Taï Taï, magasin-galerie du 15 rue André Del Sarte dédié à l'art et artisanat d'Asie est bien connu des amateurs qui apprécient l'harmonie du lieu, l'accueil qui leur est réservé et la diversité, l'originalité des objets et des œuvres proposés .
Depuis le 15 juin et pour quelques semaines, une exposition des 36 vues du Mont Fuji par Hokusaï attend les curieux et les amateurs.
Hokusaï est peut-être l'artiste japonais le plus connu en Occident.
(Red Fuji. Southern wind. Clear Morning)
Il y eut entre lui et les peintres français des influences manifestes. Ce que l'on a appelé le japonisme chez nous est fortement marqué par sa personnalité alors que son art était considéré comme "léger" dans son pays. Sait-on que les Européens connurent pour la première fois la"Manga d'Hokusaï par le le papier d'emballage des porcelaines!
(The Fuji from Kanaya on the Tokaido)
Les célèbres 36 vues du Mont Fuji (qui sont 46 comme chacun sait!) ont été éditées pour la 1ère fois entre 1831 et 1833.
(Shore of Tago Bay, Ejiri at Tokaido)
Depuis, elles n'ont cessé de fasciner par leur poésie, leur apparente simplicité qui est le tremplin idéal du rêve.
Evidemment la "Joconde" d'Hokusaï est la célèbre "vague". Une vague immense, vivante, se dresse au-dessus des frêles embarcations. Elle dit la puissance de la nature et la fragilité des humains. Etonnante composition qui unit dans le même paysage la force mouvante des flots et celle, immuable du Fuji.
La vague sera féconde puisqu'elle inspirera l'Art Nouveau et fera l'admiration de Klimt. Comment ne pas citer un des plus beaux vitraux de Paris, place Gabriel-Kaspereit dans le 9ème arrondissement, près de l'avenue Frochot. Sur toute la façade, la fameuse vague change de couleurs avec la lumière et devient féérique lorsqu'elle est éclairée, la nuit, de l'intérieur.
(Tsukada Island in the Musashi province)
Si la première édition des vues est aujourd'hui dans les musées, la qualité des différentes éditions qui se sont succédé depuis la création assurent à la série une renaissance qui ressemble à celle du phénix et permet grâce à la précision des gravures et des couleurs de distinguer les plus belles et les plus rares.
Ainsi en est-il pour Yūyūdō 悠々洞- Takamizawa Tadao, l'éditeur des "vues" présentées chez Taï Taï.
Les passionnés s'amusent à relever les légères différences d'une édition à l'autre. L'essentiel étant l'intensité des couleurs et des contrastes. Ici la fameux bleu de Prusse qu'utilisa Hokusaï pour la première fois au Japon donne à l'ensemble une cohérence, une atmosphère rares.
(Sunset across the Ryogoku bridge)
Chacun aura ses préférences et je n'hésite pas à présenter mes "vues" préférées mais l'ensemble forme un tout cohérent.
(Shore of Tago Bay)
Le Fuji éternel, témoin des agitations humaines, domine le paysage. Il rappelle l'éphémère de l'existence dans une nature qu'il importe de respecter.
(Inume pass in the Kai province)
C'est un beau moment que celui que l'on peut passer, à l'écart du bruit, devant cette édition remarquable des "vues" d'Hokusaï.
(Village of Sekiya at Samida river)
L'exposition vient de commencer et le Fuji a pris ses quartiers d'été 15 rue André Del Sarte! Vous avez le temps de ne pas le manquer!
Apparemment il aurait existé une place Ravignan à Montmartre si l'on en croit les clichés et cartes postales que l'on retrouve en abondance.
Et, mystère montmartrois, il en aurait existé non pas UNE mais DEUX!
La première aurait été la continuation de la rue Ravignan qui après quelques marches s'élargit devant le Bateau-Lavoir avant de reprendre son cours jusqu'à sa jonction avec la rue Gabrielle.
Elle faisait partie en réalité de la RUE Ravignan qui s'élargit sur une quarantaine de mètres après les quelques marches. Elle n'a jamais porté officiellement le nom de place, n'en déplaise aux nombreux clichés qui la présentent sous ce nom. Utrillo qui comme l'on sait, peignait souvent en reproduisant des cartes postales, a lui aussi appelé "place Ravignan" certaines de ses œuvres.
Place Ravignan (Utrillo)
Ce qui est certain c'est que dès 1911, elle est détachée de la rue Ravignan pour devenir la place Emile Goudeau. Il n'empêche que de nombreux Montmartrois ont continué de lui donner un nom qu'elle n'avait jamais porté.
La rue Ravignan dépossédée de cet espace arboré continue son chemin vers les hauteurs comme une rivière qui disparaît soudain en s'enfonçant sous terre pour rejaillir, plus vigoureuse encore un peu plus loin.
Rue Ravignan après la place Emile Goudeau (à droite rue Berthe, à gauche rue d'Orchampt)
C'est au niveau de la rue Berthe que s'accomplit cette résurgence.
Mais elle ignore notre chère rue Ravignan qu'elle va de nouveau être amputée, un peu plus loin, un peu plus haut. Cette nouvelle spoliation se fera à sa rencontre avec la rue Gabrielle.
C'est en effet à cet endroit qu'elle finit aujourd'hui sa course, rencontrant le petit immeuble où Picasso eut un atelier et où mourut son ami Casagemas.
Naguère, la rue Ravignan ne s'arrêtait pas en si bon chemin, elle tournait quasiment à angle droit et poursuivait plein nord jusqu'à la rue Norvins. Seul son côté pair était bâti, du numéro 22bis au numéro 34. L'autre côté donnant sur un terrain devenu vague et inconstructible depuis que la guinguette "La Tour de Montmartre" avait été engloutie par un fontis.
Ancienne rue Ravignan devenue un des côtés de la place Clément.
La rue Ravignan arrivant rue Norvins. La boulangerie devenue bazar.
Quelques vieilles maisons qui ont connu le temps où elles étaient rue Ravignan!
Avant la création de la place Clément. On voit que l'endroit était appelé "Place Ravignan" et parfois "rue Ravignan".
Exit la rue Ravignan et ses derniers numéros (transformés en numéros 2 à 12) lorsque fut créée par un décret de décembre 1905 (effectif en 1906) la place Jean Baptiste Clément.
sur la droite la rue Ravignan, sur la gauche la rue Feuchère et au fond la rue Lepic.
Cette place est un triangle dont le côté nord est la partie extrême de la rue Lepic dont les numéros 97 à 101 sont devenus les numéros 7 à 11 de la place
Arrière plan, la rue Lepic et le Réservoir.
Le côté ouest était formé par une vieille rue, trop courte pour subsister, qui allait de la rue Ravignan à la rue Lepic.
Il s'agit de la rue Feuchère dont les numéros 1 à 3 subsistèrent, augmentés d'un 5, sur la nouvelle place.
Ancienne rue Feuchère (aujourd'hui place J.B. Clément)
Souvenons-nous un instant de cette modeste rue du haut Montmartre qui honorait le sculpteur Jean-Jacques Feuchère (1807-1852).
La rue Feuchère à gauche (un des rares clichés où elle est mentionnée)
Beaucoup de rues de Montmartre rendent hommage à des sculpteurs ou des graveurs, à commencer par Pigalle en passant par Pilon, Houdon, Coustou, Androuet, Girardon etc...
Jean-Jacques Feuchère malgré sa courte vie fut très sollicité et nous passons souvent à Paris devant ses sculptures ou bas reliefs en ignorant leur auteur...
Le cavalie arabe au pont d'Iéna (Feuchère)
Le passage du pont d'Iéna sur l'Arc de Triomphe (Feuchère)
La liste serait trop longue mais contentons nous de mentionner son Bossuet de la Fontaine Saint-Sulpice, son cavalier arabe du pont d'Iéna, sa prise du pont d'Iéna de l'Arc de Triomphe, sa "Loi" place du Palais Bourbon, ses statues de la fontaine nord de la place de la Concorde...
Et voilà! Cette place Ravignan, comme celle située plus bas, N'A DONC JAMAIS EU D'EXISTENCE OFFICIELLE sinon dans la langue montmartroise qui donnait à ce terrain vierge le nom de la rue qui le bordait, le vieux chemin qui depuis des temps anciens montait, en courbes capricieuses jusqu'au cœur du village
Notre enquête s'achève sur ce constat qui évitera peut-être des recherches aux collectionneurs de cartes anciennes, dont certains sont des amis.
Place Jean Baptiste Clément (Utrillo)
Nous quittons ce lieu haut perché avec notre Jean Baptiste (sans trait d'union, comme il le voulait pour se différencier de son père Jean-Baptiste Clément), communard, homme au grand cœur, Montmartrois d'âme et de corps puisqu'il eut non moins que 12 adresses sur la Butte, poète bien sûr. Une place où les merles moqueurs s'en donnent à bec joie et où nous revient sur les lèvres la chanson si souvent chantée par nos anciens, chanson qui évoque le printemps éphémère et la couleur des cerises, couleur de la vie et du sang
Place Jean Baptiste Clément (Utrillo)
J’aimerai toujours le temps des cerises:
C’est de ce temps-là que je garde au cœur
Une plaie ouverte!
Et dame Fortune, en m’étant offerte,
Ne pourra jamais fermer ma douleur…
J’aimerai toujours le temps des cerises
Et le souvenir que je garde au cœur!
Un grand merci à Pierre, ancien poulbot de la rue Lepic, d'avoir aiguillonné ma curiosité et de m'avoir transformé en enquêteur occasionnel!
Une belle rencontre avec une peintre rare, Françoise Pétrovitch, au musée de la Vie Romantique.
Le musée lui a donné carte blanche pour présenter ses œuvres...
Le visiteur a ainsi l'impression d'être accueilli dans l'univers de l'artiste, comme dans sa maison.
La première toile "dans mes mains" représente une adolescente, tenant tendrement un chien. "C'est rose et ce n'est pas mièvre, c'est une adolescente d'aujourdhui, c'est une jeune fille vive et attentionnée."
Nous descendons dans la grande salle en sous-sol sous l'atelier d'Ary Scheffer. Ce qui frappe immédiatement c'est la paix, l'harmonie...
Nous sommes invités à entrer dans les paysages mouillés, entre rêve et réalité. Ils sont des îles étranges, à la fois inquiétantes et en apesanteur.
Les plus beaux panneaux reprennent le thème du corps porté, soutenu par les bras de celui ou celle dont on ne voit pas le visage.
Les yeux sont fermés. Evanouissement ou mort? Corps sauvé ou cadavre déjà? C'est nous qui décidons, qui interprétons ces scènes puissantes.
Le lavis laisse des traces sur les corps, comme des blessures, comme du sang. Mais ces mains qui se referment sur la lourdeur du corps sont le lien puissant qui unit les êtres. Ce lien qui porte secours et qui tente de remettre debout ceux qui sont tombés.
Nous retrouvons ce thème dans la vaste salle qui servait d'atelier à Ary Scheffer. Cette fois les mains sont comme éclairées, vivantes, sur le cœur de celui qui est tenu, comme si la vie se réfugiait là et continuait de battre.
Trois toiles formant triptyque représentent des adolescents. Les jeunes apparaissent souvent dans l'œuvre de Françoise Pétrovitch.
C'est l'âge des possibles, la période où l'on est pris entre le désir de rencontre et celui de solitude et de repli.
Sur la gauche, deux jeune avancent les yeux ouverts contrairement à ceux qui figurent sur la plupart des autres toiles. L'une semble regarder vers le sol, l'autre regarder vers l'avant. Ils sont ensemble et seuls. Ce qu'ils ont en commun c'est la cigarette qui se consume.
Au centre, une des plus belles compositions de l'exposition, les jeunes sont deux encore, yeux clos. La fille semble parler. Le garçon tête baissée, les mains repliées dans les poches de son blouson reste silencieux. Rupture? Explication? Deux mondes séparés.
Sur la droite le garçon est seul. Sa cigarette est éteinte. Il est perdu dans ses pensées. Il est l'écho d'une autre solitude rencontrée dans la salle en sous-sol. Une jeune fille dans un monde qui se liquéfie autour d'elle.
Des toiles de plus petit format couvrent le mur sous les verrières. Les mains de la jeune fille entourent comme un nid l'oiseau fragile . Lèvres et ongles rouges ont les couleurs de la vie autour de l'animal fragile, couvert de bleus.
Les mains encore, toujours présentes, mains ouvertes pour donner ou recevoir...
Mains qui se détachent, mains blessées, mains qui cherchent à se rejoindre encore...
Rare scène de tendresse. Mais les visages qui s'abandonnent expriment une grande tristesse. Une douleur, une douceur. Un deuil peut-être. Mère et fille, amie et amie, bleu et rouge et vert... mains que l'on devine réunies, serrées.
Main qui reçoit un oursin d'étoile bleue. Une blessure? Une promesse?
Un des rares tableaux où les yeux ne sont pas fermés mais à la fois ouverts et aveugles. Les paupières ont-elles été inconscientes, en se levant, du danger d'abolir la frontière entre l'intérieur et le monde. Ne reste que le masque bleu, lèvres closes.
Il faut lever les yeux pour voir cette toile. C'est la seule de toute l'expo qui nous demande de regarder vers le haut. Vers l'espoirI
Il s'agit d'une jeune fille aux ongles jaunes, abritant la flamme de son briquet. Elle a été peinte le jour de l'invasion de l'Ukraine. Le visage frappé par la lumière est celui de la jeunesse, de l'avenir.
Il faut quitter l'atelier pour rejoindre la maison d'Ary Scheffer qui abrite le musée de la Vie Romantique dans ce quartier de la Nouvelle Athènes où vécurent tant d'artistes du XIXème siècle.
Et tout d'abord George Sand qui vivait non loin de là avec Chopin. Hommage lui est rendu avec cette femme moderne qui fait penser à Jeanne Moreau et qui fume comme on revendique sa liberté, comme Sand fumait le cigare et portait le pantalon.
L'expo se termine avec cette rencontre d'une femme peintre et d'une écrivaine, libres toutes deux, engagées dans leur art et dans le partage.
Elle descend en ligne droite entre le boulevard Marguerite de Rochechouart au niveau de la place d'Anvers et la Gare du Nord où elle cède la place à Napoléon III (ancienne place de Roubaix) avant de reprendre son chemin sur une cinquantaine de mètres jusqu'à la rue d'Alsace.
Rue de Dunkerque à partir du Magenta, vers la Gare du Nord.
La numérotation voudrait qu'on dise plutôt qu'elle monte de la rue d'Alsace jusqu'au boulevard de Rochechouart mais comme nous avons Montmartre pour épicentre, nous la parcourrons en commençant par les derniers numéros, près du square d'Anvers.
Nous pouvons la diviser en trois parties pour raconter sa création.
La plus ancienne partie court sur plus de 500 mètres entre la Gare du Nord (faubourg Saint-Denis) et le faubourg Poissonnière.
Son plan de lotissement est tracé en 1827 sur les terrains de l'Enclos Saint-Lazare.
Il faudrait des centaines de pages pour retracer l'histoire de ce clos qui remonte au XIIème siècle quand il fallut isoler les lépreux dans des bâtiments entourés de murs (sous la protection de Saint Lazare). Au XVIIème siècle c'est là que St Vincent de Paul créa les Filles de la Mission et recueillit les orphelins. C'est un des lieux les plus chargés d'histoire de Paris.
La rue nouvellement créée prend le nom des Abattoirs de Montmartre situés plus haut pour remplacer les nombreuses "tueries" insalubres. Elle gardera ce nom jusqu'en 1847 pour prendre celui de Dunkerque. Plusieurs rues du quartier rendront hommage à des villes du nord de même que sur la façade de la gare, des statues de pierre les représenteront telles des déesses antiques.
La rue était prolongée à l'est par une impasse "le cul de sac Saint-Lazare" qui devint "impasse des Abattoirs" puisqu'elle prolongeait la rue du même nom.
Enfin quand Dunkerque remplaça 'les Abattoirs", l'impasse transformée en rue, fit partie de la nouvelle rue.
Rue de Dunkerque au boulevard de Rochechouart (en arrière plan l'Elysée Montmartre)
La dernière partie va de la rue du Faubourg Poissonnière au boulevard Marguerite de Rochechouart.
C'était à l'origine la rue Neuve du Delta qui portait ce nom à cause du jardin d'attractions sur lequel elle avait été lotie en 1839.
Ce grand jardin attirait de nombreux parisiens émerveillés par les spectacles de feux d'artifice de Ruggieri. Il avait remplacé les "Promenades Egyptiennes" ou avaient été inaugurées les ancêtres des montagnes russes. C'est à la suite de nombreux accidents que les Promenades Egyptiennes avaient cédé la place au jardin du Delta.
La Place du Delta, la rue de Rochechouart
La rue du Delta voisine et la place du même nom en perpétuent la mémoire.
La rue Neuve du Delta fut réunie en 1854 à la rue de Dunkerque et prit son nom. Et voilà! Nous avons notre rue en son entier sur 1km 100.
Nous commençons notre balade par la fin de la rue, comme nous l'avons dit, là où elle est montmartroise. Elle débouche sur la place d'Anvers, devant le boulevard Marguerite de Rochechouart, à deux pas du square d'Anvers.
Débouché de la rue sur le boulevard, vers l'Elysée Montmartre et le métro Anvers
Le Café des Oiseaux côté impair nous invite à prendre un peu de hauteur afin d'éviter les ordures qui s'entassent depuis près de trois semaines. Mes photos éviteront donc les rez-de-chaussée nauséabonds et grouillants de rats! Un seul exemple suffira (suffi- rat)
84 rue de Dunkerque. Entrée de l'espace de réunions de l'hôtel "Le Régent"
Le café des Oiseaux est cité dans l'Amour Fou de Breton.
Le boulevard, le square d'Anvers et à gauche la rue de Dunkerque et le café des oiseaux.
C'est là que l'artiste rare, peintre de talent, Jacqueline Lamba, lui donne rendez-vous, pour, après deux heures de conversation, déambuler dans les rues d'un Paris nocturne et magique.
Le cirque (Jacqueline lamba)
Jacqueline Lamba et Breton
Cette femme "scandaleusement belle" sera la 2ème femme de Breton et la mère de leur fille Aube. Elle est à peine mentionnée hélas dans l'exposition que le musée de Montmartre consacre jusqu'en septembre 2023 aux femmes surréalistes.
La partie de rue qui va jusqu'au croisement avec l'avenue Trudaine possède de beaux immeubles haussmanniens construits en même temps que l'avenue. Ils sont comme il se doit, de même hauteur (6 étages) avec décoration de moulures et de corniches avec balcon à l'étage noble (2ème) et balcon filant au 6ème.
Le 85
Le 81
Le 83
Nous pouvons voir sur la façade du 83 le nom de l'architecte et la date de construction : De Lalande. 1870.
Cet architecte est très en vogue sous le 2nd Empire et on lui doit plusieurs théâtres, notamment le théâtre de la Renaissance qui a survécu au vandalisme des années Pompidou.
C'est à lui que l'on doit le beaux immeubles du début (côté pair) de l'avenue Trudaine.
Une ancienne photo rappelle qu'il y eut au 83, un restaurant depuis longtemps disparu.
Le 87
Il y eut au 87 un hôtel du nom de Reina. Sans les cartes anciennes nous n'en saurions plus rien.
Le 76 et le 9
Une curiosité sur l'immeuble à pan coupé du 76, c'est qu'il affiche deux numéros, l'un sur la rue de Dunkerque (76) et l'autre sur la rue Gérando (9).
La rue, hélas, n'a pas abrité beaucoup de peintres dans un quartier qu'ils avaient pourtant investi. Revenons donc vite au 91 où vécut et mourut Alexis Kalaeff.
Ce peintre né en 1902 en Russie se réfugie à Paris en 1926 où il suit les cours d'Othon Friesz. Il est classé parmi les Expressionnistes bien que son oeuvre présentât bien des facettes.
Préparation pour le bal masqué
Il peignit des paysages, des scènes de cirque (il fréquentait en voisin le Médrano)... des scènes religieuses. Ce dernier aspect révèle son âme torturée qui fait de la passion du Christ l'image même de la condition humaine.
L'accusé
Après la mort de son grand amour, sa femme Claudine, il se suicide dans cet immeuble du 91. Il a 79 ans. J'aurais aimé le connaître.
Nous aurions bu un verre au Café des Oiseaux et j'aurais pu lui dire que je l'admirais.
Femme au flambeau
Nous arrivons au croisement avec la rue Marguerite de Rochechouart. La rue descend en droite ligne plein est.
Le 57 est un des rares immeubles à porter, gravé dans la pierre, le nom de son architecte : F. Ratier 1872.
Je n'ai rien trouvé sur cet architecte qui serait le bienvenu pendant ces grèves, pour contrer la gent des muridés qui prolifère dans nos poubelles!
Cette section qui va jusqu'à la rue du Faubourg Poissonnière (38 côté pair et 51 côté impair) n'a pas grand chose à nous raconter. Nous y rencontrerons quelques immeubles haussmanniens..
Le 54
Nous trouverons cependant un intérêt historique à un groupe d'immeubles semblables , les 46-48-50 qui ont été construits par la Compagnie d'Assurances "La Confiance" en 1880.
Les Assurances en effet investissaient dans l'immobilier et le bon rapport financier des locations. Nos immeubles de la rue de Dunkerque font partie d'un vaste ensemble qui donne en partie sur la rue du Faubourg Poissonnière. Adieu au style haussmannien... les façades de pierres sont simples et sans décors.
Ce qui n'est pas le cas du bel immeuble fin de siècle du 44
Jetons un œil sur le 43.
43
Sa belle façade de 1930 développe ses baies vitrées derrière lesquelles il y eut le siège des Editions des frères Offenstadt. Les quatre frères s'étaient spécialisés dans la presse enfantine et leurs journaux connaissaient une grande diffusion. Parmi leurs valeurs les plus sûres et les plus impertinentes figuraient le Pieds Nickelés qui amusaient petits et grands.
Sous le régime de Vichy, ils subirent les lois antijuives et furent spoliés. Maurice mourut en 1943 à Nice où il s'était réfugié, Nathan mourut au camp de Drancy. Les frères rescapés ne retrouvèrent leurs biens qu'en 1946 mais ne parvinrent pas à reconquérir le marché de la presse pour jeunes où régnaient Spirou, Tintin et autre Mickey.
Aujourd'hui se trouve dans cet immeuble le siège de La France Insoumise. Peut-être les Pieds Nickelés inspirent-ils leurs membres ?
Croisement avec le Faubourg Poissonnière (vers square d'Anvers)
Cette partie montmartroise de la rue de Dunkerque, s'arrête avec le 9ème arrondissement au croisement avec le Faubourg Poissonnière (n°51 et n°38). De l'autre côté, nous serons dans le 10ème arrondissement. Nous arpenterons une prochaine fois la deuxième partie, la plus ancienne, qui va vers la Gare du Nord, ce palais des voyages voulu par Napoléon III.
Croisement avec le Faubourg Poissonnière vers Gare du Nord.
Il est devenu une des attractions de la Butte. Idéalement situé entre la rue Azaîs et la rue Saint Eleuthère, il regarde vers le sud, vers l'océan des toits et il offre vers l'ouest une vue sur la tour Eiffel si convoitée par les portables et les appareils photos du monde entier!
Le square est un îlot arboré (chênes, arbres de Judée, sophoras) entre le grand réservoir de Montmartre et les arènes. Il est bordé à l'est par les dernières volées de l'escalier Foyatier et ses 222 marches.
Le lieu est chargé d'histoire. Il est cher au cœur des Montmartrois car il faisait partie du "Champ des Polonais" où étaient postés les fameux canons. Est-il utile de rappeler que c'est là que commença véritablement la Commune lorsque les Versaillais voulurent prendre ces canons qui protégeaient la Butte et que les habitants se révoltèrent et les en empêchèrent ?
Pendant la construction de la basilique, le terrain vague servit de halte temporaire aux pèlerins mais ce n'est qu'en 1927 qu'il fut vraiment promu square parisien
En 1905, une statue du Chevalier de La Barre, jeune homme torturé et mis à mort en 1766 pour avoir refusé de saluer une procession religieuse, fut érigée au pied du Sacré-Cœur. Symbole oh combien puissant de l'esprit montmartrois, révolté et moqueur. La statue d'une victime de l'obscurantisme religieux à un tel endroit!
La statue ne résista aux indignations des croyants qu'une vingtaine d'années. Le martyr de l'intégrisme religieux, afin d'être moins visible, fut transporté en 1926 dans le square voisin en cours de création.
Sous Pétain, il connut de nouveaux outrages. Il fut descellé et fondu, ne laissant que son socle de pierre.
Il fallut attendre 2001 pour qu'une nouvelle statue fût inaugurée. Elle est due à Emmanuel Ball et représente le Chevalier, fièrement campé sur ses jambes, le chapeau sur la tête, tourné crânement vers la basilique.
Baudelaire, Berlioz, Nerval, Sarah Bernhardt par Félix Nadar.
Le square a pris le nom de Nadar (1820-1910) en hommage à celui qui, de son vrai nom Félix Tournachon, était un artiste multiple, excellant dans la caricature, le journalisme et la photo. C'est par ses photos qu'il est aujourd'hui célèbre, nous offrant le visage de quelques uns de nos plus grands écrivains ou peintres.
Il est à sa place sur cette Butte non seulement parce qu'il habita longtemps un peu plus bas, rue Saint-Lazare mais aussi parce qu'il participa à sa manière à la Résistance contre les Prussiens. Passionné par la photo aérienne, il avait utilisé des ballons bien avant 1870.
Caricature de Daumier avec la légende : Nadar élevant la photographie à la hauteur de l'art
Il constitua la "Compagnie d'aérostiers" afin de mettre à disposition du gouvernement des ballons pour franchir les lignes ennemies. Il s'installa alors place Saint-Pierre dans le jardin qui porte aujourd'hui le nom de Louise Michel. Il consacra une bonne partie de son argent à mettre au point les ballons militaires qu'il baptisa "Georges Sand, "Armand Barbès" ou "Louis Blanc". C'est à bord du Barbès que Gambetta quitta paris pour Tours afin d'organiser la résistance.
Nadar, après la commune, fut un homme ruiné et rejeté par les vainqueurs. Son nom au sommet de la Butte lui rend hommage et le remercie.
Le fils de Nadar (Paul) et son chien
En 2007, en concertation avec les associations locales de défense des animaux, un pigeonnier a été installé. Il a aussitôt conquis de nombreux pigeons qui s'y sont installés, heureux de trouver un hôtel quatre étoiles avec de beaux arbres et une vue plongeante sur la ville.
Le square Nadar fait partie de ceux qui sont labellisés "espace canin". Les chiens exclus dans la plupart des jardins y sont acceptés. C'est la moindre des libertés quand on sait à quel point ils enrichissent nos vies par leur naturel, leur affection, leur regard de bonté et de confiance.
Et puis, chacun le sait, le chien facilite le contact entre les promeneurs qui entament la conversation et nouent parfois de véritables amitiés.
Les Montmartrois aiment ce square où les chiens jouent et piquent des sprints sans se lasser, où les "maîtres" ont un sujet évident de conversation et d'intérêt. Ils sourient, parlent, écoutent....
Les espaces canins sont des espaces humains
Louise Michel figure tutélaire de la Butte aurait aimé cet espace de vie, elle qui profondément touchée par le sort cruel infligé aux animaux, écrivit quelques unes de ses plus belles pages pour les défendre.
Les jardins Saint-Pierre au pied de la basilique portent aujourd'hui son nom.
Louise Michel à Marseille par Félix Nadar
Louise Michel, Nadar, le Chevalier de La Barre, nous voila en bonne compagnie avec nos amis animaux!
Souhaitons que de tels lieux de vie se multiplient pour le bonheur des chiens et pour le nôtre!
Avertissement : Je sais que nous ne sommes plus au temps de Doisneau et autres photographes de rue et que certaines personnes peuvent ne pas accepter d'être vues sur le net. J'ai pris de nombreuses photos de ce square, avec respect et tendresse pour les relations entre les chiens et leurs maîtres. Cependant je retirerai sur le champ celles que les gens, ou les chiens, me demanderaient de supprimer.
Nous sommes au cœur de Montmartre, à l'entrée de la place du Tertre devenue mythique, au premier numéro, avec cet Hôtel qui abrita quelques poètes, artistes, peintres les plus emblématiques de la Butte
L'Hôtel a été détruit comme tant de vieilles maisons du village et aujourd'hui s'élève à sa place un petit immeuble dont l'architecture n'est pas nulle mais s'intègre mal avec les immeubles voisins qui, eux, par chance, ont été sauvegardés.
Nous pouvons grâce aux cartes postales et aux photos revoir l'Hôtel, tel qu'il fut dans les grandes années montmartroises.
Ce petit immeuble modeste date de 1835 et il abrita des commerces qui convenaient aux villageois.
Si j'en crois André Roussard et ses "Montmartrois", il y aurait eu dans les dernières années du XIXème siècle, au rez de chaussée, une épicerie-bazar, appartenant au père Poncier.
Des documents (photos, cartes postales) semblent attester que ce père Poncier était en fait un restaurateur dont le nom apparaît sur la façade et dont le restaurant "le Rendez-vous des cochers" a précédé Bouscarat.
Ce document montre également qu'il y eut une librairie- papeterie-mercerie qui jouxtait le restaurant.
Sur une photo plus tardive, on peut voir que le "Rendez-vous des cochers" a pris la place de la librairie et jouxte désormais l'hôtel du Tertre et le restaurant Bouscarat.
Bon ce débat sur les emplacements exacts des établissements n'intéressera peut-être que les Montmartrolâtres dont je suis!
Sur cette autre photo, nous voyons que "le rendez-vous des cochers" a disparu pour laisser place "Au Sommet de la Capitale".
L'Hôtel du Tertre, lui, est bien là. Notons l'apparition d'une vespasienne à quelques mètres de l'église.
C'est en 1897 qu'Henri Bouscarat rachète l'immeuble du début de la rue.
Il est fils de paysans de l'Aubrac, "monté" à Paris, comme tant d'autres pour devenir bougnat. Il voit tout de suite quels atouts possède ce petit immeuble, situé idéalement au centre du village et non loin du chantier de la Basilique qui emploie des centaines d'ouvriers et il y ouvre un restaurant et un hôtel.
Utrillo
Le restaurant "chez Bouscarat" avec ses tables sorties sur la chaussée dès le début du printemps, attire les affamés pas trop fortunés et les jolies filles disposées moyennant quelques sous à poser pour les peintres qui ont choisi Montmartre pour y travailler dans des ateliers au loyer modeste.
L'Hôtel devient un des épicentres de la vie artistique montmartroise. Les peintres du Bateau-Lavoir s'y retrouvent. Parmi eux les Espagnols autour de Picasso bien sûr mais plutôt que de citer tous ceux qui ont apprécié l'endroit et les demoiselles disponibles qui s'y affichaient, retenons plutôt le nom de ceux qui ont été les plus assidus clients de l'hôtel.
Gaston Couté tout d'abord, le poète anarchiste au grand cœur qui vécut dans une chambre du premier étage quand il ne dormait pas dans la rue. Cet homme sensible et doux est le seul qui a l'honneur d'une plaque sur la façade de briques du bâtiment actuel.
Nous lui avons consacré un article et la meilleure façon de le saluer, c'est encore de citer quelques uns de ses vers écrits alors qu'il entendait sous ses fenêtres, le clocher de Saint-Pierre sonner le glas pour ceux qui avaient de quoi se payer un bel enterrement :
Quand s'éteignent comme des cierges, Les grands-pères et les grand'mères Et que gisent, emmi les serges Des linceuls, leurs corps éphémères. Digue digue dig, digue digue don ! Chante aux trépassés le grand carillon Digue digue dig, digue digue don ! Pour qu'on vous enterre Casquez, casquez donc !
Le poète de la fraternité et de la révolte eut pour principale adresse cet hôtel où il écrivit certains de ses poèmes les plus connus, ceux que chanta notamment Monique Morelli, la grande voix du Montmartre de la poésie et de la révolte.
Pierre Hodé
Parmi les autres locataires d'une chambre de l'Hôtel, nous trouvons Jules Depaquit, un des plus éminents Montmartrois! Dessinateur et caricaturiste de talent ("le Rire" "Le Canard Enchaîné"), il fut maire de la Commune libre de Montmartre. On lui doit la fête des vendanges, les vachalcades et un programme politique idéal interdisant, sous peine de mort, de mourir sur le territoire de la Commune ou supprimant l'eau des fontaines qui devront "éjaculer" du vin, rouge, rosé ou blanc selon le goût des habitants....
Il a vécu quelques années dans une chambre voisine de celle de Mac Orlan ou de Satie. Quand ses revenus se sont améliorés, il a loué une autre chambre dans la maison qui appartenait à Aristide Bruant, rue Saint-Vincent.
Il meurt en 1924 et ne verra donc pas la destruction de l'Hôtel du Tertre. La plus belle épitaphe prononcée lors de son enterrement est prononcée par Mac Orlan : "Son activité se bornait à régler la circulation entre la place du Tertre et la lune".
Mac Orlan est l'un des habitants de l'hôtel qui en garda le plus de souvenirs et qui écrivit le plus sur ce lieu unique, cette terrasse où l'on pouvait voir tant d'artistes sans le sou devenus par la suite illustres.
Foujita
Mais l'esprit libertaire et potache de Montmartre trouve une de ses plus savoureuses réalisations dans cet Hôtel avec le baron Pigeard auquel j'ai consacré un article alors qu'il mériterait un roman!
Cet homme, baron comme je suis évêque, commettait quelques croûtes qui furent exposées à la foire aux croûtes de la place Constantin Pecqueur mais il préférait confectionner des maquettes de voiliers qui trouvaient plus facilement acquéreurs. Il eut l'idée de créer avec deux acolytes, Anselin et Fournier, la célébrissime UMBM, l'Union Maritime de la Butte Montmartre.
N'y étaient admis que ceux qui avaient un rapport avec la mer. Modigliani venu de Toscane, Max Jacob du Finistère, en firent partie et assistèrent aux réunions, dans la salle du restaurant Bouscarat.
Max Jacob
Un hareng saur dans une cage était posé sur la table et présidait les séances, à côté du crâne de Christophe Colomb à 25 ans que l'on avait le droit de toucher moyennant quelques sous ou une tournée d'absinthe.
Les membres de l'Union s'engageaient à apprendre la natation aux poulbots couchés à plat ventre sur un tabouret et répétant les gestes de la brasse qui leur étaient montrés. Les réunions de l'USBM connurent un franc succès et elles encouragèrent Bouscarat à re-nommer son premier étage : Hôtel de la Marine!
La suite de l'histoire est moins joyeuse. Tout commence avec le flair et l'appétit d'un chauffeur de taxi, Léonard Beynat qui achète la modeste boutique d'un cordonnier qui jouxte l'hôtel. Il y installe ce qu'on appellerait aujourd'hui un bar à vins mais sous une forme plus rustique puisqu'on y tire directement la dive boisson au tonneau.
Le succès est tel que Beynat peut, racheter l'hôtel du Tertre et ouvrir le cabaret "La Bohème".
On peut voir également, jouxtant le cabaret, "le Moulin Joyeux", restaurant qui plus tard, en 1968, sera avalé par la Bohème lorsqu'il sera racheté par les successeurs de Beynat, longtemps après la démolition de l'Hôtel du Tertre.
Léonard Beynat après bien des démarches, obtint en effet l'autorisation de le détruire malgré les manifestations pacifiques organisées par les riverains, découragés de voir détruire une à une les maisons qui avaient résisté à la spéculation.
C'est ainsi que les pelleteuses vinrent abattre le vieil hôtel, en 1938, pour le remplacer par l'immeuble actuel, trop haut, sans harmonie avec les maisons environnantes.
Le nom de l'hôtel disparut au profit de "La Bohème".
Faut-il y voir un hommage à ce que fut ce lieu?
Ou bien, comme Aznavour chanter que "ça ne veut plus rien dire du tout"?
Quand au hasard des jours Je m'en vais faire un tour À mon ancienne adresse Je ne reconnais plus, Ni les murs, ni les rues qui ont vu ma jeunesse En haut d'un escalier Je cherche l'atelier Dont plus rien ne subsiste Dans son nouveau décor, Montmartre semble triste et les Lilas sont morts
La place des Abbesses enlaidie par un vilain manège plastic et fluo était jadis protégée par un lion furieux qui aurait sans doute protégé son territoire s'il avait été là.
C'est en 1901 que la Ville en fait l'acquisition, ce qui prouve qu'elle avait bon goût car la sculpture ne manque ni de force ni d'intensité.
Le lion a été sculpté par Henri Léon Cordier (1857-1926).
Sculpteur, fils de sculpteur, il a fait ses armes dans l'atelier d'Emmanuel Fremiet, connu pour ses œuvres animalières, parmi lesquelles le spectaculaire "éléphant pris au piège" sur l'esplanade du musée d'Orsay, son "gorille enlevant une femme" du musée de Nantes
N'oublions pas son St Michel au somment de l'abbaye du Mont éponyme, occupé à massacrer un dragon, ou sa Jeanne d'Arc qui assiste sans pouvoir descendre de son cheval aux meetings traditionnels d'un parti politique créé par un breton borgne.
Cordier fils obtint de nombreuses commandes officielles parmi lesquelles le monument aux frères Montgolfier (Annonay) ou le monument au général Lasalle (Lunéville).
Son "lion rugissant, patte gauche tendue" est installé au milieu de la place, là où actuellement un cercle de pierre rescapé et une grille protègent une bouche d'aération.
L'ancien socle et en arrière fond l'abominable manège!
Le lion fut bien accueilli par les riverains bien qu'il eût été nécessaire de le protéger des poulbots qui aimaient s'accrocher à sa queue pour se balancer comme Tarzan avec des lianes.
Hélas il ne resta qu'une dizaine d'années. Aujourd'hui il n'y a plus un seul Montmartrois vivant pour se souvenir de lui.
Ligne Nord-Sud, station Lamarck
En effet, en 1910 les travaux du métro (nous sommes sur la ligne Nord-Sud entre Montparnasse et Montmartre) chassent le fauve qui est remisé dans les entrepôts de la Ville.
Rappelons que la station Guimard classée qui orne la place n'a pas été conçue pour elle mais a été transportée en 1974 depuis la place de l'Hôtel de Ville où elle avait été érigée. C'est ce qui s'appelle déshabiller Jacques pour habiller Paul!
Notre place ne reverra pas son lion. Nulle autre statue ne viendra l'agrémenter. La ville d'Orly en revanche récupère avec enthousiasme le fauve qui se morfondait dans les entrepôts. Nous sommes en 1931 et c'est dans le parc de la Cloche qu'il est installé. Sa queue qui servait de balançoire aux poulbots a disparu dans les divers transports. Nul ne sait où elle est passée....
Et nul ne sait malgré tous les Dupont et Dupont du Val de Marne qui a volé le pauvre lion sans queue. Il disparut malgré toute l'attention que lui portait la ville qui assura sa restauration en 2010.
Cette restauration aurait dû lui porter chance quand on connaît le nom de sa restauratrice : Zelinski! Et bien non! en 2012 le lion fut kidnappé et les barbares qui s'en emparèrent courent toujours! Il fut remplacé par un autre lion en granit dû au scupteur Harut Yekmalian.
Le lion de Yekmalian (non pas celui d'Orly mais celui d'Arras en lavedan)
Notre place des Abbesses, site classé, a vu débarquer un vilain manège qui à l'origine était décoré de poulbots botoxés.
Devant la réaction des riverains, les gnomes boursouflés furent effacés mais le manège resta. Il est là depuis plus de dix ans et personne n'est venu nuitamment le voler!
Voilà un endroit de Montmartre qui semble préservé et qui pourtant est l'un de ceux qui a été ravagé par les bombes alliées en 1944.
Quand tombe la nuit il reste vibrant de l'âme montmartroise et il nous transporte, avec la voix de Morelli qui habitait à deux pas, dans un autre monde, une autre histoire.
Je l'aime profondément. J'y ai vécu alors que je commençais à enseigner, au 19 de la rue Paul Albert, tout contre la maison où vivaient Monique Morelli et Léonardi.
la maison n'a pas changé. Le chapeau de paille de Morelli est resté accroché à la fenêtre comme si, un jour de soleil, elle allait le remettre avant de sortir et dévaler la rue jusqu'au marché qu'elle aimait avenue Trudaine.
Presque en face de chez elle, dans la rue du Chevalier de la Barre, au 23, elle ouvrit le cabaret, "Chez Ubu" en 1962 où elle reçut ses amies Brigitte Fontaine et Colette Magny entre autres.
Morelli et Colette Magny
Mais, cornegidouille, elle n'était pas bonne gestionnaire et, trop accaparée par ses tours de chant, elle ferma boutique en 1969, année où elle chanta en 1ère partie de Brassens à Bobino.
Morelli, Brassens et Mac Orlan
Voilà 15 ans qu'elle a quitté sa maison sous le lierre pour le grand jardin du cimetière de Montmartre.
Travaux du funiculaire
Revenons en arrière, du temps où elle n'était pas encore née à l'ombre du beffroi de Béthune. Nous sommes à la fin du XIXème siècle. La Butte est sens dessus-dessous depuis que les travaux de la Basilique ont commencé avec leurs charrois, leur multitude de terrassiers, de maçons, de sculpteurs...
Au fond les 2 maisons rescapées du village
Les lotissements vont bon train et le quartier va être bouleversé.
Exception faite des maisons qui sont de part et d'autre du passage Cottin et qui sont restées telles qu'elles étaient quand Montmartre était un village.
Celle du 18 date de 1850 et abritait un bougnat. Un tableau de Lucien Génin en perpétue la mémoire.
Lucien Génin
Quelques commerces lui succédèrent jusqu'à ce qu'un restaurant s'y installe pendant une dizaine d'années, sous le nom d'Atmosphère, bien que nous soyons loin de l'hôtel du Nord.
Les 18 et 20 Chevalier de la Barre (1937. Takanori Ogisu)
Le pan coupé, sur le passage Cottin fut longtemps décoré par un portrait d'Arletty. Plus rien ne l'orne aujourd'hui et le petit immeuble campagnard avec ses volets bleus a repris ses airs d'antan.
Des plaques de grès dissociées qui formaient une frise avec vrilles, pampres, grappes et divinités bachiques décorent la façade.
Elles auraient été récupérées dans la célèbre Tour de Solférino qui était située un peu plus haut, rue Lamarck.
Les 18 et 22 et le passage Cottin (Gazi)
Le petit immeuble rescapé qui lui fait face, de l'autre côté du passage Cottin, au 20, abrite aujourd'hui une crèche.
Le CIM, "Centre Israélite de Montmartre" en fit l'acquisition en 1989. Le bâtiment était près de s'effondrer et il fallut entreprendre d'importants travaux pour le consolider et sauvegarder la façade classée. Une dizaine de piles furent nécessaires pour l'ancrer à la roche à une cinquantaine de mètres de profondeur. De tels travaux furent financés en majeure partie par une donation de Marcel Bleustein-Blanchet dont la crèche porte le nom.
Le 22 est une reconstruction à l'identique après les bombardements de 1944 qui ont détruit une partie de cet immeuble et de la grande maison qui en était voisine.
On peut voir sur la gauche le bâtiment qui abritait le panorama de Rome
La maison, au 24, saccagée par les bombes avait elle même été élevée sur le terrain où était proposé en 1900 aux badauds et aux pèlerins un "panorama", alors très à la mode, grande fresque circulaire qui donnait l'illusion au spectateur placé au milieu de la rotonde, d'être immergé dans le paysage.
On en comptait plusieurs sur la Butte : le panorama de Patay, rue Becquerel, celui du Sacré-Cœur rue saint-Eleuthère, celui de Jérusalem qui nous intéresse aujourd'hui et qui en 1905 se transforma en panorama de Rome.
Le panorama lorsqu'il était animé par des jeux de lumière prenait le nom de diorama...
le diorama de Jerusalem
toile peinte par Olivier Pichat pour le panorama de Jérusalem.
Les attractions s'avérant peu rentables, le panorama fut supprimé et sur son terrain fut édifiée en 1913 une maison avec atelier, construite pour le peintre Fernand Jobert (1876-1949).
Cette gravure d'Eugène Veder (1921) permet de se faire une idée de cette maison qui présente quelques similitudes avec la maison Neumont place du Calvaire. Son architecte est Albert d'Hont qui associé avec Félix Le Nevé, mort en 1906, a conçu plusieurs immeubles à Paris, notamment 98 boulevard Malesherbes et 11 rue Magellan.
Maison Neumont côté place du Calvaire.
Elle fut réalisée selon les indications du peintre qui avait largement les moyens d'en faire un une habitation-atelier idéale.
Bien qu'il passât une bonne partie de son temps en Bretagne, à Moëlan, il aimait l'atmosphère de la Butte et faisait partie de "la bande à Dorgelès" qui parle de lui comme d'un "peintre riche" opposé à Maclet "peintre pauvre."
Il aimait les peintres de Pont-Aven et fréquentait les Nabis. Montmartre ne semble pas l'avoir beaucoup inspiré, amoureux qu'il était des rivages bretons.
Le peintre quitta donc sa belle maison qui fut occupée alors par l'historien d'art, petit-fils de Gustave Eiffel, Georges Salles (1889-1966) spécialiste de l'Orient et, au temps de sa jeunesse, archéologue en Iran, Afghanistan et Chine.
Pendant les années où il vivait rue du chevalier de La Barre, il était directeur du musée Guimet.
Après guerre il deviendra directeur des musées de France. Il luttera alors pour la création d'un musée d'Art Moderne au Palais de Tokyo (aujourd'hui le MAM) et sera à l'origine de la commande pour le Louvre d'un superbe plafond peint par Braque et d'un mur par Picasso.
Cet homme remarquable à l'esprit ouvert et audacieux a également publié un recueil de nouvelles qu'il serait temps de redécouvrir : "Le Regard". Il y parle de la sensualité du regard, indispensable à qui désire comprendre un tableau. Un beau tableau selon lui est semblable à un bon repas : "Sa plus ou moins grande spiritualité ne sera jamais que la prolongation d'une jouissance organique."
Il n'est pas à Montmartre dans la nuit du 20 avril1944 quand ont lieu les bombardements alliés sur Paris destinés à toucher les bases arrières allemandes et les entrepôts de la RATP.
Clichés Roger Violet. La maison à gauche est celle du peintre Fernand Jobert.
La maison gravement touchée ne sera pas reconstruite, contrairement à l'immeuble du 22.
On peut voir sur ce cliché de 1948 le terrain arasé où s'élevaient la maison et l'immeuble du 22.
Aujourd'hui un ensemble assez banal occupe cet espace. Il ne porte aucun vestige des dioramas ou de la demeure d'artiste qui occupèrent un temps cet endroit si particulier de Montmartre.
Le côté impair de la rue du Chevalier est occupé par le CIM, Centre Israélite de Montmartre qui accueille des personnes en grande difficulté, notamment des mamans.
Pendant la guerre de nombreux orphelins y étaient hébergés jusqu'au jour où, transférés dans un autre abri après les bombardements, Ils furent raflés par la Gestapo et envoyés dans les camps de la mort.
Une plaque rappelle ce crime, une plaque semblable à celles si nombreuses qui ont été apposées sur le mur de nos écoles.
Avant la construction de ce centre, un restaurant avec jardins occupait tout l'espace de ce côté de la rue. Il s'agit du célèbre Rocher Suisse auquel nous avons consacré dans ce blog un long article.
Immeuble remplacé aujourd'hui par le CIM
Rappelons qu'à l'origine, un savoyard avisé, Mr Daudens acheta les terrains à un gros propriétaire dont une rue voisine porte le nom, Mr Feutrier. Peu à peu il le transforma en restaurant rustique qui évoquait ses Alpes natales.
L'établissement connut divers avatars et divers propriétaires avant de rendre l'âme définitivement en 1921, racheté par la Société Israélite caritavive.
Il y aurait bien des anecdotes encore à raconter sur ce petit quartier montmartrois que nous aimons et qui a, comme l'aurait dit Arletty, "une gueule d'atmosphère"
Voilà une maison devant laquelle on passe, entre colifichets et tableaux montmartrois peints en Chine, sans savoir qu'elle a sa modeste part dans l'histoire de la Butte.
Lorsque la rue s'appelait rue des rosiers, cette maison était située au 20. Elle était au XIXème siècle la propriété d'Auguste Pierre Debray. Un nom bien connu sur la Butte, celui d'une famille de meuniers qui a su en temps voulu passer des moulins aux affaires.
Abside de l'église et jardins (1900)
La maison commence à se faire remarquer quand les archéologues à la recherche des vestiges gallo romains de Montmartre situent le temple de Mars à proximité de l'église Saint-Pierre.
Abside vers l'endroit où s'élevait le temple.
L'un d'eux, Vacquer, émet l'hypothèse qu'il s'élevait à l'emplacement de la maison, dans le prolongement du cimetière du Calvaire.
Une des colonnes gallo-romaines de réemploi dans l'église
Il appelle "Temple Debray" le fameux édifice qui aurait pu donner son nom à Montmartre bien que linguistes et spécialistes soutiennent la thèse selon laquelle c'est du temple de Mercure, situé plus à l'ouest que viendrait ce nom (Mont Mercure.... Montmarcre.... Montmartre).
L'explication la plus serinée "le mont des martyrs", est assurément la plus fantaisiste.
Ce même Vacquer que contredisent ses collègues reconnaîtra s'être trompé quand il découvrira les substructions du temple de Mars à l'est du chevet de l'église, sur un espace aujourd'hui occupé par la rue du Cardinal Guibert et le flanc ouest du Sacré-Cœur. Peu importe! Le nom de Temple Debray subsistera longtemps après la rectification.
Le restaurant dans la 3ème maison en partant de la gauche.
La maison n'a pas fini son voyage historique. Elle se transforme en restaurant au début du XXème siècle. Restaurant dont le nom n'est pas forcément engageant : "Chez ma concierge".
Et puis un beau jour, une belle personne haute en couleurs et au cœur plus grand que lui, le clown Mimiche remplace la concierge pour donner son nom au nouveau restaurant : "Chez Mimiche".
Mimiche a abandonné sa tenue de clown blanc mais il continue de pratiquer son instrument favori, le violoncelle. Il aime jouer avec Marcel Aymé avec qui il a noué des liens d'amitié, dans la fanfare créée par le peintre Gen Paul : "la Chignolle à Gégène".
La Chignolle à Gégène
L'enseigne aujourd'hui disparue le représentait penché sur son instrument.
Il faut dire quelques mots maintenant de cet homme exceptionnel dont le vrai nom est Michel Lafond, né à Boulogne sur mer en 1899. Il entre au Conservatoire pour apprendre le violoncelle. En même temps il est attiré par le cirque installé près de la boulangerie de ses parents. Il est doué et descend à Paris pour parfaire sa formation. La guerre le rattrape, il est mobilisé. Il échappe à la tuerie et quand il revient, il trouve un poste de violoncelliste au Café de Paris à Monaco. Ainsi jouera-t-il dans la cathédrale Saint-Charles pour le baptême du Prince Rainier.
Il n'a pas oublié son désir d'une autre vie, tournée vers les autres, afin de les faire rire et parfois pleurer. Quand il découvre les Fratellini, il décide de remettre sa tenue de clown blanc et de chanter, de raconter des histoires tout en ponctuant son numéro avec les mélodies joyeuses ou plaintives de son violoncelle. Il rencontre le succès sous le nom de Melody's et joue dans des salles prestigieuses comme l'Olympia ou le Lido.
Les Fratellini
Il se produit souvent bénévolement afin d'aider des orphelinats, notamment à Bruxelles, ville dont il recevra une décoration reconnaissante. Quand il rencontre les clowns Antonet et Baby, il se laisse entraîner par eux et, changeant de nom pour devenir Mimiche, petit nom affectueux qu'employaient ses parents, il se produit dans de grands cirques en France et à l'étranger.
Quand il revient à Paris, le poste convoité de chef d'orchestre des Folies bergère lui est proposé. Il l'accepte comme il acceptera celui du Caveau du Moulin Rouge. C'est l'époque où il se lie d'amitié avec quelques personnalités comme Edith Piaf ou Mermoz.
La 2ème guerre, on n'ose écrire la seconde, le rattrape une fois encore. Quand il est libéré, il passe d'un orchestre à l'autre, de Léo Vali à Ray Ventura et sa générosité naturelle, sa curiosité des autres font qu'il est apprécié de nombreux artistes comme Dufy, Lorjou, Jean-Pierre Cassel ou Marlène Dietrich.
Ray Ventura
Il décide de jeter l'ancre sur la Butte qu'il connaît bien puisque qu'elle est habitée par des gens qui sont devenus ses amis et avec lesquels il aime passer de longues soirées. Il y devient brocanteur-antiquaire puis, l'occasion faisant le larron, il tombe sur le 48 rue du Chevalier où ses économies lui permettent de créer son restaurant, ouvert aux amis, aux artistes, aux chanteurs des rues qui sont nourris dans cette bonne auberge!
André Roussard dans son dictionnaire des lieux de Montmartre évoque le restaurant dans ses heures joyeuses : "Une faune bien particulière de personnages farfelus, amateurs de canulars, attirait un grand nombre de jeunes femmes assez libres de moeurs. On y montait des canulars qui feraient dans les jours suivants l'actualité de la Butte. Par exemple, un jour on avait décidé d'installer nuitamment un panneau de rue avertissant le piéton du passage de gros gibiers. Ce panneau resta plusieurs mois...
Mimiche n'oublie pas sa ville natale où il se rend souvent pour parrainer l'orphelinat de la Marine dont il devient bienfaiteur. Sans avoir connu Poulbot, c'est à lui cependant qu'il ressemble le plus.
Poulbot et les gosses
Quand Jeanne, sa femme qui gérait le restaurant, meurt, il se retrouve seul et désemparé. Il passe des nuits entières à jouer sur son violoncelle. (Les sanglots longs des violons...)
Son instrument est un Cecilium qui résonne un peu comme un harmonium et qui fut souvent utilisé dans les églises quand leur orgue avait été détruit pendant la guerre.
Il meurt peu de temps après Jeanne.
Il a pris soin de donner son argent à des œuvres caritatives et de léguer son violoncelle aimé au Conservatoire de Boulogne où, silencieux, protégé par une vitrine, il attend le Jugement Dernier pour retrouver Mimiche.
La suite n'a pas grand intérêt. L'enseigne de Mimiche disparut.
Le restaurant connut plusieurs avatars, service rapide, trattoria, avant de devenir récemment un commerce qui attire les passants narcissiques qui désirent se faire photographier l'iris! Opération qui ne se fait pas à l'oeil!
C'est donc une parcelle de notre histoire montmartrois que raconte ce numéro 48 de la rue du Chevalier de la Barre. Une étincelle du joyeux kaléidoscope que fut notre Butte. Un temple romain, un clown, un violoncelle, du vin, des canulars, des rencontres amoureuses.... parfums d'une époque révolue mais que continuent de humer en passant les amoureux de Montmartre!
Mais je laisse la dernière parole à Mimiche qui a confié sa devise à son ami journaliste Roger Lemaire :
"Tu vois, ne penser qu'aux autres, c'est comme ça qu'on meurt heureux."
Nous reprenons notre ascension de la rue Blanche où nous nous étions arrêtés au 25, devant l'église protestante allemande.
Où s'élève aujourd'hui le 27 a vécu un peintre oublié, Achille Gratien Gallier (1814-1871).
L'immeuble de 1910 qui a remplacé l'hôtel où vivait Gratien mort en 1871.
Il fait partie de ces peintres paysagistes très appréciés au milieu du XIXème siècle dont les paysages (surtout italiens) étaient à la mode. Il paraît banal aujourd'hui bien que Corot paraît-il l'eût admiré.
Vue de la campagne romaine
Les 24-28 sont l'adresse des pompiers! Ils accueillent le 1er groupement d'incendie et de secours de la 7ème compagnie.
La partie la plus ancienne a servi d'hôpital à la maison militaire de Louis XVIII puis d'école pour les musiques de la garnison de Paris sous Louis-Philippe avant d'être intégrée à l'ensemble construit entre 1901 et 1907 par l'architecte Louis Sauffroy.
Il s'agit d'ailleurs du dernier ouvrage de Louis Sauffroy (1847-1907). Parmi ses réalisations les plus spectaculaires, citons le Grand Hôtel de Saint-Lunaire et le Castel Sauffroy qui est aujourd'hui le siège de la mairie..
Le 43 rue Blanche est connu des fans de Berlioz bien qu'il n'y ait jamais vécu.
Il utilisa pour lui-même cette adresse postale mais c'est surtout là qu'en 1844 vint vivre Harriet Smithson alors que son mari après l'avoir quittée s'était installée avec Marie Recio rue de Provence. Harriet y vivra pendant 4 ans avant de déménager au 65 rue Blanche puis rue Saint-Vincent où elle mourra non loin de la maison où elle avait vécu avec Berlioz et où son fils était né.
Aujourd'hui une même adresse réunit au cimetière de Montmartre, un peu plus haut, Berlioz et les deux femmes de sa vie.
Toujours au 43 a vécu en 1836 Paul Gavarni, dessinateur, illustrateur qui reste très lié au quartier (il habita rue Fontaine et rue Saint-Lazare).
Il a immortalisé les petits métiers de Paris et a donné l'image la plus connue des lorettes et des grisettes. Le monument de la place Saint-Georges lui rend hommage.
Avant la construction du 44, immeuble assez banal, il y avait à cet emplacement un hôtel particulier où vivait Jean-François Boursault dont le nom de comédien était Boursault-Malherbe (nom choisi pour l'admiration qu'il portait au poète).
Jean-François Boursault (1750-1842) fut un révolutionnaire prudent mais surtout un homme de théâtre passionné.
Charles-Philippe Ronsin (1751-1794)
Il fit construire à paris en 1791 près de la rue Quincampoix le théâtre Molière où il monta les pièces révolutionnaires de Ronsin, général de division de la Révolution et auteur dramatique. Ses pièces cessent d'être jouées et le théâtre est fermé le jour où il est guillotiné, accusé à tort de complot militaire. En 1795 (an IV) Boursault reprend la salle qu'il nomme "théâtre des Variétés nationales et étrangères" et y monte des pièces de son auteur favori Shakespeare.
Ce personnage étonnant était passionné d'horticulture et fit installer des serres sur des terrains alors campagnards qui allaient jusqu'au Pigalle actuel. Il introduisit de nouvelles fleurs en France et fut le créateur de la rose "Boursault" qui existe encore aujourd'hui, contrairement à la Rose de son poète, préféré : "Et Rose elle a vécu ce que vivent les roses, l'espace d'un matin"
Alberte de Rubempré peinte par Delacroix en Catherine d'Alexandrie
Pour l'anecdote, notons qu'une de ses filles, d'une grande beauté, Alberte Alexandrine, mariée à 17 ans à Marie Emile Cozette de Rubempré, malheureuse dans son couple, fut la maîtresse de Stendhal à qui elle inspira quelques aspects du personnage de Mathilde de la Mole dans "Le Rouge et le Noir". Elle avait fort bon goût puisqu'elle fut également la maîtresse de Mérimée, Delacroix et Rossini!
Au 45 vécut Pierre Humbert (1848-1919) un des plus importants architectes parisiens qui contribua à la transformation de Paris. On ne compte plus ses réalisations parisiennes, hôtels particuliers, immeubles, notamment dans le XVIème arrondissement. Un Montmartrois ne manquera pas de retenir qu'il fut l'auteur du 58 rue Caulaincourt où vécut Steinlen et qu'il créa l'élégant square de Montmartre (aujourd'hui Kriegel-Valrimont).
124 av. Victor Hugo (Pierre Humbert)
J'ai une sympathie particulière pour le 124 avenue Victor Hugo, élevé à l'emplacement d'un hôtel où vécut l'écrivain représenté au-dessus de l'entrée.
Le 47
Au 47 (à son emplacement plus exactement) a vécu Manuel Francisco de Barros e Sousa (1791-1856),homme politique portugais qui fut ministre d'Etat et ministre des Affaires étrangères.
Jugé trop modéré il s'exila à Paris où il se consacra aux études historiques qu'il aimait. Il fut à l'origine du terme de "cartographie".
Carte de l'Atlas de Barros e Sousa
Le 49 a perdu la mémoire. Il s'est transformé en un passage qui conduit à une résidence Alzheimer! "Les parentèles de la rue Blanche".
Les notes de piano qui s'y élevaient ont disparu elles aussi. C'est pourtant un des plus grands pianistes français qui y vécut : Louis Diémer (1849_1919). Il se produisit dans de nombreux pays et il redécouvrit le répertoire du clavecin.
Il eut pour élèves au Conservatoire, à la fin du XIXème siècle, entre autres, Robert Casadesus, Alfred Cortot, Georges Enesco, Marcel Dupré.
Il fut aussi compositeur apprécié. Il repose aujourd'hui au cimetière de Montmartre où son buste semble humer le ciel et entendre venues des nuages, des notes légères de clavecin.
51
Le 51 est un immeuble protégé, typique de l'architecture de la Restauration avec sa cour en U et son portail fermé orné de vasques.
Le 54 est plus récent, construit dans la deuxième moitié du XIXème et adresse aujourd'hui d'un restaurant.
Il y eut à cet endroit une institution-pension pour jeunes-filles dont l'une des directrices fut Euphémie Vauthier, autrice, journaliste, enseignante qui marque une date dans l'histoire toujours à approfondir des femmes.
Elle dirige avec trois de ses soeurs l'institution du 54 rue Blanche tout en ne cessant d'écrire. Sa rencontre avec Lamartine l'impressionne et l'encourage. C'est lui qui écrira la préface de son roman "Léonie" (1860) après l'avoir incitée à se lancer : "Mademoiselle il faut tout quitter pour écrire".
Féministe, elle milite dans plusieurs associations comme celle du "Droit des femmes". Son nom restera célèbre car il est celui de la première femme à avoir été poursuivie pour un délit commis par voie de presse.
Louis Rossel
En effet, engagée dans la défense des victimes de la Commune, elle écrit un article après l'exécution de Louis Rossel, colonel qui a rejoint la Commune et après l'écrasement a refusé l'exil que lui proposait Thiers soucieux de ne pas en faire un martyr. Il fut fusillé à 27 ans :
"Ils croient l'avoir tué et à jamais ils le font vivre" écrit Euphémie.
Lors de son procès en cour d'assises, elle est soutenue par Victor Hugo. Elle sera acquittée et restera dans l'histoire!
C'est toujours au 54 que Firmin Gémier mourut en 1933. Cet acteur marqué par les théories d'Antoine fut un de ces hommes qui œuvra pour un vrai théâtre populaire. Il est d'ailleurs le créateur du TNP (Théâtre National Populaire) en 1920.
Notons qu'il fut, comme Malraux le sera pour Jean Moulin l'organisateur du transfert de Jean Jaurès au Panthéon.
Le fils qu'il eut avec Mary Marquet, mourut au camp de Buchenwald en 1943.
Le 70 fut le domicile (1er étage) de la baronne Copens, de son vrai nom Stéphanie Marie Arnoult de Joyeuse. Elle fut une adversaire active du coup d'Etat du Prince Président en 1851 et elle réunit dans son appartement de la rue Blanche, le 2 décembre, une soixantaine d'opposants dont Victor Hugo, Arago, Edgar Quinet...
C'est aussi à cette adresse que vécut, après son exil, le patriote vénitien Daniele Manin (1804-1857) qui lutta contre les Autrichiens et fut chef de la République de Saint-Marc. Il mourra à Paris sans avoir vu se créer l'unité italienne pour laquelle il s'était engagé corps et âme. Une statue lui rend hommage à Venise.
Une rue de Paris, près des Buttes Chaumont, le rappelle à notre mémoire.
Vue d'ensemble
Au 72 a vécu presque toute sa vie Jules Garcin (1830-1896) violoniste, chef d'orchestre et compositeur. Il déménagea quelques années avant sa mort pour la rue Victor Massé voisine.
Il fut élève de maîtres célèbres comme Adolphe Adam et Ambroise Thomas. Premier prix de violon, il rejoignit l'orchestre de l'Opéra de paris où il fut ensuite chef d'orchestre.
Il est enterré au cimetière de Montmartre.
Toujours au 72 nous rencontrons un auteur dramatique, vaudevilliste à succès, bien oublié aujourd'hui : Paul Barré (1854-1910).
Il a écrit des livrets d'opérettes, des pièces qu'on pourrait appeler "de boulevard" dans lesquelles il aimait laisser libre cours à sa verve gauloise. Ce qui le rend un peu plus actuel, c'est le titre de sa première pièce, en 1877, "Les Gilets Jaunes"!
Le 75
La façade du 75 porte une plaque, fait rarissime dans cette rue qui a pourtant abrité de nombreuses célébrités.
Cette plaque prend une valeur particulière car il est impossible de se recueillir sur la tombe d'une belle actrice qui a voulu donner son corps à la science et dont les cendres ont été dispersées dans la fosse commune du cimetière de Thiais.
Entrée à la Comédie Française, elle y a passé l'essentiel de sa vie professionnelle. Quand en 1966, elle la quitte c'est pour être professeur au Conservatoire et former de jeunes comédiens parmi lesquels Daniel Auteuil, Patrick Chesnais, Nicole Garcia, Sabine Azéma, Francis Huster...
Dans la Marseillaise de Renoir
Elle a connu une brillante carrière cinématographique sous la direction de quelques uns des grands cinéastes français (Renoir, Tourneur, Cayatte, René Clair).
Dans le Capitan de Hunebelle
Le 77
Au 77 Edgar Degas eut un atelier de 1873 à 1876, une de ses nombreuses adresses à Montmartre. Ces années correspondent à une intense créativité du peintre.
Le 78, classé, est un des beaux immeubles de la rue. Il s'agit d'un hôtel particulier construit dans la deuxième moitié du XIXème siècle dans le style néo Renaissance par l'architecte Théodore Ballu, pour lui-même.
L'architecte qui est grand connaisseur de l'histoire de l'architecture et des styles, a laissé de nombreux témoignages à Paris de son talent et de son éclectisme.
Le "etc" de la plaque aurait pu être précisé par l'église Saint Ambroise, l'église Saint-Joseph, le beffroi de la mairie du Ier arrondissement entre Saint-Germain l'Auxerrois et la mairie construite par Hittorf, la restauration de la tour Saint-Jacques....
Une rue qui commence rue Blanche porte son nom
Voilà que nous arrivons à la fin de cette rue qui avait tant à nous raconter. Un dernier numéro, le 96, aura droit à notre attention. C'est en effet dans cet immeuble qu'André Antoine, si présent à Montmartre, loua en 1887 un atelier. C'est l'année où il crée au 37 de la rue Antoine actuelle "le Théâtre Libre".
Et maintenant nous sommes sur la place Blanche qui, elle aussi, a bien des souvenirs à nous raconter pendant que le Moulin Rouge laisse entendre à l'ombre de ses ailes immobiles le frou frou des dentelles qui affolèrent les noctambules!