pierre qui orne sa tombe est d'origine mystérieuse.
Certains l'ont attribuée à Lucie Valore qui s'était découvert des talents de sculpteur.
D'autres, dont quelques guides qui mènent leur troupeau de touristes à travers Montmartre, affirment qu'elle est rescapée du Boccador (l'Hôtel de Ville) incendié pendant le Commune.
Cette thèse paraît fantaisiste étant donné le style de la statue qui n'est certes pas du XVIème siècle comme l'ancien Boccador dont à ma connaissance aucune statue n'a résisté à la violence de l'incendie.
Elle semble dater du XIXème siècle qui aimait plagier le grand style classique.
Peu importe après tout!
C'est une muse qui ne cesse pas de peindre en bleu, en gris, en gris bleu le ciel au-dessus de la tombe où Utrillo ne repose qu'en apparence puisqu'il vit dans les yeux de tous ceux qui aiment sa peinture...
Sur le marbre à côté du nom d'Utrillo, une lettre est gravée :
le "V" de Valadon
Deux ailes ouvertes...
Un aveu...
Une pique plantée dans le cœur...
Un envol...
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Liens : Utrillo, Valadon, Montmartre