Il faut bien quitter Montmartre de temps en temps! Quelques jours à Nice ne sont pas pour me déplaire.... Chagall, Matisse y sont toujours au rendez-vous!
Mais c'est à un sculpteur que j'aime que je veux rendre hommage et pour le rencontrer je suis allé au Monument du quai Rauba Capeù...
C'est un des plus beaux Monuments aux Morts de France.
Sa situation est exceptionnelle, contre la falaise de la colline du château, face à l'immensité d'azur.
Il est clair et sa pierre blanche est illuminée par le soleil niçois, au point de vous obliger à cligner les yeux ou porter des lunettes de soleil!
La terrasse qui s'ouvre devant lui porte à juste titre le nom de "terrasse du soleil".
Palais de la Méditerrannée. Façade sauvée in extremis par Jack Lang. Tout l'intérieur a été vandalisé et remplacé par un hôtel sans grâce.
Il est à sa place, dans cette ville qui a donné libre cours à l'imaginaire des architectes de la belle Epoque et des années Vingt.
Il a été construit en 1927 sur les plans de l'architecte Roger Séassal et inauguré en 1927 par le Maréchal Foch.
Roger Séassal (1885-1967) est niçois. Grand prix de Rome, il a reçu de nombreuses commandes, notamment à Paris, mais c'est sur la côte d'Azur qu'il a réalisé ses deux œuvres classées monuments historiques : le tombeau de la famille Rio-Aune à Châteauneuf de Grasse et le Monument aux Morts de Nice.
Le monument rend hommage aux Niçois tués pendant la première guerre. Il est adossé à la falaise sauvage et s'élève à 32 mètres. Sa niche protège l'urne funéraire dans laquelle sont conservées les plaques des 3665 soldats qui ont donné leur vie.
La première guerre devait être la dernière mais hélas d'autres noms sont venus s'ajouter à la liste après la deuxième et après les guerres coloniales.
Le sculpteur Alfred Janniot, auteur de la remarquable fontaine du Soleil sur la place Masséna, a créé deux hauts reliefs d'une force et d'une beauté rares, chefs d'œuvre de la sculpture art déco.
Celui de droite représente la paix et celui de gauche la guerre.
A droite, l'allégorie de la paix veille sur une famille, le père, la mère et l'enfant.
L'homme est à la fois laboureur et père de famille. Il s'appuie sur ses bœufs puissants qui tracent leur sillon et préparent les moissons à venir. Il tient fermement la charrue.
Mais c'est vers la femme et l'enfant qu'il se tourne, comme partagé en deux, à la fois mouvement et tension dans le travail , attention et sérénité dans le foyer.
La femme correspond à l'image que de nombreux hommes s'en faisaient encore dans la première moitié du XXème siècle. Elle n'est qu'oblation, consacrée à son homme et à son enfant dans une pose qui est à la fois élan et prière.
Entre les deux, tenu par eux et lien à la fois, l'enfant exagérément grand, représente la fécondité et l'avenir. Dans cette crèche laïque, il est le nouveau né porteur de toutes les espérances.
Le haut relief de gauche représente la violence et la destruction. Comme si souvent dans l'art, le mal est plus expressif et donne aux artistes plus de talent.
Cette furieuse charge de mort me fait penser à la guerre vue par le douanier Rousseau avec son ange chevauchant une cavale noire.
Ici le cheval est remplacé par un lion puissant. Il est accompagné de trois anges porteurs de flambeaux et d'épées.
Il y a dans cette composition quelque chose de sauvage et d'inéluctable. Les assaillants, chevaliers de l'apocalypse, sont lancés à grande allure. La vitesse est telle que le lion freine de ses pattes avant, prêt à se redresser et bondir. Les bœufs débonnaires de l'autre côté du monument ne seront pas de taille à lutter contre lui!
La géométrisation stylisée, typique de l'art déco, donne à la scène sa rigueur.....et sa vigueur.
Sur l'esplanade blanche des stèles portent un médaillon représentant les différents corps de l'armée
Dans ce lieu lumineux, devant l'urne immense et la splendeur des hauts reliefs, on a envie de faire silence et d'ôter son chapeau.
Je n'en porte pas mais si par hasard j'en avais eu un, le vent n'aurait pas manqué de me l'enlever.
En effet le monument s'élève quai Rauba Capeù, ce qui signifie en nissard : quai dérobe chapeau!