Voilà un petit square qui survit vaillamment dans le bruit et la pollution de la rue Lafayette toujours encombrée et nerveuse.
Adolphe Alphand par Alfred Roll
Il est là depuis qu'Alphand "le père des espaces verts parisiens" l'a terminé en 1863 comme 23 autres dans paris. Notre homme était écologiste dans l'âme et il aménagea quelques uns des plus beaux jardins de Paris : parc Monceau, des Buttes Chaumont, bois de Boulogne et Vincennes, jardins des Champs-Elysées.....
Auparavant le terrain où le square est implanté faisait partie des jardins de l'hôtel particulier de Charles Sanson, 2ème du nom et bourreau officiel de la ville de Paris. Il succèda à son père en 1707 et il eut à son palmarès la décapitation d'une femme et l'exécution de Cartouche, le brigand légendaire. Son palmarès néanmoins reste modeste comparé à celui de son petit fils Charles-Henri Sanson qui, la guillotine aidant fit tomber dans le panier de son quelques 3000 têtes dont celle, découronnée de Louis XVI.
Le square ne garde aucune trace du bourreau qui repose avec sa dynastie dans le grand jardin qu'est le cimetière de Montmartre, à moins d'un km de là.
Du square des origines peu d'éléments subsistent car l'espace a été remodelé en 1981 et découpé en carrés et rectangles, espaces de jeu pour les petits, de sport pour les ados... L'harmonie initiale a disparu comme dans de nombreux squares parisiens qui finissent par se ressembler,
Ont subsisté quelques arbres dont deux magnifiques platanes âgés de plus de 150 ans.
Les grilles également sont d'origine, en forme de coeur avec entrelacs de fleurs et d'épis. Les lignes centrales autour d'une fleur-soleil dessinent une lyre.
Elles sont dues à Gabriel Davioud (1824-1881) qui fut un architecte très actif pendant le 2nd Empire et qui a laissé à Paris quelques unes de ses plus belles fontaines: fontaine Saint-Michel, fontaine des quatre parties du monde (avec Carpeaux), fontaine de la place du Châtelet...
Sans compter des bâtiments remarquables comme les deux théâtres de la place du Châtelet.
En 1879, la ville fit l'acquisition d'une statue qu'elle plaça au centre du square, au milieu d'une pelouse : "Gloria Victis" d'Antonin Mercié.
La statue réalisée après la défaite de 1871 était vite devenue populaire. "Vae victis" (malheur aux vaincus) la célèbre formule de Brennus devient "Gloria victis" (gloire aux vaincus). La renommée ailée et cuirassée emporte vers le ciel un jeune soldat dénudé dont la main droite tient un sabre brisé. Statue patriotique s'il en est! Le héros mort pour la patrie entre dans l'immortalité...
La statue dont plusieurs villes réclament aussitôt une copie ne reste que cinq ans square Montholon avant de s'envoler à tire d'ailes jusqu'à l'Hôtel de ville où elle séjourne jusqu'en 1930. Elle est alors cachée dans le dépôt d'Auteuil, ce qui lui épargne l'humiliation d'être fondue pendant l'occupation par les descendants des Prussiens de 1871. Enfin, en 1930, elle s'envole une dernière fois vers le Petit Palais où elle se trouve bien, sur ces Champs Elysées où comme l'on sait les héros antiques trouvent le repos.
Il reste dans le square un groupe qui depuis son installation en 1925 n'a pas bougé. Il est vrai qu'il n'est pas ailé contrairement à lastatue dont il apris la place. Il s'agit de "La sainte Catherine" marbre sculpté par Julien Lorieux en 1908 et acheté par la Ville.
Il représente cinq catherinettes qui ont mis leur plus belle tenue, coiffé le fameux chapeau avec fleurs d'oranger et sortent de l'atelier, le 25 novembre, pour se rendre au bal et rencontrer peut-être l'homme de leur vie.
C'est souvent dans les milieux modestes (couturières, modistes) que les femmes restaient plus longtemps célibataires. Cet aspect social, Julien Lorieux ne l'ignore pas, lui qui est né et a vécu dans le IXème arrondissement. Voilà pourquoi il complète le nom qu'il donne à son groupe par une dédicace "à l'ouvrière parisienne".
Julien Lorieux avait été élève d'Antonin Mercié dont le "Gloria victis" a laissé la place libre pour "la sainte Catherine". Or, Julien Lorieux, tel le jeune soldat dénudé, est mort en 1915, touché à la tête par un éclat d'obus. La Renommée ailée a peut-être emporté vers les Champs-Elysées ce jeune mort pour la patrie. Ou plus simplement, ce sont les sourires juvéniles de ses catherinettes que se sont chargés de sa renommée!
On aimerait quitter le square avec ces sourires mais avant de pousser les belles grilles de Davioud, nous découvrons entre les buissons en fleurs une plaque de verre que nous n'avions pas remarquée.
Elle égrène les noms des enfants juifs arrêtés sous Vichy et assassinés dans les chambres à gaz. Ils étaient trop jeunes pour être scolarisés et leurs noms ne figuraient donc pas sur les plaques apposées sur le mur des écoles. Ils ont trouvé place sur cette plaque de verre, légère, fragile, à peine visible.... dans ce jardin où leur mère n'osaient plus s'asseoir sur un banc, comme les autres mères, pour les regarder sourire sous les feuillages des platanes centenaires.
Je suis repassé place St-Georges et j'ai découvert que le monument ravalé depuis peu était entouré de jets d'eau qui s'étaient colorés de rouge. Nous étions le 28 mai, dernier jour de la Semaine sanglante de 1871. J'ai cru qu'il s'agissait d'une commémoration qui rappelait les 30 000 morts de la résistance héroïque du peuple de Paris. Nous verrons qu'il n'en était rien!
Le monument est le principal ornement de cette place où opère le charme indéfinissable de Paris. Il est l'épicentre des immeubles qui l'entourent.... L'hôtel de Thiers, le théâtre où fut tourné "le dernier métro", l'hôtel où vécut en ses débuts parisiens la Païva.....
L'hôtel de Thiers.
Ni Thiers, Adolphe de son prénom, ni la Païva ne le connurent puisqu'il ne fut édifié qu'en 1911 à la place d'une fontaine qui servait d'abreuvoir aux chevaux.
L'ancienne fontaine semblable à plusieurs autres installées pendant la Restauration datait de 1821. C'est lorsque fut construite la ligne de métro Nord-Sud et la station Saint-Georges qu'elle fut démontée.
Une pétition accompagnée d'une souscription demanda qu'on érigeât à sa place un monument à la gloire de Gavarni qui avait habité le quartier et illustré la vie parisienne d'alors.
Autoportrait. Gavarni.
Nous avons rencontré Gavarni dans ce blog! Il est plus que beaucoup d'artistes qui se réclament de Montmartre, un véritable amoureux de nos quartiers (et de ses belles passantes)!
La rue des Rosiers (Chevalier de la Barre) où habita Gavarni, aujourd'hui chevet du Sacré-coeur.
Rappelons qu'il est venu à 25 ans habiter au sommet de la Butte, rue des Rosiers, future rue du Chevalier de la Barre avant de choisir la rue Ravignan
Il aime alors croquer le petit peuple parisien avec une prédilection marquée pour les jolies grisettes du genre Mimi Pinson.
1 rue Fontaine.
Il descend ensuite de la Butte pour s'installer 1 rue fontaine, non loin du monument qui lui rend hommage, puis rue Saint-Georges.
Malgré l'élégance de ses dessins de mode, il est un critique acerbe de la comédie humaine et s'il fréquente les salons, c'est pour mieux en dénoncer les hypocrisies. Il n'est pas surprenant qu'il soit ami des Goncourt qui lui consacreront une biographie.
Comme eux, il est un observateur de la société et consacre des recueils à ses acteurs. Les lorettes ont sa préférence et c'est avec une certaine tendresse qu'il les dessine.
Son monument rappelle aussi qu'il fut le "reporter" du Carnaval de Paris, une coutume ancienne et vivace qui ne disparut qu'en 1950.
Pierrot en 2017
en 2021
Le décor sculpté représente des personnages de la fête : Pierrot, un débardeur, la mort avec sa faucille....
Le Débardeur (en 2017)
Quelques mots sur le Débardeur....
Il s'agit d'une femme qui pour l'occasion avait le droit de porter un pantalon masculin, ou débardeur (rien à voir avec le marcel actuel!). Il y avait une forte charge érotique dans ce travestissement exceptionnel.
(photos de 2021 et 2017)
photo 2017
photo 2021
On rencontre encore, détériorée par les vents d'ouest, la figure massive d'un personnage en haillons, le regard insistant, semblant apostropher le passant. Il est la face noire du carnaval, le vieillard habillé de haillons, à la fois bonhomme et menaçant. Il tient dans la main droite un bâton et au bout du bras gauche une faucille. Il évoque "la grande faucheuse" la mort grimaçante, toujours présente dans les carnavals.
On peut discerner encore la jeune modiste qui passe avec sa boîte dans un arrière plan qui disparaît peu à peu, grain à grain, avec l'usure de la pierre. Derrière elle se profile l'artiste, un peintre assurément, qui ressemble à Gavarni...
Au sommet de la colonne Gavarni lui-même est représenté, occupé à dessiner et à saisir au vol ses contemporains.
(photo 2017)
photo 2021
photos 2017 et 2021
Quatre mascarons de bronze laissent couler de leur bouche entrouverte un mince filet d'eau claire les jours trop rares où la fontaine joue son rôle de fontaine.
La lorette y est à l'honneur, tournée vers la rue Notre-Dame de Lorette!
2017-2021
L'artiste bohême avec son chapeau de feutre...
2017-2021
Le mendiant quémandeur et menaçant
photos 2017-2021
La mégère, hommasse et ronchonneuse... à la fois entremetteuse et espionne!
Monument à Leconte de Lisle. Jardin du Luxembourg. (Denys Puech)
Les sculptures sont l'œuvre de Denys Puech (1854-1942) qui venu de son Aveyron natal où il gardait les moutons, se forma à son art avec tant de talent qu'il obtint prix et commandes officielles. Parmi ses nombreuses réalisations, retenons son monument à Leconte de Lisle dans le jardin du Luxembourg...
Oublions qu'en 1925 il sculpta sans que son ciseau ne fondît de réprobation Benito Mussolini!
Le buste inexpressif et verdâtre lui valut l'inimitié de ses contemporains!
Combien est plus poétique et sympathique le buste de Gavarni, cheveux au vent, belle gueule d'artiste libre, regard à la pointe sèche sur la société de son temps, ses injustices et ses hypocrisies....
Laissons-lui le dernier mot :
"Pourquoi mépriser les prostituées? Ce sont des femmes qui gagnent à être connues."
Mais non, je ne le lui laisse pas le dernier mot! J'ai commencé l'article en parlant des jets de sang qui jaillissaient le 28 mai autour de la colonne....
Nous savons que Montmartre avait été un épicentre de la résistance populaire... On dit que le puits des insurgés dans la rue où j'habite (rue André del Sarte) était rouge du sang des communards...
Je m'apprétais à publier des photos de cette "commémoration" quand j'ai remarqué une affichette qui informait qu'il s'agissait bien de sang mais de celui des règles menstruelles et que le 28 mai était la journée internationale de l'hygiène féminine! Quelle idée! Choisir le dernier jour de la Semaine sanglante et l'écrasement dans le sang de la Commune pour cette journée!
Qu'importe! Gavarni en haut de sa colonne continue de griffonner....
Nous reprenons notre visite de la rue Catherine de la Rochefoucauld avec le 32 où mourut en 1889, dans l'apparttement de sa soeur, Olivier Metra. Il fut l'un des compositeurs les plus populaires de son temps et ses valses étaient jouées dans tous les bals à la mode, notamment la célèbre valse des Roses, évoquée par Proust dans "Du côté de chez Swann".
Olivier Métra dirigea de nombreux bals : le bal Mabille, celui de l'Opéra Comique, des Folies Bergères et enfin de l'Opéra de Paris.
Le 33 est une des nombreuses adresses où Renoir a eu son atelier. L'immeuble fait l'angle avec la rue La Bruyère et c'est au 26 de cette dernière que la plaque commémorative a été apposée
Jean Renoir lisant
Nombreuses sont les toiles peintes pendant cette période de presque 5 ans. Parmi elles plusieurs représentent son fils Jean....
Le Pierrot blanc
Le 37 est d'une laideur affligeante. Il s'est élevé à l'emplacement d'un vieil immeuble envoyé ad patres par les promoteurs et qui avait abrité dans un hangar sur cour le dernier cabaret créé par Maxime Lisbonne : le Casino des Contributions directes!
Le "colonel" Maxime Lisbonne (1839-1905) est un des personnages flamboyants de la Commune. Blessé sur la barricade de la rue Amelot pendant la Semaine Sanglante, il est amputé d'une jambe. Ce qui n'empêche pas les Versaillais de le torturer et de le condamner à Mort. La peine sera commuée en déportation et c'est à son retour en 1880 que Lisbonne se lance dans une vie active et engagée, dans le théâtre, le journalisme et la création de plusieurs cabarets, parmi lesquels "la Taverne du Bagne", "le Casino des concierges" ou "les Frites Révolutionnaires".
Le Casino des Contributions directes sera son dernier cabaret et il ne lui apportera pas la fortune! Ruiné, Maxime Lisbonne se retirera à la Ferté Allais où il tiendra un débit de tabac.
"Le citoyen Maxime Lisbonne, directeur du Casino des concierges, se rend dare-dare à l'Elysée pour se faire conférer par le Président, le Grand-Cordon-S'il-Vous-Plaît." (Caricature de Léandre)
Le 47
Le 49
Le 49, le café Matisse, bien tristounet en cette période de confinement, fut le café Laroche, abréviation de La Rochefoucauld, fréquenté par de nombreux peintres académiques prompts à dénigrer les nouvelles écoles. Henner ou Cormon en faisaient partie, comme d'autres de l'école de Barbizon (Harpignies).
Parfois quelques écrivains comme les Goncourt ou Maupassant s'y trouvaient à d'autres tables.
C'est encore en cet endroit que les peintres rencontraient leurs modèles parmi lesquels Ellen André tant appréciée de Manet ou Renoir.
Les Goncourt bien qu'ils n'aient pas dédaigné y passer quelques moments en observateurs, se moquèrent de ce "petit mauvais lieu fort bête fréquenté par des gens qui sont aux Lettres ce que sont les courtiers d'un journal au journal." Parmi ces courtiers il n'y avait pas moins que Baudelaire, Henri Murger ou Aurélien Scholl!
Le 58
Au 58, le photographe Robert Jefferson Bingham (1824-1870) ouvrit son studio à son arrivée à Paris. Il fit de nombreuses photos des expositions universelles de 1851 et 1855 ainsi que des artistes de son temps.
Gérôme
Cabanel
Le 62
Au 62 nous rencontrons un homme dont le nom, oralement peut prêter à confusion : Louis L'épine. Il ne s'agit pas du fameux préfet de police qui créa la Brigade Criminelle et le fameux concours Lépine....
Non, notre homme est Louis L'Epine (n'en déplaise à certains sites comme Paris Révolutionnaire), sculpteur de son état. Il est mentionné pour avoir produit des portraits en médaillon mais il n'a pas laissé d'oeuvres qui seraient suceptibles de lui assurer une miette d'éternité artistique. Même ces fameux médaillons sont quasi impossibles à dénicher. Pourtant celui qu'il fit d'Alfred Meyer, vétéran de la 1ère guerre et futur dignitaire du Parti Nazi devrait bien subsister quelque part entre Mein Kampf et les films de Lenny Riefenstahl! Je n'ai trouvé qu'une statuette de Joseph Osbach qui fut son maître...
Le 64. Premier immeuble à droite.
Je mentionne le 64 parce qu'il est cité parfois (Paris révolutionnaire) pour avoir abrité, comme son collègue du 33, un des nombreux ateliers d'Auguste Renoir sans doute avant 1875. Il y serait resté peu de temps, si peu qu'aucune plaque commémorative ne viendra signaler son passage à cette adresse.
Dernière partie de la rue et rencontre avec la rue Pigalle. A droite le dernier immeuble le 66.
Pas de doute en revanche pour le 66, dernier immeuble de la rue La Rochefoucauld.
Un géant y a vécu à son retour d'exil : Victor Hugo. Nous sommes en 1871. Le poète va être frappé d'une terrible épreuve. Alors qu'il attend son fils Charles dans un café de Bordeaux, il voit arriver le fiacre et, à l'intérieur son fils mort. Charles avait été frappé d'apoplexie foudroyante.
C'est peu après cet événement terrible que Victor Hugo vient habiter rue La Rochefoucauld. Il loue le premier étage de l'hôtel Rousseau, idéalement situé dans ce quartier où il connaît de nombreux peintres et écrivains.
L'hôtel a été édifié par l'architecte Pierre Rousseau (1751-1829) pour lui-même. Habitant Paris, il désirait pouvoir se réfugier à la campagne, sur les pentes verdoyantes de Montmartre qui ne sera annexé à Paris que bien des années après sa mort.
L'architecte est connu pour quelques réalisations remarquables dont la moindre n'est certes pas l'hôtel de Salm, Palais de la légion d'honneur, chef d'oeuvre d'architecture de la fin du XVIIIème.
Plusieurs peintres auront leur atelier dans l'hôtel Rousseau. François Edouard Picot (1786-1868), peintre néo classique y vécut et y travailla. Il décora de fresques quelques églises et palais (Saint-Vincent de Paul, Saint Denys du Saint Sacrement, Versailles, le Louvre, le Luxembourg).
Après 1830, c'est Isabey qui occupa les lieux. Eugène Isabey (1803-1886) est le fils du célèbre miniaturiste Jean-Baptiste Isabey très apprécié sous l'Empire. On peut le classer parmi les romantiques tant il est attiré par les scènes de tempêtes, de ciels tourmentés, de naufrages dans une touche influencée par Delacroix.
Ce n'est pas un hasard s'il a pour élèves Boudin ou Jongkind et si dans ses dernières années, ayant abandonné l'huile pour l'aquarelle, il est avant-coureur de l'impressionnisme. On considère qu'il "découvrit" le site d'Etretat qui allait devenir un lieu chéri de l'Impressionnisme.
Revenons à Victor Hugo qui habita de 1871 à 1874 dans cet hôtel et qui s'y attela à l'écriture de deux de ses romans les plus impressionnants : "l'Année terrible" et "Quatrevingt-treize".
55 rue Pigalle. Juliette Drouet.
Evidemment la fidèle Juliette Drouet l'avait suivi toujours amoureuse et toujours aimée contre vents et marées...
Elle habitait presque en face, 55 rue Pigalle.
La rue La Rochefoucauld s'arrête là, non loin de la place Pigalle qui connut les barricades de la Commune, à proximité de la Butte où Louise Michel enseigna. Victor Hugo admirait cette Louise Michel qu'il appelait "ma chère fille" et avec laquelle il entreprit une correspondance suivie.
J'aime que ces deux-là soient liés à notre quartier.
La rue Catherine de La Rochefoucauld à sa rencontre avec la rue Jean-Baptiste Pigalle.
Voilà une rue chargée d'histoire et d'histoires construite sur les terrains qui faisaient partie du quartier des Porcherons et qui porte le nom, non pas du célèbre auteur des maximes mais de Catherine de La Rochefoucauld, abbesse de Montmartre de 1737 à 1760.
Montmartre. L'abbaue d'en-haut et l'abbaye d'en-bas.
Il y a peu, la mairie a décidé de compléter le nom de la rue avec le prénom afin que chacun sache que les rues de Rochechouart, de la Tour d'Auvergne et La Rochefoucauld évoquaient toutes trois des femmes...
Hôtel Lestapis 2 rue de La Tour dres Dames, où était situé le moulin de l'abbaye.)
Il y avait à son emplacement, comme le montre le plan Turgot, un sentier qualifié de ruelle et qui portait le nom de "ruelle de la Tour des Dames" (un des moulins de l'abbaye étant situé à cet endroit, à l'emplacement de l'hôtel de Lestapis). C'est en 1790 qu'elle reçoit son nom actuel.
Catherine de La Rochefoucauld fut nommée abbesse de Montmartre, titre prestigieux, par le roi Louis XV. Sa pierre tombale qui à l'origine était sur le sol a été disposée avec celles d'autres abbesses dans une chapelle de l'église Saint-Pierre, scellée contre le mur de pierres. Celle qui lui succèdera, Marie-Louise de Montmorency Laval sera la dernière abbesse, condamnée à mort par Fouquier-Tinville et bien que paralysée, sourde et aveugle, décapitée en 1794. La rue de Laval qui portait son nom sera à son tour décapitée puisqu'elle changera de nom pour devenir la rue Victor Massé en 1897.
Début de la rue avec la rue Saint-Lazare.
Si l'on excepte les verrues modernes qui rompent l'harmonie de la rue, la plupart des immeubles sont beaux, construits en partie dans la première moitié du XIXème siècle et en partie dans la seconde et autour de 1900.
Le 5
Au 5 un bel hôtel particulier abrita un temps Jean Richepin (1849-1926). En 1871-1872, il fait partie de la bohême parisienne et il est l'un des rares à avoir compris l'importance de Rimbaud. C'est lui qui sépare le poète et le photographe Carjat lors d'une rixe qui aurait pu mal tourner. Sa renommée de poète révolté et exalté date de 1876 avec la parution de son recueil le plus célèbre : La Chanson des Gueux. Avec le temps il s'assagira au point d'être élu en 1908 à l'Académie Française!
Jean Richepin à la prison de Ste Pélagie après la parution de "La chanson des gueux".
S'il est moins lu aujourd'hui, Georges Brassens lui a redonné un peu d'éclat en mettant en musique son poème (qu'il coupa en rondelles de saucisson) Les oiseaux de passage. Et c'est encore un de ses poèmes "L'épitaphe du lièvre" que récite le jeune Antoine Doisnel des 400 coups de Truffaut.
"La vraie misère est celle des gens qu'on croit riches parce qu'ils n'ont pas le courage d'être pauvres."
"On est bien forcé de croire au doigt de Dieu quand on voit comme il se le met dans l'oeil"
"Si j'étais immortel j'inventerais la mort pour avoir du plaisir à vivre."
Le 6
L'hôtel particulier du 6 fut pendant des années occupé par une des dames d'honneur de l'impératrice Eugénie, la baronne Charlotte de Sancy (1815-1877). On les appelait alors les Dames du Palais.
L'impératrice entourée de ses dames d'honneur. (Winterhalter)
L'hôtel de Madame de Sancy est racheté à la fin du siècle par un des principaux marchands d'art d'Europe, Charles Sedelmeyer (1834-1925). Il y annexe une somptueuse galerie où il expose les oeuvres qu'il propose à la vente. On lui doit la redécouverte de Rembrandt et la promotion d'artistes comme Turner.
Il n'a jamais quitté le quartier puisqu'il a été inhumé en 1925 dans le cimetière de Montmartre.
Le 7 est une entrée sur jardin de l'hôtel de Mlle Mars (1779-1847) qui donne rue de la Tour des Dames. On imagine mal la notoriété de cette actrice qui resta 40 ans à la Comédie Française et fut à ses débuts l'artiste préférée de Napoléon.
Mlle Mars (Gérard)
Surnommée "le Diamant" pour sa diction impeccable et nette, elle eut de célèbres admirateurs, comme Stendhal qui la trouvait "divine" et fermait les yeux au théâtre quand l'émotion se faisait trop forte et qu'il avait "peur de tomber amoureux".
Le 12
Il y eut à l'emplacement du 12 un petit hôtel particulier dans lequel vécut Jean-Baptiste Pigalle pendant les trois dernières années de sa vie, de 1782 en 1785.
Il vivait non loin de là, dans la rue qui porte aujourd'hui son nom, à l'emplacement de l'immeuble du n° 1.
Son grand succès lui fut assuré par la protection de Mme de Pompadour qui lui procura de nombreuses commandes d'aristocrates voulant,dans le marbre, garantir leur éternité. Voltaire n'avait pas besoin de ce passeport mais il fut pourtant sculpté lui aussi par Pigalle.
Il est enterré dans le vieux cimetière du Calvaire de l'église Saint-Pierre de Montmartre (qui possède un Christ en croix du sculpteur). Il en est l'habitant le plus célèbre.
Le 14
Le 14 est l'immeuble le plus connu de la rue et le plus intéressant. Il s'agit de la maison de Gustave Moreau (1826-1898).
Gustave moreau est un immense peintre, considéré comme l'initiateur du symbolisme pictural. Sa maison qui est restée telle qu'elle était quand il mourut d'un cancer de l'estomac à 72 ans est un des lieux les plus "habités" du quartier et un enchantement assuré.
On y rencontre quelques uns des chefs d'oeuvre du peintre. Son univers sensuel et pervers à la fois dans lequel la femme est le plus souvent maléfique, ses décors à la fois esquisses et détails...
Le 17 dont la façade ne paie pas de mine mais qui donnait sur une cour et un hôtel particulier a vu passer dans ses murs quelques gloires du XIXème siècle.
Commençons par Jacques Halévy (1799-1862) qui écrivit de nombreux opéras parmi lesquels son grand succès : La Juive.
Toujours sensible à la situation difficile des minorités, il aime mettre en scène dans ses opéras ces êtres poursuivis pour leur origine ou leur foi (Juifs, Protestants). Son librettiste est souvent Scribe.
On imagine mal l'aura de ce compositeur qui eut pour élève Gounod, Bizet, Saint-Saens...
Geneviève Halévy
Rappelons que sa fille Geneviève épousera Bizet et vivra avec lui un peu plus haut, dans le bel hôtel que son oncle Léon halévy avait fait construire.
Cabanel. L'ange déchu. Musée fabre de Montpellier.
Le peintre Millet habita également le 17 en 1864 comme Cabanel et plus tard (1867) Gounod.
Le 18
Le 18 a été construit en 1930, dans le style art-déco, par les architectes Julien et Duhayon qui étaient alors très recherchés par une clientèle aisée et "moderne". On leur doit de nombreux immeubles dans les beaux quartiers (avenue Montaigne, Champs-Elysées, boulevard Haussmann, quartier Monceau...)
Le Royal Monceau (Julien-Duhayon)
Le 25
Arrêtons-nous devant le 25 et saluons celui qui y mourut après avoir écrit des poèmes et surtout après avoir trouvé pour ce quartier le nom qui allait lui rester et sous lequel nous le connaissons encore aujourd'hui : La Nouvelle Athènes.
Il s'agit d'Adolphe Dureau de la Malle (1777-1807), poète et géographe érudit, traducteur de Dante, dont le père Jean-Baptiste était lui aussi érudit et poète, traducteur des poètes latin. On le connaît aujourd'hui surtout pour cette métaphore du nouveau quartier, apprécié des artistes et où nous continuons de nous émerveiller de rencontrer tant de gloires du XIXème siècle, dont la moindre ne fut pas Victor Hugo de retour d'exil.
Nous nous arrêtons devant cette pelle Stark qui rappelle au passant l'origine de "la Nouvelle Athènes". Nous reprendrons demain la balade dans cette rue où nous attendent Renoir, Olivier Métra, Victor Hugo! Terminons par quelques vers d'Adolphe Dureau de la Malle, un peu fastidieux et convenus mais soucieux de la rime et des règles de versification!
Il s'adresse aux glaciers des Pyrénées en partie disparus aujourd'hui :
"C'est vous qui nourrissez ces cascades fameuses
Où le torrent se courbe en voûtes écumeuses,
Roule en flocons de neige ou s'élance par bonds,
Court jaillit rejaillit sur la pente des monts,
Et s'ouvrant dans les airs des routes inconnues,
En des gouffres sans fond tombe du haut des nues."
1er avril. Marches du Sacré-Coeur. Ce n'est pas un poisson mais un chat d'avril. Il est à poil. C'est un sphynx. Je me suis inquiété de le voir en plein soleil mais son maître m'a dit qu'il l'avait enduit de crème solaire.
2 avril. Méditation. (Square louise Michel)
3 avril, le peintre rentre chez lui après avoir posé son chevalet rue Norvins à l'entrée de la place du Tertre qui prend avec cette esquisse un petit air maritime!
4 avril. Jour de Pâques. Un oeuf de Pâques rue Caulaincourt!
5 avril. Jouer au foot avec le passe-muraille pour gardien. Place Marcel Aymé.
Le 6 avril. Dans Montmartre désert on n'entend plus que le pas des chevaux.
Le 7 avril. Jouer, danser, place Emile Goudeau.
8 avril. Un cliché bleu blanc rose!
9 avril. Montmartre déserté un vendredi soir! La rue de l'abreuvoir.
10 avril. Le seul rayon de soleil de la journée!
11 avril. Le masque qui gratte!
12 avril. La femme de Zorro lit un bouquin square Nadar.
13 avril. C'est que ça grandit vite à cet âge!
14 avril. Passage Briare. Juste assez large pour grand-mère, deux enfants et un chien!
15 avril. La leçon de musique. Place Blanche.
16 avril. Amour en noir et blanc square louise Michel.
17 avril. Chats perchés place du Calvaire.
18 avril. Une peluche?
19 avril. L'offrande au soleil!
20 avril. la dernière plage à la mode. (square Bleustein-Blanchet, dit de la Turlure, rue de la Bonne.)
21 avril. La horde sauvage rue Paul Albert.
22 avril. Il neige des pétales de fleurs. (place Marcel Aymé)
24 avril. Le trottoir où l'on bronze. (Haut rue Paul Albert)
C'est une courte rue qui va de la rue de Douai à la rue Blanche dans ce quartier qui devint à la mode pendant les années de la Monarchie Constitutionnelle de Charles X et Louis Philippe.
À son ouverture la rue porta le nom de Percier, architecte qui fut avec Fontaine (dont la rue est voisine) l'un des principaux initiateurs et créateurs de ce qu'on appellera le style Empire. L'harmonieux arc du Caroussel (avec Fontaine) est une de ses réalisations les plus connues et reconnues.
On ne sait pourquoi Percier disparut des plaques pour être remplacé en 1864 par Mansart. Sans précision de prénom, ce qui permet de rendre un double hommage à François Mansart et à son neveu Jules Hardouin.
François (1598-1666), grand bâtisseur de châteaux qui font la synthèse et la transition entre Renaissance et grand art classique (châteaux de Balleroy, de Maisons-Laffitte, galerie Mazarine).
Jules Hardouin (1646-1708) premier architecte de Louis XIV à qui Paris doit quelques unes de ses merveilles (Place Vendôme, place des Victoires, pont Royal, église des Invalides....)
La rue a une particularité : son côté nord, premier construit, offre une certaine homogénéité dans le style sobre et élégant de la première moitié du XIXème tandis que le côté sud plus tardif est plus disparate va du 2nd Empire aux années trente!
Au commencement était la môme Bijou! En effet le 1 est l'adresse du café Mansart, endroit très fréquenté par ceux qu'on appelle par facilité et conformisme bobos et par les touristes. Pendant l'occupation un personnage haut en couleurs est habitué du lieu (et de quelques autres à Pigalle comme le bar de la lune).
Il joue sur l'ambigüité, entre prostituée et travesti, entre clocharde et célébrité déchue. la môme Bijou est connue aujourd'hui encore pour avoir été photographiée par Brassaï
Elle est présentée dans le catalogue de l'exposition consacrée au grand photographe à Beaubourg en 2000 comme "une masse de graisse et de perlouses posée dans l'angle d'un bistrot".
Elle aurait inspiré autant que Marguerite Moreno le personnage de la Folle de Chaillot de Giraudoux.
Mais elle méritera qu'on lui accorde du temps car elle a gardé son mystère. Son regard triste et attentif émerge au-dessus de tous les portraits nauséabonds qui ont été faits d'elle.
Capture d'écran du blog "Haro sur les féminicides)
Alors qu'elle est très jeune (17 ans) elle se produit sur de petites scène comme mime.
Elle est remarquée par Willy qui lui donne son nom de scène, Louise Willy, et dont elle devient la maîtresse. Elle joue dans un grand nombre de petits films érotiques comme "le coucher de la mariée".
photo de Germaine Krull
Le succès n'est pas au rendez-vous. On n'entend plus parler d'elle à partir de 1912 et le temps passant, on la retrouve dans les années trente à Pigalle où pour quelques sous elle lit les lignes de la main. Willy la retrouvant, vieillie et pitoyable, écrit : "Bijou, matrone cuirassée de crasse et de fard qui procure à quelques paternels sénateurs, la joie d'éduquer quelque lycéen."
En 1945, Kessel parle d'elle en entrevoyant sa blessure : "La vieille affreuse et fascinante qui portait au bord de sa folie et de sa déchéance, je ne sais quel reflet obscur de grâces perdues, de pourrissantes amours."
Marguerite Moreno. La Folle de Chaillot.
Je ne sais pourquoi ce personnage me touche et pour ne pas trop y penser, je continue ma balade dans la rue.
Au 3, voisin du Mansart, nous trouvons "La Cloche d'or".
Ce restaurant a dès sa création été fréquenté par les artistes. Dans les années 20, il est dirigé par Anatole Moreau et son frère Arsène.
Anatole Moreau vit en couple avec une danseuse anglaise qui se produit dans les music-halls: Katleen Sarah Buckley.
Ils donnent naissance en 1927 à Jeanne Moreau dont on connaît l'importance qu'elle a eue dans le cinéma au temps de la Nouvelle vague et bien après....
Celle qui fut l'inoubliable Catherine de Jules et Jim habite aujourd'hui à trois cents mètres de la rue Mansart, au cimetière Montmartre.
La Cloche d'or fut fréquenté par bien des célébrités parmi lesquelles il suffit de citer Edith Piaf, Marcel Cerdan, Cocteau, Kessel... et elle fut le cadre d'une rencontre devenue mythique entre le jeune Yves Saint Laurent et celui qui allait devenir son mécène, son mentor, son amant pour la vie....
Nous restons du côté impair et cherchons en vain la maison qui s'élevait au n° 5, 5 bis. Il y a là où elle se croyait bâtie pour l'éternité, un immeuble sans grâce conçu en 1935....
Les fumeurs de kif (Gabriel Ferrier)
Elle abrita l'atelier d'un peintre et illustrateur, Nicolas Maxime Leboucher, mort en 1886, dont je n'ai rien trouvé sinon qu'il fut l'élève de Gabriel Ferrier, peintre orientaliste.
Le 8
Le 9
Le 9 est un lourd immeuble sans charme construit en 1932. Il n'a pas de scrupule à exposer sur sa façade le nom de son entrepreneur, un certain A. Chaize, et celui de son architecte D. Rotter.
Dumitru Rotter, roumain d'origine, naturalisé en 1907 a aimé travailler en Corse où on lui doit entre autres le monument commémoratif du sergent Casalonga à Alata.
Le 12
Le 15
Il y eut au 15 une salle de culture physique qui fut gérée pendant l'occupation par l'ancien champion de boxe Victor Waintz. Elle était fréquentée par de nombreux acrobates et artiste de music-hall comme les Carletti, trapézistes et contorsionnistes qui donnèrent parfois leur numéro sur la scène du Louxor. Leur fille, Louise, fut actrice dans des films de L'Herbier, Feyder, Christian-Jaque, Delannoy...
La salle était fréquentée également par des acteurs et actrices ainsi que par des personnalités diverses et variées soucieuses de perdre les kilos superflus!
Aujourd'hui l'atelier Petit Picotin qui a pris sa place a pour clientèle des bébés qui ne se soucient pas de leur poids et pour qui sont exposés draps et serviettes, peluches et jouets...
La courte rue n'a plus grand chose à nous raconter. Bonne raison pour laisser la parole à celle qui y vécut des années de son enfance, Jeanne Moreau :
"Je n'ai pas de mémoire, je n'ai que des souvenirs."
Les habitants du quartier connaissent bien cette fresque de 15 mètres de long qui court sur tout le rez de chaussée de l'immeuble du 8 rue de l'agent Bailly.
Ils n'y prêtent plus attention, elle fait partie de leur paysage.
C'est le plus beau compliment qu'on puisse faire à l'art dans la ville. Il est là, essentiel, comme le ciel ou les arbres. S'il disparaissait, alors soudain on serait moins heureux, on respirerait moins bien.
Yvon Taillandier (né à Paris en 1926, mort en Avignon en 2018) choisit cette ancienne menuiserie pour atelier en 1970. Pendant 40 ans elle le resta!
Dès son arrivée dans cette étroite rue il peignit tous les volets de la façade puis l'ensemble jusqu'à l'encadrement de la porte d'entrée de l'immeuble.
On dit que les taggeurs qui n'hésitent pas à utiliser toute surface disponible quelle qu'elle soit, respectèrent ce monde foisonnant et joyeux créé par leur aîné.
Au fond c'était très diplomatique car nous sommes en présence d'une ambassade, celle du Taillandier-Land!
Et quelle ambassade! Celle de la vie dans sa diversité, son foisonnement, sa gaité, sa folie, son incongruité, son érotisme, ses machines, ses tubes, ses manèges, ses rêves.
Parce que ces images de "figuration libératrice" ne cherchent pas à vous en mettre plein la vue, elles cherchent seulement à capter votre regard pour l'intégrer à son mouvement. Elle cherche à faire de vous l'un des acteurs de cet univers où nous sommes tous reliés les uns aux autres. Où nos jambes, nos têtes se multiplient et se métamorphosent, où nos bouches, nos ventres abritent de petits êtres prêts à participer au jeu.
Les machines font partie de ce monde et cessent d'être métalliques et bruyantes, elles sont de matière charnelle et n'interrompent pas la grande unité, la grande communication.
Il y a quelque chose de vertigineux en même temps que rassurant dans cet univers où tout est mouvement.
Le vertige c'est la rencontre et la multiplication des taillandiers, c'est le labyrinthe, la jungle où ils naviguent. Ce qui est rassurant c'est qu'il y a des frontières qui empêchent l'éclatement, la dissolution, l'éparpillement dans l'espace de tout ce peuple qui se tient.
Une ambassade représente un pays.
Un pays donne à ses habitants des frontières qui loin d'enfermer, protègent. Elles permettent au rêve de se déchaîner en douceur, au chaud à l'abri des murs familiers.
Bon! je délire! Mais c'est parce que je réponds à l'invitation d'Yvon Taillandier! Il vous invite vous aussi, avec votre monde qui rejoindra le sien, accueilli, respecté, enfantin et joueur.
Vous aurez des pieds en surnombre...
des têtes démultipliées...
des aéronefs complices
des animaux familiers comme des maisons.
"Mes tableaux se veulent des chants joyeux, voire des hymnes à la joie"
C'est une jolie rue de Montmartre, calme et quasi provinciale à deux pas de la nerveuse rue Lepic et de la très branchée rue des Abbesses!
Comme bon nombre de ses consoeurs montmartroises, elle doit son nom au propriétaire qui fit lotir ses terrains dans la deuxième moitié du XIXème siècle.
L'ancienne impasse Cauchois qui fait partie aujourd'hui de la rue.
Il existait une impasse qui portait son nom et qui fut absorbée par la rue lorsqu'elle fut prolongée. Cette impasse n'a que des numéros impairs, elle est comme une excroissance de la rue qui après cette hernie, poursuit son chemin jusqu'à la rue Constance et l'Impasse Marie Blanche.
Courte rue mais grand passé.... Sur ses 133 mètres de nombreux personnages plus ou moins célèbres ont vécu...
Au commencement, rue Lepic, se trouve le Café des deux moulins que le film Amélie Poulain a fait connaître au-delà de nos frontières. Il n'est pas rare de voir des Japonais, souriants et émus, y faire de selfies...
Le 3
Au 3, petit immeuble sans éclat, le peintre Amédée Buffet (1869-1934) eut son atelier.
Oublié aujourd'hui, il connut le succès et reçut des commandes nombreuses. Avec son frère Paul, il fut chargé de remplacer les toiles de Goya qui avaient été détruites dans la Chartreuse espagnole d'Aula Déi. Le fantôme du génial Espagnol ne le paralysa pas tout à fait!
Pour preuve de son renom, on le trouve dans la délégation envoyée officiellement pour représenter les artistes français à l'Exposition Universelle de 1905, aux côtés de Renoir, Sisley et Monet!
Le 4
Au 4, jouxtant les 2 Moulins, il y eut au début du XXème siècle un restaurant dont une photo garde le souvenir, avec le sourire des marchandes de fleurs faisant une pause avant d'escalader la Butte et de proposer aux passants leur bouquets.
Le 4 aujourd'hui
Ce restaurant a une histoire et par chance le petit-fils du patron qui habite toujours rue Cauchois nous a confié des souvenirs qui appartiennent désormais à notre quartier et qui en font la continuité et la vie. Son grand-père venu d'Auvergne, Joseph Fabry, en a été pendant des années le "patron".
Photo 1925
On le voit assis sur sa chaise devant son établissement le restaurant Cauchois.
C'était alors la tradition de se faire photographier devant la vitrine avec famille et employés. Très souvent il y avait un petit chien improbable et joyeux de poser pour l'éternité.
Photo 1928
Sur cette autre photo de 1928, un zoom sur les pieds de Joseph Fabry permet de voir qu'il travaillait en pantoufles. Non qu'il fût pantouflard, loin de là mais il se trouve qu'il fut violemment heurté par une poussette d'enfant rue Lepic et que la blessure mal traitée ne cessa de le faire souffrir. Plus tard la gangrène gagna et l'amputation devint inévitable. Joseph Fabry mourut en 1966.
Alors que les Juifs du quartier étaient raflés, un jeune garçon, Joseph Weismann qui avait été emmené au camp de Beaune la Rolande avec la seule perspective de se voir offrir un voyage aller sans retour pour Auschwitz, après s'être évadé et avoir rejoint Paris, poussa les portes du restaurant de Joseph Fabry.
Il y était connu car son père y venait parfois. Il y fut reçu, nourri, mais ne put être caché car la police était zélée et ne manquait pas d'inspecter les cafés et les restaurants du quartier chaque soir. Malgré la rafle du Vel d'Hiv, les autorités n'étaient pas satisfaites, n'ayant pas arrêté un nombre suffisant de Juifs. L'occupant risquait de leur taper sur les doigts, d'autant plus que Bousquet s'était engagé par grand souci d'humanité à ne pas séparer les enfants de leur famille. C'est ainsi que 6000 enfants périrent dans les chambres à gaz.
Le petit Joseph fut confié à une dame du quartier qui se chargea de le protéger. Plus tard il racontera son histoire dans un livre qui a inspiré un film tourné en partie dans le quartier.
Aujourd'hui, à 90 ans, il continue de rencontrer de jeunes élèves pour leur transmettre un message de fraternité et de vigilance.
Le 7
Le 7 se protège derrière de hauts murs qui abrite une villa du XIXème classée. C'est là que vécut pendant 35 ans, le commissaire Bourrel, le fin limier de l'émission télévisée "Les 5 dernières minutes".
"Sur le Banc". Souplex et Sourza.
Raymond Souplex (1901-1972) commença comme chansonnier et se produisit souvent au Théâtre des Deux Ânes sur le boulevard voisin.
Peu à peu s'effacera son souvenir tant il est vrai qu'il ne brilla jamais dans des chefs d'œuvre.
On le connaît encore un peu pour avoir été le clochard de "Sur le Banc" avec sa complice, Jane Sourza.
On oubliera peut-être aussi qu'il répondit à l'invitation du Reich et alla à Berlin en 1943, tous frais payés, représenter la chanson française. Ce qui lui valut un blâme à la Libération.
Il ne fut pas le seul dans le convoi dont Piaf et Viviane Romance faisaient partie...
Le 10.
Le 10 est un somptueux immeuble aux larges fenêtres et au décor 1900-bourgeois (par opposition au 1900-artiste de Guimard).
Le 10
Dans cet immeuble a vécu Copi le génial dessinateur de la femme assise qui nous a réjouis à chaque parution du Nouvel obs.
Copi a accompagné avec son humour et sa poésie toute la période de libération sexuelle cruellement meurtrie par les années Sida. Il a dessiné pour Hara Kiri, Charlie Hebdo puis pour Libération avec son personnage de Libérett', transexuelle qui a choqué nombre de lecteurs pas si libérés que ça!
Ses pièces ont été montées par quelques grands metteurs en scène comme Lavelli (La journée d'une rêveuse avec Emmanuelle Riva).
Une visite inopportune. (Duchaussoy, Hiégel)
C'est alors qu'il participe aux répétitions de sa pièce "une visite inopportune" (un homosexuel vit ses derniers jours sur un lit d'hôpital) qu'il meurt, le 14 décembre 1987, deux ans avant Koltés son voisin du 15 bis.
A gauche, au fond de l'ancienne impasse, le 11...
Le 11 est aujourd'hui une maison au style architectural affirmé, manifeste du "rationalisme" des années vingt, à la fois fonctionnel et original. (seul bâtiment classé de la rue avec le 7)
Mais... ce n'est plus le nid d'amour, détruit, d'un couple hors normes, d'un homme et d'une femme exceptionnels qui s'aimèrent jusqu'à ce jour de 1922 où ils quittèrent ce monde, non pas sur la butte, mais à la montagne... à Chamonix.
Il s'agit de Marcel Sembat et Georgette Agutte.
Il serait prétentieux de vouloir retracer la vie et le destin de ces deux amoureux! Simplement rappeler que Marcel Sembat (1863-1922) que beaucoup ne connaissent que par la station de métro, ligne 9, la rue et le square du XVIIIème, fut un grand humaniste, un socialiste de conviction et de cœur, adepte de la transparence, hostile aux privilèges que s'octroient les puissants.
Il fut un des initiateurs de la Loi de séparation des églises et de l'Etat, que certains beaux esprits remettent en cause aujourd'hui!
Il fut ministre des Travaux Publics en 1914... Il adhéra à la Franc Maçonnerie et créa à Montmartre la Loge de la Raison.
Il fut également un passionné d'art et notamment de peinture, défenseur des Fauves, ami et admirateur de Matisse. Il écrivit sur ce peintre la première monographie connue.
Il meurt d'une hémorragie cérébrale en 1922 à Chamonix
Georgette Agutte est un peintre qui apprit de Gustave Moreau la liberté et l'audace, se lança de toute sa conviction dans la combat du fauvisme. Elle était collectionneuse et possédait une collection remarquable, de Matisse notamment.
Après un premier mariage, elle rencontre Marcel Sembat. Ils se ressemblent, partagent le même idéal de justice, de paix, le même goût pour l'art libre et audacieux... Les Cahiers noirs de Marcel Sembat nous livrent sans fard, la force sensuelle et spirituelle de leur union.
Tous deux habitent 11 rue Cauchois. Ils vont souvent à Bonnières sur Seine où Sembat possède une maison familiale et à Chamonix où ils ont acquis un chalet, le "Murger".
Le jour où Marcel sembat meurt brutalement, Georgette Agutte après l'avoir veillé, écrit à son neveu :
"Je ne peux pas vivre sans lui. Minuit. Douze heures déjà qu'il est mort. Je suis en retard".
Elle se tire une balle dans la tête.
Le 15
Au 15, dans l'ancienne impasse, un autre peintre eut son atelier : Charles Bombled (1862-1927).
Charles Bombled. Cheval à l'écurie.
Né à Chantilly, il aimait les chevaux. Sa gloire relative lui venait de ses représentations nombreuses de militaires, de scènes de combats napoléoniens....
Mais aussi de sa participation à des journaux comme la Caricature ou le Chat Noir.
Enfin, il participa au théâtre d'ombres avec ses tableaux en silhouettes de la conquête de l'Algérie.
C'est encore au 15 que vécut et eut son atelier un autre peintre : Léon Huber (1858_1928).
Cet homme étonnant, bon vivant, humaniste, poète et soucieux de venir en aide aux pauvres gens de son quartier à qui il offrait chaque matin un repas, avait une passion : les chats!
Grün, un de ses fidèles amis, l'a caricaturé, à moitié métamorphosé en chat, en train de peindre une toile à l'aide de sa queue-pinceau!
Léon Huber mit en scène les petits animaux "domestiques" dans toutes les situations, les plus tendres ou les plus cocasses. Son style était classique, un tantinet mièvre. Mais il plut.
Aujourd'hui encore les chats de Léon Huber sont recherchés des collectionneurs et adorateurs des petits félins.
Le 15 bis
Le 15 bis
Le 15 bis est un bel immeuble original avec bow-windows.
Pendant quatre années de sa courte vie, un des écrivains de théâtre les plus audacieux et les plus torturés y vécut.
Il s'agit de Bernard-Marie Koltès (1948-1989) dont Patrice Chéreau mit en scène quelques pièces.
Joué dans le monde entier et toujours actuel, il a été frappé en pleine créativité, emporté par le SIDA.
Parmi ses pièces les plus représentées, on compte "Combat de nègre et de chiens" ou "Dans la solitude des champs de coton".
Il est enterré à une centaine de mètres de la rue Cauchois, cimetière Montmartre...
La pierre blanche de la tombe de Bernard Marie Koltès
Quelques phrases saisies dans tel ou tel de ses textes afin de lui redonner parole :
Et je suis ici, en parcours, en attente, en suspension, en déplacement, hors-jeu, hors vie, provisoire, pratiquement absent, pour ainsi dire pas là (...)
Les souvenirs sont des armes secrètes que l'homme garde sur lui lorsqu'il est dépouillé.
Mes racines ? Quelles racines ? Je ne suis pas une salade ; j'ai des pieds et ils ne sont pas faits pour s'enfoncer dans le sol.
j'ai toujours pensé que, si on regarde longtemps et soigneusement les gens quand ils parlent, on comprend tout.
Ma mère m’a toujours dit qu’il était sot de refuser un parapluie lorsqu’on sait qu’il va pleuvoir.
Et comme il va pleuvoir et que personne ne me propose de parapluie, je me dépêche de quitter cette rue montmartroise où vécurent de si nombreux artistes qu'elle en a gardé je ne sais quoi de nostalgique et de lumineux.
La rue de Bruxelles va de la place Blanche à la rue de Clichy en passant par la place Adolphe Max qui la coupe en deux tronçons.
Square Berlioz (anciennement square de Vintimille).
Une ordonnance de 1841 permet son ouverture. Pour sa partie la plus proche du boulevard de Clichy, il faut attendre 1844 et le lotissement des jardins de Tivoli accompagné de la destruction du Pavillon La Bouëxière, harmonieuse folie du XVIIIème siècle.
Folie La Bouëxière
Le 6.
Il reste à cette adresse quelques rares vestiges de ce qui fut un hôtel particulier donnant également sur le boulevard de Clichy à l'emplacement actuel de la chapelle Sainte Rita patronne des causes désespérées, très fréquentée par les péripatéticiennes et les péripatéticiens qui travaillent sur le boulevard.
Cour intérieure du 6
L'hôtel devint en 1883 la propriété du peintre Jean-Léon Gérôme (1834-1904) qui fut célébré comme le grand peintre quasi officiel du 2nd Empire et qui passa sans dévier de sa route à côté des grands mouvements picturaux de la 2ème moitié du XIXème siècle.
Diogène
Il obtint des médailles aux salons et sut s'adapter au goût de ses contemporains, commençant par des sujets antiques, toujours marqués par la précision et le goût des couleurs, avant de faire une incursion dans la religion puis dans les sujets orientalistes très en vogue avec les conquêtes coloniales.
St-Vincent de Paul
Comme souvent, les "grands" peintres académiques, après avoir connu la déréliction, sont redécouverts aujourd'hui grâce à des expositions. Notre sensibilité moderne leur reconnaît une dimension poétique en même temps qu'une remarquable maîtrise du dessin et de la couleur.
Femme du Caire
Gérôme fut également sculpteur, avec un goût de la polychromie qui paraît audacieux aujourd'hui où l'on oublie que l'art antique fut polychrome, comme l'art roman ou gothique!
Il est mort dans son hôtel particulier où il avait également son atelier, en 1904.
Le jugement baudelairien sur l'artiste paraît sévère : "La facture de M. Gérôme, il faut bien le dire, n'a jamais été forte ni originale. Indécise, au contraire, et faiblement caractérisée, elle a toujours oscillé entre Ingres et Delaroche."
Duel après un bal masqué
Le 8 n'aurait pas grand chose à nous raconter s'il ne présentait pas, sculptées dans un cartouche au-dessus le la fenêtre du rez-de-chaussée quatre lettres intrigantes : M.A.C.L
Il s'agit là d'une des curiosités parisiennes qui date du XVIIIème siècle. En effet les assurances de ce temps n'assuraient pas les immeubles malgré les nombreux incendies qui se déclaraient dans tous les quartiers de Paris. Au milieu du siècle, une compagnie d'assurances a l'idée d'assurer les maisons contre l'incendie. Très vite une plaque ou des lettre sculptées dans la pierre signalent au locataire ou à l'acheteur le standing de l'immeuble qui ne risque plus de ruiner ses habitants : Maison Assurée Contre L'incendie
Ces signes extérieurs d'assurance cessent en 1880 quand il devient obligatoire de passer sous les fourches caudines des assureurs!
Les Parisiens des années révolutionnaires s'amusent avec ce sigle qui devient :
Marie Antoinette Cocufie Louis
Mes Amis Chassons Louis.
Au 10 un élégant immeuble 1840 est devenu en 2015 un hôtel 5 étoiles, la maison Souquet. La décoration évoque en même temps les maisons closes de Pigalle et les intérieurs luxueux et un peu exubérant des écrivains de la première moitié du XIXème siècle.
Le 14. Bel immeuble fin de siècle qui abrite un nid de masseurs et masseuses, enfin disons plutôt de masseuses et de masseurs, enfin soyons téméraires et disons masseur.euse.s (pas sûr d'avoir bon!)
Le 18 (nous ne suivons pas l'ordre numérique car le 15 qui nous intéresse est situé de l'autre côté de la place Adolphe Max) est dû à un architecte très en vogue à la fin du XIXème siècle, Emile Hennequet.
Il a beaucoup travaillé dans le IXème avec des immeubles avenue Trudaine, rue Condorcet, rue Chaptal... On peut l'appeler post-haussmannien par son goût de l'ornementation et l'aspect cossu et harmonieux de ses façades.
Nous arrivons sur la place Adolphe Max qui interrompt notre rue. Elle a été ouverte en 1841, comme la rue de Bruxelles sur les terrains des jardins de Tivoli. Le château de la Boüexière et sa pièce d'eau étaient exactement à l'emplacement de cette place et du square qui est en son centre.
La place s'est d'abord appelée place de Vintimille (la rue existe toujours) du nom de la comtesse de Vintimille (1787-1862) épouse du comte de Ségur, avant de prendre le nom de l'homme politique belge Adolphe Max (1869-1939) au prénom malencontreux à l'époque où il vivait. Avant la carrière brillante comme on sait d'Adolf Hitler, il fut un vrai résistant pendant la première guerre et fut "l'hôte" de plusieurs prisons allemandes. Il est connu comme bourgmestre efficace de Bruxelles et comme lutteur infatigable pour le suffrage universel et le vote des femmes.
Au milieu de la place, un jardin public a été créé orné en 1886 d'une statue en bronze d'Hector Berlioz (due à Alfred Lenoir) qui sera fondue sous Pétain comme tant d'autres. Aujourd'hui une statue de pierre érigée après guerre en 1948 la remplace (due à Georges Saupiquet).
Une autre statue fit parler d'elle lorsque la place fut aménagée en 1844.
Il s'agissait d'un Napoléon-Prométhée plus grand que nature (2,20 mètres) entièrement nu à l'exception de l'inévitable feuille de vigne. Elle choqua les hypocrites de tout bord et après avoir été vandalisée, fut détruite sur demande de son auteur.
Notons qu'avant de s'appeler square de Vintimille, l'endroit fut nommé square de Sainte Hélène. Un admirateur de l'empereur avait en effet rapporté d'un pèlerinage sur la tombe de Sainte Hélène, une pousse de saule qu'il fit planter dans le jardin.
Quelques numéros de la place méritent notre attention.
Le 1
Le 2
Les 1 et 2 immeubles élégants du milieu du XIXème siècle avec balcons à modillons, sobres comparés au style haussmannien qui prévaudra bientôt.
Le 3 fait l'angle avec la rue De Calais. Il fut le siège du Comité Central des oeuvres sociales EDF-GDF (lointaine époque!) et fut le théâtre d'une occupation mouvementée quand en 1951 l'organisation fut dissoute par le gouvernement de René Pleven. Mais la police vida les lieux sans ménagement.
Une plaque rappelle qu'à cet emplacement s'élevait un immeuble de rapports où Edouard Vuillard vint vivre avec sa mère en 1908.
Square Berlioz (Vuillard)
Il habitait un cinquième étage avec vue sur le square et la place de Vintimille qu'il peignit sous tous les temps dans sa série des jardins publics.
Le 5
Le 19 rue de Vintimille qui fait l'angle avec le 5 de la place Adolphe Max.
Bel immeuble au 5, la majeure partie donnant sur la rue de Vintimille.
Les 6 et 7
Le 8
Le 9
Le 10
Le 10 s'abrite derrière une grille. ancien hôtel particulier, il a gardé le goût du secret....
Le 11
Au 11 se trouve la dernière adresse parisienne d'Eugène Boudin (1824-1898) qui porte un nom aussi peu poétique que possible. Le nom de sa mère, Buffet, ne peut rien arranger. Et pourtant! Quel poète de la lumière, de la légèreté, des nuages chers à Baudelaire!
Eugène Boudin dont la tombe se trouve dans le vieux cimetière Saint-Vincent au coeur de Montmartre est à juste titre considéré comme le grand précurseur de l'Impressionnisme. Bien qu'il eût toujours été humble et beaucoup plus prompt à admirer les autres peintres qu'à se vanter de son travail, il a été reconnu par ses pairs. Courbet qui l'admirait est devenu un ami.
Baudelaire devant des études au pastel se montre prophète : "Plus tard, sans aucun doute, il nous étalera dans des peintures achevées les prodigieuses magies de l'air et de l'eau."
En 1898, Eugène boudin se sentant proche de la fin quitte son appartement pour Deauville où il veut mourir face à la mer et au ciel, rejoignant dans l'immensité le petit mousse qu'il avait été enfant.
Deuxième partie de la rue de Bruxelles vers la rue de Clichy.
Après avoir tourné autour de la place nous retrouvons notre rue de Bruxelles.
Le 13
Au 15 a vécu et est mort un auteur dramatique Amédée Achard (1814-1875) à ne pas confondre avec son homonyme beaucoup plus célèbre, Marcel Achard (mort presque un siècle après lui).
Il est bien ignoré de nos jours et pourtant, ce journaliste et reporter infatigable a écrit plus de quarante romans (beaucoup dans le genre cape et épée) et une quinzaine de pièces. J'avoue ne rien connaître de lui qui fut paraît-il admiré par Alexandre Dumas.
Le 17
21
Le 21 est un monument national! C'est là que vécut Emile Zola, c'est là qu'il écrivit "J'accuse"!
C'est aussi à cet endroit qu'il fut assassiné . On dut attendre des années avant que le ramoneur Henri Buronfosse, ardent nationaliste et anti dreyfusard, n'avouât son crime.
On ne peut retenir son émotion devant cet hôtel où un immense écrivain, un humaniste intègre vécut, écrivit et mourut. Il fut enterré non loin de son domicile, au cimetière de Montmartre, avant d'être transporté au Panthéon.
Le 23 est un des plus beaux immeuble de la rue. Représentatif, bien que construit en 1860 d'un style troubadour néo-Renaissance.
Le 26
Au 26 vécut et mourut Tony Johannot qui fut un des plus célèbres et des plus recherchés graveur et illustrateur de son temps.
Le génie du christianisme
Les plus grands écrivains désiraient pour leurs œuvres les illustrations de cet artiste dont Théophile Gautier disait : "Ce que tant de génies ont rêvé, il a pu le rendre et le transporter dans son art ."
Werther
C'est avec lui qui nous quittons cette rue qui comme chaque rue de ce quartier révèle une histoire que le passant négligent ignorerait tout à fait si n'étaient apposées des plaques qui sont comme des signes de la main que nous font ceux qui nous précédèrent.
Signes que n'apprécie pas tout le monde à en croire cette affichette déchirée qui rappelle que vécut au 27 Jacqueline Pino arrêtée à l'âge de 8 ans sous le régime de Vichy et assassinée dans les camps. Il manqua en ces années de meurtres un Emile Zola pour accuser les assassins et leurs complices. Il n'y avait, un peu plus haut, rue Girardon qu'un Céline!
La rue Lamartine va sur 341 mètres de la rue Marguerite de Rochechouart à la rue des Martyrs. Elle a eu plusieurs noms avant de rendre hommage au poète du Lac.
Elle s'est appelée rue Coquenard (on trouve sur certains documents Goguenard). Une chapelle qui dépendait de Saint-Pierre de Montmartre y avait été édifiée, dédiée à Notre Dame de Lorette, ce qui permettra à la rue de prendre ce nom de Notre Dame de Lorette (rien à voir avec la rue actuelle). La chapelle sera détruite pendant la Révolution après avoir été vendue comme bien national et dans le même mouvement éradicateur, la rue redeviendra Coquenard!
Ce n'est qu'en 1848 que Lamartine prend la relève, lui qui, outre sa renommée romantique et le grand succès de son Lac, est apprécié pour sa participation à la Révolution de 1848.
Lamartine (Baron Gérard)
La rue lui va bien, dans ce quartier proche de la Nouvelle Athènes où vivent quelques unes des gloires romantiques.
Début de la rue Lamartine à partir de la rue Marguerite de Rochechouart.
Prenons notre rue par son commencement, rue Marguerite de Rochechouart... Et commençons en musique et en fêtes! En effet, du 1 au 3 actuels se trouvait une guinguette qui attirait les Parisiens, étant hors des murs de la ville (ce qui arrivera un peu plus tard à Montmartre quand les limites de la ville seront repoussées jusqu'aux barrières).
Guinguette au XVIIIème siècle. Chez Ramponneau.
L'endroit s'appelait le Grand Salon et il était si accueillant qu'il pouvait recevoir plus de huit cents personnes les soirs de fête ou de carnaval. Il était un lieu de rencontre idéal entre une clientèle populaire et des dames et messieurs de la "bonne société" venus s'encanailler. Voilà encore des prémisses de nos cabarets montmartrois!
Le Grand Salon laissera place en 1815 à une caserne où la discipline ne sera pas la même!
Au 4 où aujourd'hui on trouve un hôtel, je sais grâce à Pierre, fidèle ami et Montmartrois de naissance qui habita cette rue, qu'il y eut une laiterie aujourd'hui disparue...
Le 5 fut le siège en 1947 d'une revue communiste "Regards" qui créée en 1932 privilégiait, en avance sur son époque, le photo reportage.
Willy Ronis (de la colonne de la Bastille)
Quelques grands photographes comme Cartier-Bresson, Capa ou Willy Ronis y participèrent. La revue déménagea pour le faubourg Poissonnière jugé plus populaire.
Willi Müzenberg
Il y eut également à cette adresse les bureaux de l'agence de presse "Nouvelle Allemagne" créée par Willi Münzenberg, opposant sans concessions à Hitler puis à Staline, réfugié en 1933 à Paris où il s'occupa de l'édition Carrefour en langue allemande. Il fréquenta les intellectuels français (Gide, Malraux, Aragon, Romain Rolland) avant d'être interné par Daladier dans un camp pour étrangers en 1940. On retrouva son corps pendu à un arbre. Sans doute aidé dans sa fuite du camp par un espion stalinien a t-il été exécuté par ce dernier.
Le 6
Il suffit de passer sur le trottoir du 6 pour partir en voyage, loin de Paris, dans des pays d'Orient fleuris et parfumés. Depuis bientôt un siècle cette boutique attire les gourmets, les amateurs d'épices et de sensations! Le slogan l'affirme : "Les clients d'Hératchian vivent plus longtemps". C'est certainement vrai à voir s'attarder ente les grands sacs de graines et d'épices de vieux amateurs aussi alertes et souriants que les enfants de l'école d'en face!
Les 10 et 10 bis nous accueillent avec des créatures sensuelles et "perruquées"! Ce genre de fantaisies architecturales sont un des charmes de Paris...
Au 11 se développe une aile de l'école maternelle et de l'école élémentaire de la rue Buffault qui remplacèrent une école de filles. Belle architecture du début du XXème siècle avec frises de céramiques.
La rue Buffault que nous passons sans nous y arrêter aujourd'hui possède une belle synagogue qui vint remplacer celle, trop exigüe qui exista à l'emplacement du 23 rue Lamartine et qui fut détruite en 1859
Le 13
Devant le 13, le 18 décembre 1941, un groupe de résistants des bataillons de la jeunesse avec Marcel Bertone, Louis Coquillet et Maurice Touati incendièrent un camion de la Wehrmacht comme ils l'avaient fait la veille rue Mayran.
Louis Coquillet
Bertone fut arrêté et fusillé au Mont Valérien en avril 1942 avec Coquillet et Touati arrêtés peu après l'attentat.
Au 18 est né un philosophe qui pour certains d'entre nous a été cause de longues (et fécondes) heures de dissertations : Henri Bergson (1859-1941).
Il eut le prix Nobel en 1927 et certains de ses ouvrages sont une source intarissable de réflexions et de plaisir.
Quelques citations pour ouvrit l'appétit!
"Choisir donc exclure.
Certains ont défini l'homme comme "un animal qui rit". Ils pourraient aussi le définir justement comme un animal dont on rit.
La route que nous parcourons dans le temps est jonchée des débris de ce que nous commencions d'être, de tout ce que nous aurions pu devenir.
L'humanité entière, dans l'espace et le temps, est une immense armée qui galope à côté de chacun de nous, en avance ou en arrière de nous.
Laissez faire Vénus, elle vous amènera Mars.
Imaginer n'est pas se souvenir.
Le timide peut donner l'impression d'une personne que son corps gêne et qui cherche autour d'elle un endroit où le déposer.
Nous méconnaissons ce qu'il y a encore d'enfantin, pour ainsi dire, dans la plupart de nos émotions joyeuses."
Le 23. Emplacement de l'ancienne synagogue.
Le 28
Détail du 28
Au 28 se trouvait "la cour aux ânes" où les paresseux pouvaient louer ces animaux pour monter jusqu'au sommet de la Butte.
Avec le percement de nouvelles rues et l'amélioration de la voirie ce commerce disparaîtra au milieu du XIXème siècle pour migrer vers les Champs Elysées et le jardin d'acclimatation.
Carrefour avec la rue de Maubeuge.
Les numéros pairs de la rue passent du 28 au 42! Entre les deux la rue de Maubeuge a été percée en détruisant en 1868 tout immeuble qui se trouvait sur son chemin.
Ainsi a disparu le 32 où vécut et mourut, un an avant la destruction de son hôtel, l'un des grands architectes du XIXème siècle Hittorff (1792-1867)que ses coreligionnaires jaloux de son succès appelaient avec mépris 'le Prussien" parce qu'il était né en Allemagne. Il est un de ceux qui ont marqué durablement Paris de son génie.
Il suffit d'égrener la liste de ses réalisations d'abord sous Charles X puis sous Napoléon III pour être impressionné:
L'église Saint-Vincent de Paul, la place de la Concorde (les colonnes rostrales, les fontaines), les mairies du Vème et du 1er, la place du Panthéon, le théâtre du Rond-Point, le cirque d'hiver, la rue de Rivoli, les immeubles de la place de l'Etoile, la gare du Nord!.... sans parler de restaurations et d'aménagements dans cette ville qui lui doit tant et qui a réduit en poussières sa maison!
Le 33 m'est cher car il fut un des domiciles parisiens de Baudelaire, un poète lié à Paris comme nul autre. On lui connaît pas loin de 50 adresses dans la capitale jusqu'à la dernière, en 1867, au cimetière du Montparnasse.
Le 33
Dans notre quartier, nous l'avons rencontré rue Pigalle où il vécut à deux reprises, en 1848 et surtout en 1852-54. En 1848 il vit encore avec Jeanne Duval au 46 mais après des ruptures, des retrouvailles, des tumultes il se sépare d'elle, sans se séparer vraiment, et il vit dans un modeste appartement du 60 rue Pigalle en 1852-1854.
C'est en juin 1846 qu'il vient habiter quelques semaines au 33 de la rue qui s'appelait encore Coquenard. Et c'est tant mieux car il n'aurait pas apprécié de vivre dans une rue qui portait le nom d'un poète qu'il appréciait peu : "Tous les élégiaques sont des canailles!"
Le 39 en ravalement
Il y eut au 39 un hôtel dont cette carte postale a gardé le souvenir...
54-56
Aux 54-56 s'élevait l'église des Porcherons nommée ainsi par les habitants d'un quartier qu'on appelait aussi village des porcherons à cause du château et des terrains qui avaient appartenu à la famille Porcheron (parfois orthographiée Pocheron).
Cette église était en fait dédiée à Notre-Dame de Lorette. Rappelons que la rue Coquenard sur laquelle elle s'ouvrait s'appela un temps rue Notre-Dame de Lorette (aucun rapport avec la rue actuelle). La rue redevint "Coquenard" avec la révolution qui entraîna la vente de l'église comme bien national, suivie de sa destruction. Il faudra attendre 1836 pour que s'élève la nouvelle église Notre-Dame de Lorette.
Parfois l'ancienne chapelle Notre-Dame de Lorette est confondue avec l'église Saint-Jean Porte Latine située non loin de là, entre les rues de Chateaudun et du Faubourg Montmartre.
Cette confusion vient de ce que peu après la destruction de Notre-Dame de Lorette en 1796, elle prit son nom qu'elle garda jusqu'à sa propre destruction en 1846 après l'inauguration de l'église actuelle. De quoi embrouiller tout le monde et notamment les guides et brochures touristiques. En effet trois édifices consacrés portèrent ou portent sur quelques centaines de mètres carrés le même nom : l'église actuelle, St Jean Porte Latine et la chapelle des Porcherons!
Voilà! Nous avons terminé notre balade rue Lamartine sur l'évocation de cette chapelle où venaient prier les gens du quartier. Nous faisons à notre tour une prière païenne à Chronos, sans espoir qu'il nous entende tant elle est rabâchée !
Ô temps suspends ton vol! et vous heures propices,