Si vous aimez les vaches, vous aimez Troyon, le peintre qui a trouvé sa vocation en les regardant dans les yeux et en les aimant à tel point que lorsque la folie s'empara de son esprit, il consacra ses dernières forces à les représenter, perchées dans les arbres ou en lévitation....
Il rumine aujourd'hui son éternité dans sa tombe du cimetière Montmartre, dans la 27ème division où reposent Heine le poète romantique mort quelques années avant lui et Greuze, le peintre tant admiré de Diderot.
Constant Troyon (1810-1865) fait partie de ces peintres qui privilégiaient la nature et aimaient planter leur chevalet dans l'herbe verte.
Il est associé avec Corot et Daubigny à l'Ecole de Barbizon.
Mais son image de marque, son blason, son étendard, c'est la vache dans tous ses états.... (sauf en barquettes ou en brochettes)
Avant sa conversion bovine, il étudie le dessin avec Camille Roqueplan, un peintre académique bien oublié aujourd'hui (les paysages et les scènes historiques tirées de romans à la mode avaient ses préférences).
Alors qu'il a 20 ans, il aime travailler avec Paul Huet son ami attiré par le romantisme et la grande figure de Delacroix.
Huet peint des paysages tourmentés comme il l'est lui même.
Constant est plus constant et moins torturé malgré cette graine empoisonnée sans doute déjà en lui qui plus tard germera dans son cerveau.
Sa vocation lui vient lors d'un voyage en Hollande où il découvre le peintre animalier Paulus Potter (1625-1654).
Il aime ses vastes ciels et la force tranquille de ses animaux paisibles...
Il y trouve un goût de paradis perdu...
Il apprécie également Albert Cuyp (1620-1691) maître de la lumière et des paysages ouverts où le ciel occupe la plus grande partie de l'espace tandis que les hommes et les animaux sont des passants éphémères...
C'est la nature, l'immensité, la lumière qui fascinent le peintre.
Constant Troyon se met donc à peindre le ciel. Et sous le ciel il peint les vaches. Vaches près de la plage, vaches dans la prairie, vaches et veaux...
Il peint aussi leurs frères de misère, les bœufs tireurs de charrettes et de charrues...
Il aime ces animaux puissants et doux. Il immortalise leur humble présence sur terre. Il connaît le sort qui leur est réservé depuis que l'homme les a domestiqués. Les mères auxquelles on arrache leurs petits pour prendre leur lait avant de les mener un jour à l'abattoir. Les bœufs porteurs de fardeaux, traceurs de sillons, avant de connaître le même sort.
Il les représente comme si de rien n'était, comme s'il y avait entente entre eux et les hommes. Il leur donne une force, une beauté, une présence qui font des hommes des personnages secondaires de la toile.
... Et les bonnes bêtes le lui rendent bien! Grâce à elles le peintre commence à vendre ses œuvres, après des années de vache enragée...
Ce succès lui vaut de recevoir la légion d'honneur en 1849! Décoration qui sera sculptée sur sa tombe, alors qu'elle n'apporte pas plus à l'homme que la cocarde du Ier prix du Salon de l'Agriculture à la vache!
Troyon prend un atelier à la Barrière Rochechouart, puis avenue Trudaine, non loin des abattoirs de Rochechouart créés par Napoléon.
Il n'est pas éloigné de la rue des Martyrs où Géricault, le peintre des chevaux avait son atelier au 49. Il peut rendre visite à Millet qui habite sur la même avenue et reçoit chez lui des artistes...
Sa femme qui mourra dix ans après lui et reposera dans la même tombe, l'aide et le soutient avec amour et avec son maigre salaire de plumassière
C'est dans cet atelier que travaille parfois le jeune Eugène Boudin, peintre des ciels et des rivages normands.
Quand Eugène Boudin, après s'être marié, revient vivre à Paris, il habite quelques mois à côté de l'atelier de Troyon qui a sombré dans la folie et a besoin d'argent. Il l'aide en lui achetant des toiles....
Mais Troyon subit crise après crise. Dans les moments de répit, il peint encore des vaches, comme d'autres peignent des anges, dans les nuages. En 1867, il quitte définitivement le plancher des vaches.
C'est la même année que sont détruits les abattoirs de Rochechouart (qu'on appelait alors "tuerie") et près desquels habitait l'amoureux des vaches. Nul doute que la vue des animaux confiants que l'on menait chaque jour vers leur égorgement ait contribué à la folie du peintre qui ne pouvait rien faire pour eux, sinon les représenter dans le ciel...)
Ses vaches ne l'ont pas quitté puisqu'elles restent sur terre et heureuses de l'être. On peut les rencontrer dans de grands musées : Orsay, le Louvre, l'Ermitage, Munich...
Elles n'ont pas changé, elles regardent passer les visiteurs...
Et parfois l'un de ces visiteurs plus attentif que les autres, aperçoit dans leurs yeux une image, un reflet...
C'est Troyon derrière son chevalet en train de les peindre....