Rue Choron!
Mais serait-ce la rue du professeur Choron?
Une rue "essentielle" comme on dit aujourd'hui!
Une rue qui sonne humour, irrévérence, rire énorme, mauvais goût et joie de vivre!
... Et non! Ce n'est pas le professeur es-humour noir qui lui a donné son nom mais c'est elle qui le lui a donné. Enfin disons plutôt que c'est lui qui le lui a "emprunté"!
Il n'était pas né quand cette courte artère fut créée en en 1866 à l'emplacement d'une impasse : la cour Saint-Guillaume.
Une précieuse photo de Marville nous montre cette cour en impasse avec, au fond, les immeubles qui seront démolis en 1896 pour permettre la jonction avec la rue des Martyrs.
La nouvelle rue mesure 230 mètres. La photo nous permet de voir que rien ne subsiste de la cour Saint-Guillaume sinon l'immeuble d'angle sur la droite (aujourd'hui 5 rue Rodier et 6 rue Choron). Toute la partie gauche de la rue (numéros impairs) a été détruite pour permettre l'élargissement de la voie à 12 mètres.
En 1868 la rue est baptisée du nom d'Alexandre Emile Choron (1771-1834) musicien et pédagogue, auteur de nombreux ouvrages sur la musique. Sous Napoléon 1er il fut nommé Directeur de la Musique des Fêtes Religieuses. Plus tard il devint régisseur de l'Opéra avant de créer en 1817 l'Institution Royale de Musique Classique et Religieuse.
Le premier immeuble "historique" de la rue Choron est le 4, à proximité de la rue de Maubeuge.
Il s'agit de l'immeuble qui abrita Hara-Kiri à ses débuts en 1960. Georget Bernier (1929-2005) qui en fut le créateur avec Cavanna et Fred, choisit de prendre pour patronyme le nom de la rue. Cavanna donne pour titre cette adresse au livre qu'il écrit en 65.
Quelques uns des meilleurs dessinateurs et caricaturistes de l'époque les rejoignent : Wolinski, Reiser, Cabu...
On sait que le journal fut interdit après la couverture jugée irrévérencieuse "Bal tragique à Colombey, un mort" qui présentait ainsi la mort de De Gaulle, associée à l'incendie de la discothèque qui fit 146 morts à Saint Laurent du Pont.
Mais le journal avait déjà quitté la rue Choron pour la rue Montholon voisine. Le professeur Choron et ses complices créérent alors Charlie...
Rappelons-nous en passant quelques unes des pensées du professeur Choron qui pourront nous plonger dans un abîme de réflexion intense!
"C'est terrible d'allonger la vie en prolongeant seulement la vieillesse."
"C'est toujours le chauve qui trouve le peigne dans la galette des rois."
"Celui qui écoute aux portes la prend souvent en pleine gueule."
"Comme la tartine, l'ivrogne tombe toujours du côté qui est complètement beurré."
"Qui sème le vent court après son chapeau."
Nous traversons la rue Rodier, ancienne rue Neuve Coquenard. On voit sur la photo de Marville, sur la gauche au milieu du cliché l'immeuble d'angle de la cour Saint Guillaume, seul rescapé de l'ensemble des maisons.
Peu d'immeubles remarquables dans cette rue qui commençait en fanfare!
Au 5 nous trouvons le bureau de poste typique des années 30 qui privilégient les baies vitrées et le rythme simplifié des façades.
Le 7 est un bel immeuble post haussmannien, un des rares dans la rue à porter l'année de construction, 1879, et la signature de son architecte: H. Descaves.
Henry Arsène Descaves (1840-1896), fils d'architecte, était installé à Paris où il réalisa plusieurs immeubles de rapport dont le 8 rue Hippolyte Lebas dans la rue parallèle à la rue Choron.
Le 8 bis abrite le secrétariat de l'église Notre-Dame de Lorette ainsi qu'une grande chapelle et des salles de réunion.
Les 9 et 10 presque jumeaux...
Avec le 14 nous arrivons au carrefour avec la rue Milton. Les immeubles sont à pan coupé, donnant l'impression qu'ils entourent une placette.
Autre immeuble à pan coupé le 16....
Il abrite une galerie aux trésors "l'estampe moderne" où sont proposées de rares affiches guettées par les amateurs.
C'est à cette adresse que vécut quelques années et mourut le peintre Jules Armand Hanriot (1853-1930).
Nymphe endormie (Hanriot)
Cet artiste connu pour ses tableaux de nus féminins et ses illustrations de livres érotiques, fait partie à son corps défendant de l'histoire de la peinture.
En effet, jeune et sans le sou il est accueilli et hébergé par Manet et il a une aventure comme on dit avec Suzanne Leenhoff la femme de son hôte.
Il est plus jeune qu'elle de 24 ans, ce qui a endormi la méfiance du mari lui même volage mais qui entra dans une rage folle quand il apprit cette liaison. Il menaça de mort l'ingrat qui prit ses jambes à son cou et disparut.
Il se réfugia à Arcachon où il continua à peindre des femmes nues et à illustrer des ouvrages divers et variés, parfois érotiques.
De l'autre côté on trouve des bâtiments de l'école publique du 5 rue Milton. En 1870, c'est un temple protestant, une école mixte et un pensionnat qui furent édifiés à cette adresse, entre les rues Lebas, Milton et Choron.
Façade du temple protestant rue Hippolyte Lebas
Les bâtiments conservés ont été transformés en école primaire en 1962.
Côté impair il ne reste qu'un long immeuble un peu pesant qui se termine avec son pan coupé sur la rue des Martyrs et qui porte gravée son année de construction : 1895.
Côté pair le 18, harmonieux avec une belle entrée ornée d'un macaron....
Le 20 porte la signature en partie effacée de son architecte et sa date de construction : E. Guigardet 1881. Cet architecte est très actif à Paris dans le dernier quart du XIXème siècle. On lui doit entre autres le 2 rue Belgrand, Place Gambetta, 227 boulevard voltaire...
Dans cet immeuble le fils de Camille Pissarro, Georges Manzana-Pissarro (1871-1961) eut pendant quelques années son atelier.
Evidemment influencé par son père et les nombreux artistes qu'il fréquentait il commença à peindre comme néo impressionniste.
Son engagement politique le rapprochait des libertaires.
Par une ironie du sort, il commence à avoir du succès avec ses toiles néo impressionnistes alors qu'au début du vingtième il s'en détachait et changeait de style.
Influencé par Gauguin et par l'art japonais, il crée un univers particulier, orientalisant. Il s'intéresse aux objets, meubles, tapis, tapisseries, verreries. Cette partie de son oeuvre reste à redécouvrir.
Je ne résiste pas au plaisir de partager quelques unes de ses toiles où l'on peut rencontrer Matisse, Gauguin, les estampes japonaises dans un univers qui est pourtant bien à lui!
Après de telles merveilles, nous passons vite devant l'immeuble de briques du 22 avant d'arriver devant le 24, dernier numéro pair de la rue dont l'adresse principale est rue des Martyrs.
C'est l'Ariel, bar tabac au décor d'ancienne brasserie avec comptoir de zinc, rendu célèbre par les Garçons bouchers, groupe rock alternatif :
"Dans la salle du bar tabac de la rue des Martyrs
Y a des vieux gars tatoués qui racontent leurs souvenirs..."
La rue Choron s'arrête là, rue des Martyrs, un peu penaude de n'avoir pas retenu tous les oiseaux flamboyants de Manzana-Pissarro pour mettre de la couleur dans le gris parisien!