C'est une des curiosités de cette église : les panneaux de lave émaillée peints par Pierre Jules Jollivet (1794-1871), installés en 1860, enlevés en 1861, stockés dans les réserves de la ville et réinstallés sur la façade en juin 2011!
Quelle aventure!
Hittorf, l'architecte de l'église avait voulu ce décor de façade qui selon lui renouait avec la tradition des basiliques anciennes polychromes. Le peintre qu'il choisit, Pierre Jules Jollivet, élève de Gros innove avec un nouveau procédé de peinture sur plaques de lave.
A peine terminée, son oeuvre fait scandale! Les paroissiens, les prêtres se voilent pudiquement la face ou regardent en douce à travers les doigts écartés de leur main chastement posée devant leurs yeux, les corps dénudés d'Eve et d'Adam...
Le scandale devient tel que le préfet Hausmann en personne ordonne l'enlèvement des peintures qui sont envoyées à l'ombre, dans le dépôt de la ville où elles se morfondent jusqu'à leur redécouverte et leur retour en fanfare un jour ensoleillé de juin 2011!
Au-dessus du porche, la première composition (posée dès 1846) représente la Trinité : le Père, beau brun à longue barbe, le Fils, jeune bellâtre rouquin et l'Esprit à plumes en suspension entre les deux...
Père et fils trônent dans la gloire et dans un manteau de ciel, entourés des prophètes et des évangélistes...
Ils n'ont pas l'air heureux et du haut de leur perchoir, ils regardent, les sourcils froncés, l'humanité pécheresse...
A leur gauche (donc à droite du portail) on peut voir trois scènes de l'Ancien Testament qui ont pour correspondantes de l'autre côté, trois scènes des Evangiles: La Création d'Eve - l'Adoration des mages. Le péché d'Adam - le Baptême du Christ. Le châtiment - la Cène...
La Création d'Eve provoqua le scandale. Adam nonchalamment endormi ne voit pas Dieu qui fait naître de son côté une femme dont les cheveux ne suffisent pas à dissimuler la nudité. La scène ne manque pas de force, loin de l'imagerie religieuse saint sulpicienne qui commence à s'imposer.
Les protestations des paroissiens nous paraissent aujourd'hui bien pudibondes et bien hypocrites.
Dans une lettre adressée au curé, l'un d'eux s'exprime ainsi :
"Ces peintures fort inconvenantes sont dégoûtantes à la porte d'une église où une jeune fille doit pouvoir tout regarder... Vous prêtres, est-il convenable que vous examiniez des peintures aussi décolletées? "
Le tableau suivant provoque lui aussi des réactions indignées, preuve s'il en était besoin que les yeux des braves paroissiens étaient aimantés vers ces scènes ...
Eve dont les cheveux caressent le sexe tend à son benêt de compagnon le fruit défendu dont Satan, nu et musclé dans son arbre, lui vante la suavité et les pouvoirs...
Il faut croire que les spectateurs indignés n'avaient pas bien lu la Bible puisque la honte soudaine de la nudité n'atteignait l'homme et la femme qu'après avoir mangé le fruit...
... Avant cette "faute", leur nudité naturelle les habillait de beauté et de sensualité. Nos paroissiens, avaient-ils perdu, malgré la confession censée les purifier, l'innocence de leur regard?
Le troisième tableau nous montre Adam et Eve revêtus de peaux de bêtes, chassés de l'Eden.
Leurs pas parallèles les entraînent vers le bas, vers le monde où il sera si difficile de vivre, où l'on gagnera son pain à la sueur de son front et où l'on enfantera dans la douleur.
Leurs pieds sur les rochers rugueux ont perdu la légéreté de ceux de l'ange qui volète dans l'air et leur montre la sortie.
De l'autre côté, les peintures illustrent la vie du Christ venu racheter ce monde perdu. Il apparaît nu lui aussi sur les genoux de sa mère entre les bergers et les mages. Sa naissance inaugure la re-création du monde...
De la série des trois consacrées au Nouveau testament, c'est la plus réussie avec sa composition qui met l'enfant au centre , cible et coeur à la fois... L'enfant a déjà les bras écartés et son flanc qui sera percé par la lance est protégé par la main maternelle...
Une trentaine d'années plus tard, il est baptisé par Jean-Baptiste. Le volatile-Esprit-Saint plane au-dessus des eaux. Jean idéalement musclé fait son office, le Christ rose pâle, les mains jointes, le corps grassouillet revêt sa nudité de candeur et de linge blanc artistement drapé, tandis qu'un garçonnet l'imite, le sexe dissimulé par une feuille de roseau.
Le dernier tableau, c'est la Cène. La boucle est presque bouclée. Dans quelques heures, sur la croix, c'est la malédiction du péché et de la chute qui sera vaincue.
Le péché sera vaincu... chaque eucharistie le rappellera aux chrétiens, à commencer à ceux qui poussaient des cris d'orfraie devant la nudité d'Eve...
Signe des temps, la réinstallation des laves émaillées sur la façade de l'église n'a provoqué aucune indignation. Les jeunes filles les regardent à peine et la nudité d'Eve et d'Adam n'intéresse plus que quelques curieux de l'histoire de l'art et quelques amoureux de Paris...
.............................................................................................................
Liens : Eglise St-Vincent de Paul
Eglise Saint Vincent de Paul. Paris (1). Sculpture Fronton. Charles Leboeuf Nanteuil.
Eglise Saint Vincent de Paul. Paris (2).
Vitraux. Saints.
Montmartre :
Listes des liens des monuments et lieux typiques de Montmartre historique et moderne.
.............................................................................................................
..