La couleur de la place Blanche c'est le rouge du moulin que photographient tous les touristes! C'est sur cette place que commence la rue homonyme qui descend plein sud vers l'église de la Trinité. Une des rues les plus riches en histoire et histoires de Montmartre.
Pourquoi ce nom?
La tradition affirme qu'il est dû aux carrières de gypse de la Butte. Les charrois descendaient les rues pentues, chargées de plâtre qui ne manquait pas sous l'effet des cahots et du vent de se disperser en partie sur la chaussée.
Les Porcherons avec le château du Coq dont il ne reste que le ,om d'une impasse sur la rue Saint-Lazare.
L'étude des différents noms des rues depuis leur création raconte une autre histoire. Il y avait en effet, succédant à l'ancien chemin qui allait du village des Porcherons à la place une rue qui avait pris le nom de "rue de la Croix Blanche". Elle le devait à l'enseigne d'un cabaret très fréquenté, le cabaret de la Croix Blanche. En 1793, alors qu'on efface autant que possible toute référence religieuse dans les noms, la rue prend le nom qu'elle a gardé : rue Blanche.
Partons donc du bas de la rue, là où elle commence, place d'Estienne d'Orves, à quelques pas de l'église de la Trinité.
Il y avait là en 1765 ce qu'on appelait "la clôture", un poste d'octroi qui taxait les marchandises entrant dans Paris.
Le poste existera jusqu'à la construction du fameux mur des Fermiers Généraux qui passera plus au nord, à la hauteur de la place Blanche actuelle.
Au n° 2, bel immeuble avec cariatides où a vécu le général Charles Guillemaut (1809-1886) inhumé au cimetière de Montmartre.
Il faisait partie de cette gauche républicaine et laïque qui nous manque aujourd'hui. Il a pour titre d'honneur de s'être illustré dans la bataille du plateau d'Avron en 1870. Il était vigilant quant au respect de la laïcité et s'est opposé à la création d'aumôniers militaires.
Le bel immeuble post-haussmannien est dû à l'architecte Charles Forest dont j'ignore malgré quelques recherches quelles ont été ses autres réalisations. Qu'importe! son nom restera gravé sur la pierre sur l'un des plus beaux immeubles du IXème arrondissement!
16 rue de Penthièvre (Forest)
(Je rajoute après publication de l'article, grâce aux informations que m'a données Maxime B. que l'on doit plusieurs immeubles parisiens à cet architecte, boulevard Saint-Germain, rue de Florence, rue de Penthièvre. Aucun cependant n'a l'allure ni le développement de celui de la rue Blanche.)
Là où s'élève le 3 vivait Camille Paganel (1795-1859). Encore un homme politique mais du bord opposé. Un conservateur bon teint bien que fils du conventionnel Pierre Paganel qui, prêtre avant la Révolution, fut élu à l'Assemblée où il attaqua les prêtres réfractaires et vota la mort du roi, ce qui lui valu d'être exilé pour régicide en 1816.
Pierre Paganel
Camille eut une vie moins tumultueuse; il fut député du Lot et Garonne puis Secrétaire d'Etat au Ministère de l'Agriculture et Directeur des Haras bien que ne connaissant rien à la gent chevaline.
Le 5 qui fait partie du même groupe d'immeubles est une adresse intéressante à plusieurs titres. Elle est celle depuis 35 ans de la fondation Danielle Mitterrand qui se présente comme radicale et utopiste.
Ses engagements politiques et écologiques sont nombreux. Il suffit de mentionner la défense constante du peuple kurde ou celle du peuple tibétain pour tirer son chapeau!
Il y eut avant la construction de l'immeuble un hôtel où vécut Martin Gaudin duc de Gaëte (1756-1841) qui fut ministres des finances sous le consulat et l'Empire.
Il fit preuve de rigueur et d'honnêteté, ayant acquis sa réputation d'homme intègre pendant la période révolutionnaire. En effet il accepta d'être nommé en 1795 au poste périlleux de responsable des recettes (pour ne pas dire des impôts), ce qui lui valut de nombreuses dénonciations. Il n'en sauva pas moins sa tête comme il parvint à sauver celle des 48 receveurs généraux que Robespierre voulait envoyer à la guillotine!
Toujours au 5 a vécu Emile Paul Salmson (1893-1966) qui a été un des plus grands constructeur aéronautique et automobile français.
Le 6 abrita les premiers locaux de la librairie Simon et Lucien Kra qui créèrent les Editions du Sagittaire bien connue pour avoir publié quelques livres essentiels.
De 1921 à 1923 elles furent dirigées par André Malraux avant de devenir la maison d'édition des surréalistes avec Breton comme auteur attitré!
Au 8 a vécu (et est mort) un des auteurs dramatiques les plus joués dans la deuxième moitié du XIXème siècle.
Il s'agit de Léon Laya dont la pièce "le Duc Job", jouée au Théâtre Français fut un des plus grands succès de son temps. On le retrouva pendu au bout de sa cravate à son domicile de la rue Blanche. Il laissait deux lettres, l'une au directeur du Gymnase où devait être donnée sa dernière pièce (elle contenait tout le 4ème acte qui manquait encore) et l'autre à son actrice principale. Il est inhumé au cimetière de Montmartre.
Au 10 a vécu Léon Faucher, homme politique qui fut sous Louis Napoléon Bonaparte Ministre de l'Intérieur et donc Président du Gouvernement en 1851, année où refusant de cautionner le coup d'Etat, il quitta définitivement la vie politique.
Léon Faucher (Daumier)
Ce qui lui, permit de se consacrer à ses études sur l'économie et d'aller en Italie pour suivre une cure qui ne lui porta pas chance, puisqu'au retour il mourut de la fièvre typhoïde à Marseille.
Nous trouvons au 15 un théâtre qui a son histoire puisqu'il y eut à l'origine, là où il est établi, un pavillon de fêtes créé par le duc de Richelieu en 1730. Nous étions alors dans la campagne aux portes de Paris. Ce pavillon isolé sous les arbres fut, dit-on fréquenté par Louis XV et la Pompadour.
Au XIXème siècle il connut plusieurs avatars, passant d'un parc d'attractions à une église puis à une patinoire pour les amateurs de patin à roulettes devenus très tendance
C'est en 1891 que renaît le Théâtre qui sur l'impulsion de Lugné Poe fait connaître Ibsen et les auteurs nordiques.
Réjane, quelques années plus tard, alors qu'elle est au sommet de sa gloire, en devient propriétaire et le baptise "Théâtre Réjane". "Madame sans-Gêne" y est donné à guichets fermés!
En 1918 le théâtre est racheté par Léon Volterra qui lui donne le nom, très original, de "Théâtre de Paris".
En 1929 Pagnol y crée sa fameuse trilogie. Une deuxième salle sera ouverte plus tard, en 1958, sur l'initiative d'Elvire Popesco, le "Petit Théâtre de Paris". Différents directeurs se succèdent dont Robert Hossein et des acteurs célèbres s'y produisent comme Delon, Romy Schneider, Belmondo, Depardieu, Giraudeau.
Au début du XXIème siècle le théâtre connaît un nouvel essor avec la direction de Stéphane Hillel. Aujourd'hui il reste un des théâtres parisiens très fréquentés même s'il a un peu oublié qu'il fut un théâtre d'avant-garde.
Le 17, classé, est l'hôtel le Marois, construit en 1829 par l'architecte Antoine Joseph Pellechet pour le général comte Le Marois, ancien garde de camp de Napoléon. L'immeuble de pierres de style palladien était jadis orné d'une statue au centre de la cour.
Le 21 est le plus bel immeuble de la rue, chef d'œuvre Art Nouveau : l'hôtel de Choudens construit par l'architecte Charles Girault en 1901 pour l'éditeur de musique Paul de Choudens.
Charles Girault est sans conteste un des grands architectes fin de siècle, marqué à la fois par le baroque italien et les audaces de l'Art Nouveau.
On lui doit un des monuments les plus élégants et les plus originaux de Paris : le Petit Palais édifié pour l'expo de 1900. Léopold II fut tellement séduit par le monument qu'il demanda sa réplique exacte à Bruxelles. Girault refusa de dupliquer son oeuvre mais il reçut de nombreuses commandes en Belgique.
A Paris, il coordonna également les travaux du Grand Palais et il réalisa à la demande de la famille le très beau tombeau de Pasteur dans l'Institut qui porte son nom.
Paul de Choudens pour qui l'hôtel a été construit est moins célèbre que son architecte. Il fut musicien et éditeur de musique. L'hôtel fut construit grâce aux revenus considérables que lui assura la publication du Faust de Gounod et du Carmen de Bizet.
L'hôtel connut quelques vicissitudes. Il abrita la fameuse école de théâtre connue sous le nom d'école de la rue Blanche qui prit possession du bâtiment abandonné. Elle y restera jusqu'à don déménagement pour Lyon en 1997. L'hôtel alors n'est pas en bon état et plusieurs années de vacance et d'occupation sauvage le dégradent.
En 2003 il est vendu par la Ville à une société immobilière qui le restaure. Il abrite aujourd'hui des salles de sport qui ont essayé tant bien que mal de respecter l'originalité et la valeur d'un décor unique.
Le 25 est une église. Il s'agit de l'église du Christ, église évangélique allemande qui de 1933 à 1945 fut ressentie comme ennemie par les riverains. Elle l'était puisque financée par la tendance protestante la plus proche du régime nazi et tint le rôle de paroisse militaire. On pense à Dylan : "Though they murdered six million in the oven they fried, the Germans too have God on their side".
Elle a été construite en 1894 par l'architecte Edouard-Jean Niermans (1859-1928) qui fut un représentant brillant de l'Art Nouveau et de l'Art Déco.
Pas loin de là, rue Saint-Lazare, on peut admirer la brasserie Mollard qui est son oeuvre, comme le sont à des degrés divers les Folies Bergère, le Casino de Paris ou le Moulin Rouge (dessiné par Willette, le fameux bal est transformé en théâtre concert en 1903 par Niermans).
On lui doit également l'hôtel le plus célèbre de Nice, le Négresco.
Nous nous arrêtons un moment avant de reprendre la prochaine fois la montée vers le Moulin Rouge, sûrs de faire d'autres découvertes surprenantes dans cette rue Blanche qui nous en fait voir de toutes les couleurs!