C'est pendant sa détention au fort de Ham que Louis Napoléon Bonaparte rédige son étude "De l'extinction du paupérisme" dans laquelle il développe une analyse et des idées proches de celles des saint-simoniens.
Lorsqu'il est élu en 1848 c'est en partie grâce à ces idées d'émancipation de "la classe ouvrière" (il emploie ces mots). Pas étonnant donc que parmi ses premières décisions, il y eût la création de cités ouvrières.
Aux 58-60 rue Marguerite de Rochechouart (merci à Mme Hidalgo de faire figurer les prénoms féminins dans les noms des rues de la capitale!), subsiste la toute première de ces cités, classée depuis 2003 monument historique.
A la demande du Prince-Président, le programme est lancé dès son accession au pouvoir. C'est l'architecte Marie-Gabriel Veugny qui est chargé de la conception de cette cité ouvrière qui devait servir de modèles aux autres prévues dans tous les arrondissements parisiens.
Inauguration de la Cité. 1851.
Louis Napoléon fait un don de 500 000 francs pour lancer la construction (à peu près 1million 700 000 euros actuels). Le bâtiment le plus original est celui qui est élevé le long de la rue de Rochechouart.
Il est composé de deux corps de logis parallèles reliés par des terrasses et des passerelles et éclairés par une immense verrière.
A l'extrémité des couloirs étaient aménagées des toilettes et un système d'évacuation des eaux usées. Le souci d'hygiène était manifeste dans un Paris populaire exposé à toutes épidémies.
Un médecin passait gratuitement rendre visite aux familles.
Les autres immeubles de la cité donnent sur un jardin arboré et sur une fontaine de bronze.
Un lavoir et un séchoir étaient installés dans des pavillons de bois construits dans la cour.
Une garderie était prévue pour les enfants dont les parents qui le plus souvent travaillaient, homme et femme, ne pouvaient s'occuper.
Couloir de la Cité Radieuse à Marseille
On peut faire un bond dans le temps et penser à Le Corbusier avec son immeuble marseillais, présomptueusement appelé "Cité radieuse" qui proposait tout ce dont les familles pouvait avoir besoin.
Ce qui est une conception communautaire et fermée de la société dont on a pu constater les ravages….
Ouverte en 1851, la cité ne rencontra pas le succès escompté malgré la proximité immédiate d'une importante usine à gaz ainsi que des ateliers "Godillot".
En effet, il y avait dans ce concept quelque chose de militaire. Les locataires étaient, par la disposition même des appartements "surveillés" par leurs voisins et un gardien était posté près de la grande grille, seul accès à la cité.
Le règlement était strict, le couvre-feu et la fermeture des grilles étaient, printemps comme hiver fixés à 22heures.
Les partis politiques se montrèrent méfiants. Les Conservateurs estimaient qu'il y avait là tous les ingrédients pour favoriser l'action des révolutionnaires dans leur repaire. Les Socialistes pensaient que ces cités favorisaient au contraire la surveillance policière, les travailleurs étant concentrés dans un ghetto ouvrier sous contrôle.
Bref, la première cité ouvrière de la capitale fut la dernière du programme napoléonien.
Elle reste un témoignage de la politique sociale du milieu du XIXème siècle inspirée par l'effervescence intellectuelle de philosophes engagés et en même temps par la méfiance que suscitait le peuple des villes, prompt à la révolte.
Cité Napoléon. Bâtiment sur la rue Pétrelle.
Louis Napoléon consacrait une partie de son "extinction du paupérisme" à prévoir et organiser pour les pauvres qui tentaient de survivre dans les villes, une répartition de terres agricoles qui leur seraient confiées. Ainsi, en envoyant les misérables à la campagne, leur aurait-on donné les moyens de travailler et se nourrir et par la même occasion aurait-on vidé les faubourgs d'une partie de sa population susceptible de se révolter.
Aujourd'hui la Cité Napoléon est recherchée malgré la petite superficie des appartements d'une ou deux pièces protégés par la loi sur les Monuments Historiques.
Elle a été rénovée et suscite la convoitise d'une population jeune, branchée et de préférence sans enfants!
Après la fontaine Saint-Denis et la fontaine du But, voici les deux dernières "sources" qui jaillissaient sur la Butte : La fontaine de la Bonne Eau et celle de la Fontenelle.
La fontaine de la Bonne Eau existait depuis l'antiquité. A l'époque gallo-romaine, elle était vénérée et dotée de pouvoirs magiques comme la plupart des sources. Notre fontaine n'était pas très éloignée du temple de Mars qui était bâti approximativement à l'emplacement du square Nadar.
Square Bleustein-Blanchet (Turlure) emplacement du temple de Mars.
Elle a eu plusieurs noms : Fontaine de la Belle Etoile, de la Bonne Fée, de la Bonne Fontaine, de la Bonne Eau, de la Bonne…
On aurait aimé qu'elle gardât un de ses premiers noms plus poétiques mais c'est son dernier nom qui s'imposa avec la rue qui en garde mémoire.
Les eaux qui jaillissaient au flanc de la Butte étaient en partie canalisées par les seigneurs de Clignancourt pour alimenter leur ferme et ses terrains là où aujourd'hui s'élève la mairie du XVIIIème arrondissement.
Les riches seigneurs avaient bon goût puisque ses eaux avaient la réputation d'être les meilleures et les plus saines de Montmartre. Les villageois ne s'y trompaient pas qui y puisaient abondamment.
Elles alimentaient également l'abbaye voisine. Nous avons trace d'une requête présentée en 1612 par les religieuses de Montmartre, demandant à l'évêque de Paris la permission de teindre en noir leurs robes blanches afin d'éviter de trop souvent les laver, les eaux de la fontaine se faisant de moins en moins abondantes. Ces Dames étaient écologistes avant l'heure!
Grotte des religieuses, un emplacement possible de la source.
Son emplacement précis est discuté mais il est permis de penser qu'il était dans l'actuel square Bleustein-Blanchet, dit de la Turlure, dans la partie la plus basse, dans le coude entre la rue de la Bonne et la rue St-Vincent.
La source était, comme on l'a vu, voisine du temple de Mars. Mais si l'on a sauvé quelques chapiteaux du temple, on n'a retrouvé aucune trace de la source. On sait par quelques documents qu'elle s'est tarie au milieu du XIXème siècle.
Escalier de la rue de la Bonne.
La bonne étoile ne brillait plus au-dessus de Montmartre, les fées ne survivaient pas à la domination d'un nouveau Dieu, la bonne eau n'abreuvait plus les villageois…
Ne reste de nos jours que cette rue dont le nom la rappelle à notre souvenir.
…. et cette borne où les enfants du square viennent se laver les mains après leurs jeux!
Jardin Bleustein-Blanchet (Turlure)
De la Fontenelle nous n'avons également aucune trace. Plus modeste, elle faisait entendre sa petite musique cristalline à moins de 100 mètres de la Bonne Eau.
Elle apparaissait entre les herbes sauvages des terrains où s'éleva plus tard le moulin de la Turlure.
Le Château Rouge (1847)
Elle n'était qu'un filet d'eau qui dévalait la pente vers l'est et vers les jardins du Château Rouge (où la légende situe les amours de Gabrielle et du Vert-Galant) dont elle emplissait besogneusement les deux bassins.
Escalier de la Fontenelle (aujourd'hui Chevalier de La Barre).
Elle fut tarie dès la première moitié du XIXème siècle et ne subsista un temps que grâce à la sente qui garda son nom, rue de la Fontenelle, jusqu'au jour où ce nom même disparut au profit du Chevalier de la Barre.
Impossible de ne pas penser à elle en gravissant l'escalier qui a remplacé la vieille sente par où elle descendait, aussi humble fût-elle, vers le village de Clignancourt.
Ce chemin est aujourd'hui, la nuit tombée, un reflet du ciel nocturne du 1er janvier et du 1er juillet grâce à Alekan (chef opérateur d'Ophüls, Cocteau, Carné…) qui y a semé les étoiles.
On peut entendre ces sources d'antan quand la nuit magique de Montmartre permet aux vieilles légendes de murmurer leurs chansons.
Elle faisait entendre son gazouillis en bas d'une sente raide qui avait pour nom mérité "chemin des fontaines". Ce chemin conduisait à deux sources, celle de Saint-Denis et celle que nous évoquons aujourd'hui.
Le "chemin des fontaines" changea plusieurs fois de nom : "Chemin de la Croix du Buc" puis "Chemin des brouillards".
C'est maintenant la rue Girardon, en partie défigurée par de gros immeubles cossus où vécurent entre autres Bébert le chat avec son "humain" pas toujours humain, Céline.
Document exceptionnel (merci Pierre!) en premier plan les bornes de la fontaine et en face la rue Girardon actuelle et la ruelle Saint-Vincent à droite.
La source retenue par un petit bassin fut promue en fontaine où les villageois venaient puiser de l'eau. Il y a discussion passionnée sur l'origine de son nom!
Certains évoquent l'époque gallo-romaine pour voir dans "bucca" le nom originel. La source formant au flanc d'une paroi de terre une ouverture en forme de bouche. D'autres qui connaissent les plus vieilles cartes de Montmartre où le nom "buc" apparaît, affirment que ce "buc" vient de "bouc".
Colonne du temple de Mercure dans l'église Saint-Pierre.
N'oublions pas que le premier nom fut "fontaine de Mercure" et qu'il y avait un temple non loin de là (à l'emplacement approximatif du moulin de la Galette) dédié à ce dieu. Il est plausible d'ailleurs que le nom même de Montmartre le rappelle : Montmercure, Montmercre, Montmarcre, Montmartre… Certains préfèrent attribuer à Mars qui avait également son temple non loin de là, ou encore aux martyrs Denis et ses compagnons décapités plus bas, le nom de Montmartre. C'est cette dernière hypothèse, la moins probable que serinent les guides…
Le "buc" est d'autant plus vraisemblable que l'animal est souvent chez les gallo-romains associé à Mercure.
Rue de l'abreuvoir
Dès la fin du XVIIIème siècle, un abreuvoir fut construit pour recevoir l'eau de la fontaine. La rue de l'abreuvoir en garde mémoire.
Il était situé en bas du chemin des fontaines (rue Girardon) sous le coude de l'actuelle place Dalida.
Comme sa voisine la fontaine saint-Denis, notre fontaine fut célèbre au Moyen-Âge et on lui prêta à elle aussi des pouvoirs de guérison. C'est ce que rappelle le poète Georges Nicolas qui écrit en 1849 "la Fontaine du Bû".
La fontaine et à l'arrière-plan le moulin du Radet en 1834
Un malade atteint du choléra aurait été guéri après y avoir bu, et d'autres guérisons furent plus ou moins attestées.
Georges Nicolas ouvre et conclut son poème par les mêmes vers :
"Ceux-là me croiront sans peine,
Brun ou blond, rousse ou châtaine,
Qui dans leur bel âge ont bu
De l'eau de la Fontaine
Du Bû."
Cimetière du Calvaire.
Après la révolution et le saccage de l'abbaye, une pierre tumulaire fut utilisée dans la maçonnerie d'une citerne qui recueillait l'eau de la fontaine. Elle gardait, gravé, le profil d'une abbesse. La pierre après être descendue jusque là a été remontée sur son ancien site et pieusement disposée entre les tombes du cimetière du Calvaire, contre l'église Saint-Pierre.
L'abreuvoir a trouvé avec Gérard de Nerval un poète qui a succombé à son charme et a su en parler...
"Ce qui me séduisait (...) c'était le voisinage de l'abreuvoir, qui, le soir s'anime du spectacle de chevaux et de chiens que l'on y baigne, et d'une fontaine construite dans un goût antique où les laveuses causent et chantent comme dans un des premiers chapitres de Werther. Avec un bas relief consacré à Diane et peut-être deux figures de naïades sculptées en demi-bosse, on obtiendrait, à l'ombre des tilleuls qui se penchent sur le monument, un admirable lieu de retraite, silencieux à ses heures, et qui rappelle certains points de la campagne romaine…"
(Nerval, La Bohême Galante).
A la fin du XIXème siècle, l'eau s'est tarie.
Il ne restait de l'abreuvoir qu'un bassin dégradé où stagnait l'eau de pluie. L'abreuvoir fut détruit. Il n'en reste rien aujourd'hui.
Dalida, la poitrine avantageuse veille sur le lieu.
Parfois la placette s'habille de brume et semble émerger d'un rêve. Les frontières temporelles disparaissent, les moulins fantomatiques font tourner au ralenti leurs ailes, les sources murmurent… tout redevient brouillard...
Elle fut pendant des siècles la plus célèbre des fontaines de Montmartre.
Il n'en reste rien aujourd'hui malgré la statue de Saint Denis qui semble attendre patiemment, la tête entre les mains, qu'elle jaillisse à nouveau...
Choeur de l'église St-Pierre, ancienne église St-Denis de l'abbatiale.
Le martyre de Saint-Denis. Pierre sculptée de 1253 provenant de l'Abbaye de Montmartre.
Denis fut un des saints les plus vénérés au Moyen-Âge et l'église de l'abbaye de Montmartre porta son nom dans sa partie réservée aux religieuses (la partie réservée aux villageois, séparée par une grille, étant dédiée à Saint-Pierre.)
Premier évêque de Paris, Denis, après avoir eu la tête tranchée vers 250 sur ordre du gouverneur romain, se serait, selon la légende, relevé après sa décapitation et aurait marché vers le nord jusqu'à l'endroit où il se serait arrêté pour être inhumé. Plus tard s'élevera à cet endroit la basilique qui porte son nom.
Après avoir escaladé, la tête entre les mains, le flanc sud de la Butte, il aurait fait halte auprès de la source claire qui jaillissait à l'abri des arbres, afin de laver son chef ensanglanté.
Les Montmartrois gardèrent mémoire de cette source sacrée (qui l'était déjà au temps du paganisme). C'est autour d'elle que trois des moulins de la Butte firent tourner leurs ailes et c'est là que des anges continuèrent de murmurer et de chanter après le passage du saint.
Les riverains la nommèrent alors source des bourdonnements.
Quand vous aviez des maux de tête, il suffisait de puiser de l'eau à cette fontaine et de vous en asperger le crâne et le visage pour que vos céphalées soient emportées, comme détachées de vous et diluées dans les bourdonnements angéliques. La croyance populaire lui attribua d'autres vertus : la jeune fille qui s'y rendait dès potron-minet et y faisait une toilette de chat était assurée de trouver dans l'année un beau matou. Non pour la bagatelle toujours facile à l'ombre des moulins mais pour le mariage… On prétend aussi que sanctifiée par l'eau bénie, elle ne tromperait jamais son homme!
"Fille qui a bu l'eau de Saint-Denis,
Toujours sera fidèle à son mari."
Mais l'esprit et le goût de vivre montmartrois étant ce qu'ils sont, les abords de la fontaine fournissant herbe tendre et bosquets en abondance, c'est là que de jeunes amoureux d'un soir venaient abriter leurs ébats!
Dans la journée, le lieu retrouvait sa sage apparence et les pèlerins qui se dirigeaient vers le martyrium, en bas de la Butte, là où Denis, Eleuthère et Rustique avaient été suppliciés, s'y arrêtaient pour prier. On dit qu'Ignace de Loyola et ses compagnons s'y rendirent le 15 août 1534 après avoir prononcé leurs vœux de pauvreté et chasteté.
Il y avait une pierre sculptée à proximité de la fontaine. Elle a disparu et a été remplacée par la statue qui veille de nos jours sur les boulistes du square Suzanne Buisson.
Elle est due au sculpteur Fernand Guignier (1902-1972) qui fut élève d'un artiste qui nous est cher sur la Butte, Emile Derré.
Fernand Guignier aimait Montmartre dont il fit de nombreux pastels...
Sa statue de Saint Denis prend place en 1941 à l'emplacement présumé de l'antique source.
Qu'est-elle devenue cette source sacrée?
Elle a connu un sort comparable à certains moulins et maisons de la Butte. Un creusement de carrière fut autorisé aux alentours.
Bientôt le sol s'affaissa puis un trou de plusieurs coudées avala (en 1810) source et ruisseau qui continuèrent leur petit chemin bourdonnant dans les entrailles de Montmartre avant de se diluer peu à peu dans les profondeurs et disparaître à jamais.
Impasse Girardon
Revient-elle parfois en automne quand les brouillards montent de l'ancien abreuvoir et quand les derniers feuillages bruissent comme une résurgence discrète et cristalline? L'eau retrouve-t-elle la sente qu'elle suivait alors et qui est devenue l'impasse Girardon?
Nerval qui était poète l'a entendue... pourquoi pas vous?
En annexe, un panneau de bois sculpté du XVIème siècle jadis exposé au musée de Montmartre et aujourd'hui récupéré par le musée Carnavalet. On y voit le martyre de Denis et ses compagnons sur une butte difficile à reconnaître….
Rue de Clichy vers la place homonyme et le monument de la Défense.
Cette rue qui va de la place d'Estienne d'Orves à la place de Clichy est une artère vivante et la plupart du temps encombrée de véhicules de tout genre.
Rue de Clichy dernière partie, arrivée sur la place.
Elle doit son nom qui lui est donné en 1843, à la ville de Clichy vers laquelle elle mène. Mais son tracé date de bien avant. Dès l'époque gallo-romaine, une voie nommée "voie de la mer" allait de Paris jusqu'à Harfleur. Au 17ème, on la reconnait sur d'anciens plans. Elle est alors "le chemin de Clichy". Mais là ne s'arrêtent pas ses avatars! Au 18ème, elle devient "rue du Coq". Elle passait en effet devant l'hôtel du Coq (une "avenue du Coq" existe toujours, en réalité large impasse qui donne sur la rue St-Lazare).
La 1ère rue à gauche est la rue de Clichy. On voit le square devant l'église. Il a détruit une partie de la rue.
La rue de Clichy est longue de 700 mètres, sa première partie ayant été amputée lors de l'extension du square D'Estienne d'Orves devant la Trinité.
A droite le square d'Estienne d'Orves, à gauche ancienne partie de la rue de Clichy, aujourd'hui place d'Estienne d'Orvbes)
Le 10.
Au 10 s'élève l'hôtel de Wendel, riche demeure que la fortune des Maîtres de Forges leur permit de s'offrir.
C'est Charles Wendel qui le fait édifier de 1862 à 1867 en faisant appel à l'architecte Sidoine Maurice Storez qui dans cette période ostentatoire conçoit un bâtiment simple et épuré dans le style Louis XVI.
La façade dépouillée cache en réalité un somptueux logis de 36 pièces! Par chance certaines ont conservé leur décor, ce qui est plutôt rare quand les immeubles sont rachetés par la Ville (ce qui est le cas) pour être transformés en écoles.
Le "W" des Wendel sur la façade
Le 12
Au 12 actuel (primitivement 26) s'élevait la première église de la Trinité ouverte en 1852. Elle remplaçait la 1ère église de la rue de Calais et elle ne fut détruite qu'après la consécration de la troisième église édifiée sur la place en 1867.
C'était une construction de bois, longue d'une quarantaine de mètres et qui malgré son existence éphémère était ornée de vitraux. Une cloche appelait les fidèles mais elle dut se taire après quelques mois car les voisins se plaignaient d'être réveillés par les Laudes! Les ronchons qui se plaignent aujourd'hui des cloches et des coqs font donc partie d'une longue tradition!
Il ne reste rien de cette Trinité passagère sinon une peinture sur lave de Devers, inspirée d'Ary Scheffer qui ornait le tympan et qui est aujourd'hui conservée dans la sacristie de l'église actuelle.
Le 16 Casino de Paris en 1904
Le 16 aujourd'hui
Le 16 années 50
Le 16 est l'adresse la plus célèbre de la rue! Celle du Casino de Paris! Il y aurait un roman à écrire sur ce lieu mythique. Pâtinoire puis théâtre à la fin du XIXème siècle, c'est avec Léon Volterra en 1914 que la salle révolutionne l'art du spectacle avec la création des revues qui allaient connaître un succès inépuisable.
C'est Volterra qui invite Mistinguett après la guerre, avec son "protégé" Maurice Chevalier. Jusqu''en 1925, elle restera la reine du Casino de Paris. Il faudra attendre le nouveau directeur Henri Varna pour assister à un triomphe comparable avec Joséphine Baker et ses 2 amours.
Citons encore Tino Rossi qui fait se pâmer son public en le caressant de sa voix de zéphyr et plus tard Line Renaud qui ménera plusieurs revues. La dernière grande meneuse sera Zizi Jeanmaire en 1970 avant que la salle n'accueille des artistes comme Gainsbourg, Souchon, Dutronc, Higelin.... etc...
Réjouissons nous que malgré les inévitables mutilations pour se mettre à la mode architecturale des années sans fantaisie, la salle ait gardé une partie de son décor 1925.
On ne peut pas en dire autant des 20 et 22!
Le 20...
Le 20 consternant de banalité morose était l'adresse d'un music-hall ouvert au début du XXème siècle à la grande époque des paillettes et des divertissements : l'Apollo.
Son titre de gloire est d'avoir créé l'opérette de Franz Lehar "La veuve joyeuse" avec un succès qui ne se démentit pas avec les années.
Ce fut aussi dans cette salle que Carlos Gardel fit ses débuts parisiens. Les amoureux du tango se recueillent en passant devant le fantôme de l'Apollo.
Affiche de Paul Colin
Le 21...
Le 21 a abrité notre Victor Hugo national, si proche encore, si audacieux toujours… de 1874 à 1878. C'est dans cet immeuble, au 4ème étage qu'il écrivit son roman "Quatrevingt-treize" (c'est ainsi que l'auteur a voulu qu'on écrivît son titre).
Le 28
Sur la façade du 28, bel immeuble début du XXème siècle, une plaque rappelle que Georges Enesco, "illustre musicien roumain y vécut de 1908 jusqu'à sa mort en 1955."
Musicien considérable qui fut élève de Massenet et Fauré, il fut lié aux principaux compositeurs et interprètes de son temps, de Ravel à Dukas… Il écrivit une de ses oeuvres les plus célèbres, son opéra "Œdipe" dans cette maison.
Belle porte cochère aux 34-36
Le 37.
Au 37 a vécu pendant 30 ans le peintre Maurice Eliot qui fut le grand ami de Charles Léandre avec qui il loua un atelier à deux pas de Pigalle, 3 rue Houdon.
Il excella dans l'art du pastel et connut quelque succès avant la catastrophique année 1937 où il perdit sa mère, son ami Léandre et où sa sœur atteinte de maladie mentale fut internée. Il dut alors quitter, la rue de Clichy et le quartier qu'il aimait
39
C'est au 2ème étage du 39 que Ravachol déposa une bombe le 27 mars 1892 destinée à tuer le substitut Bulot. Il y eut quelques blessés et l'immeuble fut dévasté.
Ravachol (un petit air de Brad Pitt)
Trois mois et demi plus tard l'anarchiste qui avait à son "actif" quelques crimes crapuleux et quelques autres plus "politiques" sera guillotiné.
Le 40
Un coup d'œil au 40 où s'ouvrent les portes de la Grande Comédie, théâtre créé en 2005 et qui accueille des humoristes ou des comédies boulevardières. Omar et Fred, Max Boublil s'y sont produits. Qu'on aime ou pas, il faut se réjouir chaque fois qu'un nouveau théâtre naît dans ce quartier où bon nombre de salles de spectacle ont disparu.
La maison du protestantisme a ses vitrines au 47, avec sa librairie spécialisée "Jean Calvin".
Les immeubles du 54 au 68 ont été construits à l'emplacement de la prison de Clichy dont Balzac fut à plusierurs reprises menacé. En effet elle incarcérait les "dettiers" ceux qui étaient incapables de payer leurs dettes!
La prison en 1859
Si Balzac réussit à l'éviter en se cachant, il n'en fut pas de même pour Nadar qui y passa un mois en 1850 ou pour Poulet-Malassis l'éditeur et l'ami de Baudelaire ( qui aimait l'appeler "Coco Mal-Perché").
Elle fut fermée en 1867 et elle ne subsiste aujourd'hui que dans les romans du XIXème siècle, comme dans "la Cousine Bette" de Balzac...
Au 55, un passage très parisien conduit au théâtre de l'Œuvre créé en 1893 par Lugné-Poe qui le dirigea pendant 37 ans
Il s'installa dans une salle de concert à l'italienne, la salle Berlioz.
De grands artistes y furent engagés comme Isadora Duncan, Pierre Fresnay, Pierre Dux ou Maria Casarès...
... Les auteurs scandinaves Strindberg et Ibsen y furent révélés au public parisien.
D'autres créations marquèrent l'histoire théâtrale : "Ubu roi" de Jarry qui provoqua un scandale mémorable (1896) ou dans un autre style, "L'Annonce faite à Marie" de Claudel (1912).
LE 62
Au 62 le jeune Félix Tournachon (Nadar) fut pensionnaire chez Mr Augeron. C'est là qu'il rencontra celui qui allait être l'ami de toute une vie, Charles Asselineau, futur écrivain et admirateur comme lui de Baudelaire.
Asselineau par Nadar
Nadar ne pouvait pas imaginer qu'une vingtaine d'années plus tard il reviendrait rue de Clichy, non plus à la pension Augeron mais à la prison !
81
Là où s'élève l'indigent immeuble du 81, il y avait un café où se réunissaient les poètes symbolistes autour de Mallarmé pour théoriser leur opposition aux Parnassiens.
Cependant ce sont surtout les peintres divisionnistes, "les pointillistes" comme Seurat ou Signac qui en firent leur lieu privilégié de rencontre.
Le 84
Il y avait au 84 un "bouillon"Duval, restaurant populaire et bon marché comme il s'en ouvrait de nombreux à Paris. Il a été remplacé par une académie de billard tout en gardant son cadre art nouveau.
Il a servi de décor à la fin du film "Le Marginal" avec Belmondo.
Christophe Honoré y a tourné une scène avec Ludivine Sagnier dans "Les bien aimées" pendant laquelle l'actrice chante avec Rasha Bukvic "les chiens ne font pas des chats".
Depuis l'été 2019 il est devenu le Club Montmartre bien connu des fous de poker.
Ne nous attardons pas, de peur de sortir essoré de ce lieu dangereux et cap sur l'avenue de Clichy qui prolonge notre rue de l'autre côté de la place où nous attend un des meilleurs cinémas de Paris, le cinéma des cinéastes... Un bon film, rien de mieux après avoir arpenté Paris!
La fresque-hommage au cinéma dans l'escalier du cinéma.
Si Toulouse fait de lui son barde officiel et chante comme une marseillaise la poésie qu'il lui a dédiée, Paris plus modestement rappelle qu'il est venu, enfant, avec sa famille, rue Condorcet et qu'il a vécu jusqu'à sa mort dans la capitale.
S'il a fréquenté avec plus ou moins de bonne volonté le lycée de l'avenue Trudaine, c'est plus tard à Montmartre qu'il se lance, au cabaret du Lapin Agile et c'est à Montmartre qu'il choisit de vivre pendant des années, dans une des belles maisons de l'avenue Junot à quelques pas de la place qui va recevoir son nom.
Montmartre où on ne peut prendre la mort au sérieux puisque le cimetière est à côté de la vigne, lui rend aujourd'hui un hommage ému.
Le poète n'aimait pas les grands discours, aussi les orateurs, modestes et respectueux ont-ils évité les phrases ronflantes.
Il y eut Eric Lejoindre, maire du XVIIIème… le moins inspiré mais heureusement assez bref.
Yves Mathieu propriétaire du Lapin Agile où Nougaro fit ses débuts et qui fut la vie durant un de ses amis fidèles a lu une lettre que lui avait adressée le chanteur. Des mots simples et chaleureux. "La seule mafia" pour Nougaro était, comme il l'écrit dans cette lettre celle des amis...
Hélène que Nougaro rencontra en1984 et qui fut son dernier grand amour, "la femme de ma mort", se souvint du jour où elle vint avenue Junot retrouver celui qui allait être l'homme de sa vie!
Théa une des trois filles de Nougaro eut du mal à cacher son émotion en évoquant son père
Le garde champêtre de Montmartre Bernard Beaufrère lut "clodi clodo" avec une vigueur de boxeur, les mots à la rime sonnant comme des coups de poing. J'ignorais qu'il avait un tel talent de comédien!
"Litron dans la fouille
Il part en quenouille
Dans l'avenue Junot"...
Notre maire à tous, Anne Hidalgo rappela combien son enfance et sa jeunesse avaient été marquées par les chansons de Nougaro. Elle fit néanmoins une petite erreur en situant la nouvelle place au cœur des Abbesses! Elle ne doit pas être montmartroise!
Un orchestre de cuivres rythma la cérémonie en jouant quelques un des airs les plus connus de Nougaro… très près des oreilles de Marcel Amont (casquette noire) pour qui Nougaro avait écrit une chanson.
… Et maintenant Paris compte une nouvelle place. Nougaro n'a évincé personne car c'est d'un espace libre entre l'avenue Junot et la rue Caulaincourt qu'il a pris possession, entre la statue d'Eugène Carrière et la place Constantin Pecqueur.
Il y sera bien, non loin du Lapin Agile, de l'allée des brouillards qu'il chanta… sous des arbres qui ne demandent qu'à refleurir et à chanter "Mai, mai mai, Paris mai…"
Un petit spectateur attentif finit par fermer les yeux… Ce n'est pas que les discours l'ennuient ni que les cuivres le fatiguent, non, c'est qu'il se sent bien, en bonne compagnie avec des gens qui aiment la poésie et la chanson et qui aiment encore plus Paris depuis qu'une place porte le nom de Claude Nougaro!
Entre les rues de Maubeuge et des Martyrs, la rue Condorcet court sur près de 600 mètres en offrant une belle unité architecturale.
Rue Condorcet, hauteur rue des Martyrs.
Elle n'est pas née telle qu'elle est aujourd'hui et l'accouchement s'est fait en deux étapes.
En 1860, elle est ouverte entre la rue des Martyrs et la rue Rodier. Elle est alors le prolongement de la rue Laval (celle du Chat Noir, aujourd'hui rue Victor Massé) et elle reçoit le nom, après un gros effort d'imagination de la part de ses concepteurs de rue "Laval prolongée"!
Rue Condorcetsur la rue de Maubeuge. En arrière plan les clochers de St-Vincent de Paul et les superbes immeubles de la rue d'Abbeville.
Un an plus tard, une portion est construite, après avoir absorbé la cité Turgot, qui va jusqu'à la rue de Maubeuge. Les deux parties sont réunies en 1865 et patientent encore trois ans avant de recevoir leur nom toujours actuel de Condorcet.
Nul ne trouvera à redire sur cet hommage rendu à un homme qui fut l'un des plus éminents esprits des Lumières.
Chacun connaît son œuvre, ses idées, et comment il imagina une réforme du système éducatif ainsi que du droit pénal, dans un sens humaniste et social. Je retiens pour ma part sa révolte contre le viol du principe d'égalité qui excluait les femmes de leurs droits de citoyennes.
Il défendit des idées que reprendront les féministes, les différences entre hommes et femmes seraient moins naturelles que construites socialement et renforcées par des lois injustes.
Condorcet retrouvé mort dans sa cellule
Cet homme qui ne transigeait pas avec la morale, étant opposé à la peine de mort, vota contre la mort de Louis XVI. Quand en 1793 le vent tourna et que Robespierre fit un temps la loi, un mandat d'arrêt fut lancé contre lui. Il se cacha pendant 9 mois avant d'être arrêté, jeté en prison. On l'y retrouva mort. Le mystère reste entier sur les raisons de sa mort. S'est-il empoisonné? A t-il été exécuté? A t-il été victime d'un AVC comme il en avait déjà subi un deux ans plus tôt?
Tombeau vide de Condorcet au panthéon
Toujours est-il que l'on ne peut que se réjouir qu'une rue de notre quartier porte le nom d'un tel homme, d'un citoyen comme on aimerait en trouver un plus grand nombre à notre époque!
Il a été transféré en 1989, pour le bicentenaire de la révolution, au Panthéon. Transfert tout symbolique puisqu'on n'a rien retrouvé de son corps inhumé dans la fosse commune du cimetière de Bourg La Reine.
La rue commence avec de beaux immeubles qui depuis 2008 sont le siège social de GRDF. En 1824 il y avait à cet emplacement une usine à gaz hydrogène. Après plusieurs avatars y fut construit le siège social de la Compagnie Française du gaz par l'architcte Léon Armand Darru qui lui donna l'allure d'un somptueux hôtel particulier.
De cette époque datent de nombreuses photos des employés du gaz.
Le 3
Le 3 en 1902.
Le 3 est un bel immeuble de la fin du 2nd Empire comme la plupart de ceux qui forment la rue. Il est signé AD Mercier. Il y eut à l'origine un commerce de vins et liqueurs. Aujourd'hui la passementerie a eu raison de l'absinthe!
Immeuble original au 16 avec un pan coupé en arrondi et un lion plutôt renfrogné. Il a été construit en 1895 par l'architecte A Wolfrom. La partie sculptée est due à Rousseau. Il a pour autre particularité d'avoir son jumeau au 18...
Le 18
Le 18 en 1904
Nous retrouvons le nom de certains architectes sur plusieurs immeubles de la rue. Ainsi en est-il des 13, 17, 19, 33... tous dus à L. Monier en 1882. Cette architecture post haussmannienne de qualité donne à bien des rues de Paris son unité de pierres claires, de fonte et d'ardoises.
Les 13, 17 et 19.
Au 21 est née Cosette Harcourt (1900-1967) qui est l'une des fondatrices du célèbre studio Harcourt dont la plus grande renommée date des années 50.
On ne compte plus les "portraits" d'acteurs, de chanteurs, d'écrivains passés par ce studio!
Barthes le mentionne dans ses "Mythologies" : "En France, on n'est pas acteur si l'on n'a pas été photographié par les studios d'Harcourt".
Le 21 donne sur la rue Rochechouart et une petite place où trois rues se rencontrent : Condorcet, Rochechouart et Turgot.
Sur le côté pair se dresse un imposant immeuble.
Il a été construit par Georges Farcy en 1910. Cet architecte qui a élevé dans le quartier de beaux immeubles dans la rue Lentonnet voisine sait allier rigueur et fantaisie. Un buste orne le pan coupé sur la rue de Rochechouart tandis qu'on devine au dernier étage des médaillons de l'architecte et de sa femme.
Le 26
Au 26 dont l'architecte est L. Bernard et qui a été construit en 1869 a vécu le sculpteur Jules Salmson (1823-1902.)
On lui doit entre autres les cariatides du théâtre du Vaudeville (aujourd'hui Gaumont Opéra) et la statue en bronze de la Dévideuse du, musée d'Orsay.
La dévideuse (Jules Salmson. Musée d'Orsay)
Le 34
La proue du balcon du 34 entre rues Turgot et Condorcet
Au 34 a vécu Lugné-Poe (1869-1940) qui fut acteur, metteur en scène et surtout fondateur du théâtre de l'Œuvre qui défendit le théâtre symboliste en réaction au théâtre réaliste d'Antoine.
L'Annonce faite à Marie de Claudel y est créée en 1914.
Le 38, comme le 40 a été primé au concours des plus belles façades parisiennes
Le 38
Le 40
Les deux immeubles récompensés sont signés de l'architecte M. Fiquet.
C'est au 40 que vécut quelques années le dramaturge Henri Bernstein (1879-1953) qui s'illustra dans le théâtre de boulevard et dirigea le Gymnase. Pendant la guerre pour échapper aux rafles antisémites, il s'exila aux Etats-Unis où il écrivit un portrait incendiaire de Pétain "Portrait d'un défaitiste". Alain Resnais a réalisé son film Melo en reprenant sa pièce homonyme.
Mélo (Resnais. Azéma Dussolier)
Quelques citations de Bernstein :
"En amour, comme d'ailleurs en art, l'intelligence toute sèche, toute nue, est une disgrâce."
"Un ménage cesse d'être un ménage quand c'est le chien qui apporte les pantoufles et que c'est la femme qui aboie." (un peu daté non?)
"L'intuition c'est l'intelligence qui commet un excès de vitesse".
Au 43 le jeune Claude Nougaro a passé plusieurs années alors qu'il était lycée avenue Trudaine.
La plaque toute fraîche a été inaugurée en septembre 2019.
Le poète-chanteur donne du travail aux faiseurs de plaques commémoratives car il a connu à Paris de nombreuses adresses dont une des plus belles est sans doute sur la Butte, 28 avenue Junot. (J'ai reçu une invitation et j'irai avec plaisir assister à l'inauguration de la place Nougaro en bas de l'avenue le 28 Novembre).
Le 51 bis
Nous restons dans le monde du spectacle avec le 51 bis ou a vécu Jane Sourza (1902-1969) qui eut sa période populaire avec des émissions radio comme "Sur le Banc" (qui deviendra un film) avec Raymond Souplex son partenaire de théâtre de trente années. Pendant l'occupation elle continua de jouer aux Deux Ânes, participa à Radio Paris et fit même un voyage en Allemagne organisé par la propagande nazie. Tout cela ne lui valut qu'une année d'interdiction de travail à la Libération.
Sur le banc (Souplex Sourza)
Regrettons que cette vraie Montmartroise, née sur la Butte, se soit ainsi compromise. Reste sa filmographie abondante. Pas un seul film cependant à citer parmi tous ses navets!
Au 55 vécut pendant 30 ans un "homme de lettres et poète" dont j'avoue que j'ignorais le nom! Un nom pourtant charmant.
J'ai trouvé de lui un recueil de poèmes "Papillons couleurs de lune" et j'ai découvert un poète sans pathos, peut-être injustement oublié.
"(…) On cherche en vain dans l'armoire au beau linge,
Sous la pile des draps les frissons mis au frais :
Ni fleur ni temps d'été ne se gardent jamais.
...Alors… Bonjour, mon cœur… Et vous adieu méninges,
Aujourd'hui seul est vrai...
Le 60
Au 60 a vécu un compositeur un peu oublié aujourd'hui, Francis Thomé (1850-1909). Il a été populaire grâce à ses opérettes et à des pièces pour piano.
Il aimait la poésie et a écrit de nombreuses adaptations musicales de poèmes de Gautier, Leconte de Lisle ou Victor Hugo.
Il est enterré au cimetière Montmartre et c'est Landowski (auteur du célèbre Christ de Rio) qui conçut son monument funéraire.
Le 68
Le 68 est digne d'attention. Il est dû à l'un des plus grands architectes et érudits du XIXème siècle : Viollet Le Duc.
Alors que la mode est encore aux décorations sculptées et à la surcharge des façades, on voit ici un dépouillement, une simplicité d'autant plus remarquables que l'immeuble a été construit par et pour son architecte!
C'est là qu'il vécut pendant les 17 dernières années de sa vie. On parle de nouveau de lui depuis l'incendie traumatisant de Notre-Dame qu'il restaura avec génie, c'est à dire audace et respect. La flèche qui est un de ses plus grands chefs d'œuvre, sera, on l'espère refaite à l'identique.
Le 69
Le 69 a abrité au début du XXème siècle une boutique de lingerie devant laquelle Viollet le Duc a dû passer bien qu'elle n'eût rien de gothique!
Nous quittons la rue Condorcet, ancienne rue Laval prolongée au moment où elle arrive rue des Martyrs… par où passèrent St Denis et ses compagnons avant d'être décapités un peu plus haut à une époque où hélas Condorcet n'existait pas pour les défendre et s'opposer à leur mise à mort !
Avant même de visiter cette exposition c'est l'affiche qui mérite qu'on la regarde. Il s'agit d'une œuvre de Suzanne Valadon, habituellement visible dans une petite salle du musée et qui éclate comme une fleur qui s'ouvre et dévoile dans sa corolle le pistil d'une jambe féminine.
L'acrobate ou la Roue (1916) Suzanne Valadon.
Toile remarquable, chef d'œuvre de Suzanne Valadon qui sera peut-être un jour reconnue comme l'égale de ses grands contemporains et infiniment plus douée que son fiston Maurice Utrillo.
Il y a dans cette peinture, la liberté d'un Toulouse Lautrec, l'art du mouvement d'un Degas… il y a tout simplement le génie de Suzanne Valadon à qui une salle entière de l'exposition est consacrée et qui jouxte son atelier reconstitué et son appartement de la rue Cortot.
Bol de fruits (Valadon 1917)
La mère de Suzanne et son fils Maurice (Utrillo) 1890
Portrait de Louis Moysés fondateur du Boeuf sur le toit. (Valadon 1924)
Nu assis sur un canapé (Valadon 1916)
Les salles d'exposition malgré leur exigüité présentent divers aspects de la peinture des grandes années montmartroises, plus particulièrement autour de 1900.
Une place importante est donnée aux illustrateurs comme Albert Guillaume dont un album de chansons est presque intégralement exposé.
Il fut un des artistes en vogue de la Belle Epoque, affichiste, portraitiste, caricaturiste et illustrateur d'albums comme ce remarquable "Tristes et gaies"
…. On trouve également Ibels qui aimait peindre les artistes du cirque Fernando et qui illustra de nombreuses partitions...
L'exposition d'une grande unité et d'une variété qui rend hommage à la diversité et au talent des artistes montmartrois offre à tous l'occasion de connaître la collection de deux Américains Weisman et Michel amoureux de la Butte. Elle est à la fois éclectique et cohérente, fruit d'une passion commune.
Jacqueline E. Michel et David E. Weisman
Je retiendrai parmi toutes les œuvres présentées les quelques toiles de Bottini, un peintre au destin douloureux qui aurait eu à n'en pas douter s'il avait pu vivre plus longtemps une plus grande place dans le panthéon pictural.
Femme au renard et à l'éventail (George Bottini 1901)
Evidemment Willette, Adolphe de son prénom, créateur du Pierrot de Montmartre trouve sa juste place avec deux tableaux sensuels et poétiques.
Le tableau "une paire d'amis" représente sur l'épaule de Louison la chatte de Willette, Boulette. Salis, ami du peintre l'a accroché dans son cabaret du Chat Noir.
Willette crée son personnage de Pierrot, artiste et marginal, mal à l'aise dans une société bourgeoise. Ici Pierrot tente en vain de séduire une femme perchée sur une colonne, autant dire inaccessible, fière de montrer une poitrine réservée à d'autres hommes qu'à un Pierrot sans le sou.
Steinlen l'amoureux des chats est à l'honneur avec la quasi totalité de la frise "Chats et lunes" qui orna sans doute quelque temps les murs du cabaret de Salis. Illustrateur, affichiste et peintre, Steinlen était un homme engagé, un homme de cœur. Pas étonnant qu'il eût aimé les chats du maquis, recueillant les éclopés dans sa maison nommée à juste titre le cat's cottage!
Quelques toiles encore que j'ai particulièrement aimées….
Alfred Emile Méry : Chat noir tuant un rat.
Détail d'une toile au format original, étroit et haut… Elle était accrochée aux murs du cabaret. Salis y faisait passer un message très clair : le nouveau cabaret avait supplanté son rival de la place Pigalle le Café du Rat mort
George Luks, Scène de nuit, (1900)
Ici comme dans les toiles de Lautrec, dans l'ombre des femmes flamboyantes, se devine un homme inquiétant… souteneur, client… en tout cas prédateur.
Louis Legrand. Elégante à l'éventail (1900)
Edmond Lempereur. Yvette Guilbert (entre 1895 et 1900)
Cappiello. "Mieux vaut laver son linge chez soi" (1898)
On reconnaît le talent du grand caricaturiste et affichiste que fut Cappiello. Humour, traits précis et surlignés...
Loïe Fuller (Charles Maurin)
Les amoureux de Montmartre ont jusqu'au 19 janvier pour flâner entre les œuvres de la collection Weisman-Michel et pour entendre à l'étage des illustrateurs la grande voix populaire de Monique Morelli chantant les poème de Bruant.