C'est un des personnages les plus célèbres et les plus mystérieux du Montmartre mythique...
Il a été croqué, dessiné, peint par Toulouse Lautrec grâce à qui il est aujourd'hui aussi connu que la Goulue ou Jane Avril...
Son nom et sa silhouette ne s'oublient pas. L'un et l'autre sont inséparables du Moulin Rouge et des bals parisiens...
Mais qui est ce Valentin dont la silhouette dégingandée se détache sur la blancheur des jupons de la Goulue, sur l'affiche peinte par Toulouse Lautrec?
De son vrai nom, il n'est ni Valentin, ni Désossé mais Jules Renaudin, né en 1843, à Paris.
Son père est avocat ou clerc de notaire (selon les sources).
Jules Renaudin est élevé dans un milieu bourgeois sans problèmes.
Sans doute peu intéressé par les études, il se fit négociant en vins à Paris, rue Coquillière près des Halles de Baltard (sauvagement détruites sous Pompidou le Lettré!)
Le commerce et surtout la fortune familiale lui permirent de devenir propriétaire en 1890 de plusieurs appartements qu'il louait, avenue de la Motte-Picquet.
Sa vie aurait été banale s'il n'avait été habité par une passion qui avait pris possession de lui la première fois qu'il s'était aventuré sur le plancher d'un bal de quartier.
Il avait besoin de danser comme d'autres de se droguer!
"Pour ne pas être les esclaves martyrisés du temps, enivrez-vous, enivrez-vous sans cesse, de vin, de poésie, de vertu, de danse... à votre guise" (Baudelaire nous pardonnera d'avoir ajouté la danse à son poème)
Il avait une dégaine particulière bien éloignée de la grâce précieuse des danseurs de l'opéra.
Il semblait encombré de sa carcasse mais dès que l'orchestre entamait une valse ou une polka, il se métamorphosait, devançait les accords et guidait avec maestria sa cavalière avec une souplesse de contorsionniste.
Il aurait été atteint d'une maladie rare : le syndrome d'Ehlers-Danlos, une affection génétique susceptible de donner au tissu conjonctif une hyper élasticité.
Il connaissait les bals les plus fréquentés de Paris et certains soirs, courait de l'un à l'autre.
Impossible de les énumérer tous !
Le Tivoli-Vauxhall, le bal Valentino, le bal Mabille rue du Faubourg Saint-Honoré...
Au Casino Cadet, en 1869, Mermeix, journaliste au "Journal de France", fasciné par cet étrange danseur, le qualifia dans un article de "désossé".
Le surnom plut à Jules Renaudin qui l'adopta aussitôt. Par la même occasion, il remplaça Jules par Valentin, prénom mieux adapté à son emploi de cavalier!
Valentin le désossé vivait la nuit, Jules Renaudin vivait le jour! Et il avait des nuits plus belles que ses jours!
Le Bal Mabille, son préféré, ferma ses portes en 1875.
Valentin prit la direction de la Butte, de ce Montmartre fraîchement rattaché à Paris.
Il dansa souvent à l'Elysée Montmartre.
Il y a sur la façade de cet établissement récemment restauré, un bas relief représentant une danseuse de quadrille.
Ce bas-relief a été récupéré sur un fronton du bal Mabille avant sa destruction.
Mais c'est en fréquentant le Moulin Rouge que Valentin va connaître ses années glorieuses.
C'est là que Lautrec l'immortalise aux côtés de La Goulue.
Pendant 5 ans, il sera de toutes les soirées, de toutes les danses sans jamais demander à être payé. Il est apprécié des danseuses, Nini Pattes en l'air, Grille d'égout, la Môme Fromage qu'il sait mettre en valeur. Elles sont la sensualité canaille, le mouvement, la sauvagerie; il est l'homme-caoutchouc, l'ironique, le faire valoir doué et inventif, le flegmatique, le clown blanc.
Les danseuses sont vêtues d'étoffes scintillantes, de jupons éclatants, lui, il est serré dans son costume et sa redingote noire qui paraissent gris sous les lumières. Il porte, légèrement penché sur sa tête un haut de forme lustré.
Si l'on en croit la légende du Moulin Rouge, il y aurait dansé 39 962 valses, 27 220 quadrilles et 14 966 polkas!
Peut-être possédait-il, dissimulé sous son haut de forme un compteur dansométrique!
Ce qui est avéré, c'est qu'il reçut un accueil triomphal à chacune de ses prestations avec la Goulue. Si par hasard, il était absent, les spectateurs le réclamaient bruyamment.
Il devint vedette à part entière et cependant il n'exigea jamais d'argent. La danse suffisait à le combler.
Le mystère de cet artiste naît de sa double vie.
Bourgeois et laborieux le jour, danseur-contorsionniste original et surdoué la nuit.
Le Paris des écrivains et des peintres qui fréquentaient le Moulin Rouge ont tous été frappés par ce long spectre dansant.
Jules Lemaître écrit dans l'Echo de Paris, parlant du couple La Goulue-Valentin :
"L'harmonie de leurs mouvements est si parfaite que, si vous espérez jamais voir une grâce plus précise unie à une force plus souple, inutile de chercher, vous ne trouverez pas."
Le Moulin Rouge replia se ailes en 1902.
Valentin replia ses grands bras et s'éloigna...
On ignore ce qu'il devint alors. On ne le rencontra plus dans les bals.
On ne retrouva sa trace qu'en 1905 à La Ferté-Alais où il avait élu domicile. Mais c'est à Sceaux, chez son frère, qu'il mourut en 1907.
C'est dans le cimetière de cette ville qu'il fut inhumé, dans la sépulture familiale, sous le nom de Jules Renaudin.
Avec la mort s'abolissent les âges et les années...
Nous pouvons imaginer Jules Renaudin, mort pendant le jour, se métamorphosant la nuit en Valentin le désossé et filant tout droit au célèbre bal de Sceaux...
Comment ne pas évoquer le roman de Balzac, "Le Bal de Sceaux" que Valentin avait lu peut-être ?
C'est l'histoire d'une jeune aristocrate qui tombe amoureuse, au cours de ce bal dont le tout-Paris raffole, de Maximilien, brillant danseur que les femmes admirent. Elle le retrouve chaque semaine au même bal sans jamais rien pouvoir connaître de lui qui disparaît aux derniers accords de l'orchestre. Le père de la jeune femme fait alors une enquête et découvre que le mystérieux danseur est marchand d'étoffes, rue du Sentier.
Maximilien, Valentin, deux hommes à double vie.
Le plus romanesque des deux ne serait-il pas celui qui fait aujourd'hui partie de la légende de Montmartre!
Liens
Les peintres, les artistes, les personnages de Montmartre
(Je conseille à ceux qui veulent plus de renseignements sur Valentin de consulter l'article complet et bien documenté de Philippe Autrive sur le site La Ferté.com)