La Place Pigalle en 1910...
Le "jet d'eau" de la chanson est déjà là avec la fontaine installée à l'emplacement du pavillon de l'octroi de la Barrière de Montmartre construit par Ledoux en 1785.
Il y avait près du pavillon de Ledoux un puits où l'on puisait jadis de l'eau et qui appartenait à l'Abbaye de Montmartre. Est-ce en mémoire de ce puits vénérable qu'un bassin fut creusé à cet endroit ?
La place a été créée en 1827 et c'est l'architecte Gabriel Davioud qui fut chargé d'y concevoir la fontaine édifiée entre 1862 et 1863 (ce collaborateur d'Haussmann fut très actif à Paris où on lui doit entre autres, la fontaine de la Place du châtelet, celle de la Place Saint-Michel, les deux fontaines de la Place André Malraux, la Fontaine des 4 parties du monde avenue de l'Observatoire...)
Place Pigalle (Madeleine Wagner)
Il s'agit d'un bassin circulaire ponctué par six bornes carrées, auquel on accédait par deux marches de pierres.
Au centre du bassin un piédestal octogonal supporte une vasque qui à l'origine était en bronze.
Le bassin à peine achevé, il servit de lieu de ralliement à tous les propriétaires de chiens qui venaient, le soir tombé, y laver leurs toutous. Ajoutons à celà, les marchandes du boulevard qui se débarrassaient après leur journée de travail des rebuts de viande ou de poissons. Ajoutons encore le passage obligé des cantonniers qui y nettoyaient leurs balais et les femmes qui trouvaient là un lavoir pratique et gratuit...
Bref, l'endroit devint pestilentiel et dégageait une odeur de "rat mort". Une grille circulaire fut installée pour en interdire l'accès.
Le 18 mars 1871, place Pigalle (Le Monde Illustré du 25 mars 1871)
Un jour historique a marqué cette place. Il s'agit du 18 mars 1871, premier jour de la Commune.
La troupe était alors logée chez l'habitant et avait établi des liens amicaux avec les Montmartrois. Quand le général Susbielle lui donna l'ordre de charger la foule en révolte, elle se solidarisa avec le peuple. La scène se répétera avec les fameux canons de Montmartre.
Plus tard, le 23 mai 1871, une des barricades les plus héroïques de la Commune s'érigea sur la place. C'est la barricade des femmes avec Nathalie Lemel, figure emblématique de la résistance populaire, créatrice de l'Union des Femmes et qui sera exilée avec Louise Michel en Nouvelle Calédonie. C'est sur la barricade de Pigalle que les femmes se replièrent depuis la place Blanche... Nathalie Lemel combattit sans relâche et pendant les accalmies soigna les blessés...
D'autres manifestations populaires passèrent place Pigalle... On voit ici le "service d'ordre" devant l'Abbaye de Thélème lors des protestations contre l'exécution de Francisco Ferrer. Cet anarchiste qui a longtemps vécu en exil à Paris est le créateur de "l'Ecole Moderne", laïque et ouverte, alternative à la toute puissance catholique espagnole. L'histoire ne se répète pas, mais il y a quelques similitudes entre la Commune et les révoltes de Barcelone de 1909 dont Ferrer fut accusé d'être le meneur intellectuel. L'armée fraternisa comme elle le fit place Pigalle avec le peuple. La répression n'en fut pas moins féroce et fut appelée non pas "la Semaine Sanglante" mais "la semaine Tragique".
Les traces de la Semaine Sanglante ont disparu de la place Pigalle quand s'ouvre au n°1 un restaurant au nom évocateur et bon-vivant : l'Abbaye de Thélème. La devise de l'abbaye de Rabelais était peinte au-dessus de la porte d'entrée : "fais ce que voudras".
La grande salle de l'Abbaye de Thélème
Les serveurs étaient habillés en moines et les serveuses en moniales. Les murs étaient couverts de fresques qui se voulaient médiévales et illustraient Gargantua...
L'Abbaye ne disparaîtra qu'en 1934. Parmi ses fidèles les plus assidus on compte Emile Goudeau, Raoul Ponchon ou Etienne Carjat. Ce dernier mérite qu'on le salue au passage. Il avait son atelier au 62 rue Pigalle où il dessinait, surtout des caricatures, où il écrivait, surtout des poèmes (on n'est pas impunément ami de Baudelaire!) où il photographiait... surtout Rimbaud!
Ce sont ces clichés qui lui assurent l'immortalité....
A gauche le Monop (ancienne abbaye d thélème)
Après guerre l'Abbaye de Thélème devient un club de jazz avant de passer par la case cinéma comme tant de cabarets montmartrois...
Le cinéma disparaît à son tour, méchamment concurrencé par le petit écran et il céde la place en 1960 à un immeuble médiocre où un Monop s'est installé au XXIème siècle, avec une devise plus mercantile que celle de la défunte Abbaye : "Paye ce que pourras"...
Cette carte postale permet de voir l'Abbaye de Thélème, le passage vers l'avenue Frochot, l'immeuble toujours présent avec ses ateliers d'artistes et l'immeuble du Rat Mort.
Le Rat Mort! Le nom peu avenant est dû à l'odeur pestilentielle qui émanait de la Fontaine de Davioud... son premier nom est le Grand Café Pigalle.
Il devient à la mode quand les clients célèbres de la Nouvelle Athènes la désertent et s'installent sur ses canapés.
Parmi les premiers habitués qui vont en faire un endroit "à la mode", on trouve Catulle Mendès, Desnoyers, Coppée...
Lautrec ne dédaigne pas d'y passer et de choisir un des modèles qui attendent un amateur près du bassin.
Sur cette toile peinte au Rat Mort, il représente à la demande du peintre charles Conder, l'amante de ce dernier, Lucie Jourdan. il y avait dans l'établissement des cabinets particuliers qui assuraient aux couples de bourgeois et de cocottes leur intimité.
Lautrec est également l'auteur d'une affiche que lui demanda un photographe dont l'atelier était au 3ème étage...
Lautrec photographié par P. Sescau.
Le lieu fut fréquenté également par Verlaine et Rimbaud. C'est là qu'en 1872, Verlaine fut blessé par son jeune amant.
Rimbaud demanda à Verlaine et Charles Cros de poser les mains à plat sur la table. Il sortit un couteau et après plusieurs coups portés sur la table blessa Verlaine au poignet. Cros eut juste le temps et le réflexe de retirer sa main. Verlaine entraîna Rimbaud sur le trottoir où il reçut plusieurs coups à la cuisse...
Au Rat Mort. "Sans les femmes qu'est-ce qui nous resterait! (Forain)
De nombreux peintres fréquentent le Rat Mort. Courbet, Degas, Vlaminck, Derain en font partie.... ils ne s'offusquent pas de la métamorphose pendant quelques mois en 1880 du Rat Mort en cabaret lesbien...
Le rat mort a survécu plus longtemps que bien des cabarets de Pigalle. Il a changé de nom, il est passé de rat à Cupidon
Et puis... hélas....Cupidon a perdu ses flèches... il a laissé la place à une banque où les rats sont bien vivants!
A suivre....
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Liens :
Boulevard de Clichy. Montmartre. Pigalle. (1)
Boulevard de Clichy. Montmartre, Blanche (2)
Boulevard de Clichy. De Blanche à la Pomme. (3)
Boulevard de Clichy. Vers la Place.
Dernière partie. (4)
Le Trianon. boulevard de Rochechouart.
L'Elysee Montmartre. boulevard de Rochechouart. Music-Hall.
Boulevard de Rochechouart (1) première partie.
Boulevard de Rochechouart (2) Deuxième partie, numéros pairs.
Boulevard de Rochechouart (3). Deuxième partie n° impairs.
Rues de Montmartre. Classement alphabétique.
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