Ce n'est pas un hasard si la tombe d'Alphonse Baudin rappelle celle, dans le même cimetière, de Cavaignac. Les deux hommes, le journaliste et le député, ont été à quelques années de distance des icônes républicaines.
Baudin serait sans doute resté méconnu s'il n'était mort sur une barricade du Faubourg Saint-Antoine, le 3 décembre 1851, alors qu'il cherchait, avec Schoelcher, à soulever le peuple parisien contre le coup d'état de la veille, perpétré par Louis Napoléon Bonaparte.
Il est représentant du peuple, élu de l'Ain à l'Assemblée Nationale. Il est "démocrate socialiste" et très attaché à la liberté. De son métier il est médecin ("du peuple" comme il aime dire) et de conviction, il est franc-maçon.
Le récit de sa mort a servi sa gloire. Victor Hugo, accouru sur la barricade peu après le coup de feu fatal, la relatera pendant son exil à Bruxelles, dans "l'Histoire d'un crime" dans laquelle Baudin est assimilé à un Christ de la Liberté. Pour que la ressemblance soit plus évidente, il le fait mourir, comme le crucifié, à 33 ans, alors qu'il en avait en réalité 40!
Un témoin plus modeste relate cette mort en ces termes : ... Baudin fait signe aux soldats qu'il voulait leur parler. "Camarades, la Constitution est violée. Louis Napoléon est mis par le fait hors-la-loi. nous sommes les représentants du Peuple, vous ne tirerez pas sur nous, vous ne tirerez pas sur vos frères."
Le commandant Pujol somme les insurgés de se rendre, quand un coup de feu, parti de la barricade, vient frapper à mort le fusilier Suran. Le chef de bataillon commande le feu et Baudin atteint d'une balle au front, tombe mort...
Millet a représenté l'impact de la balle sur le côté du front.
Les années qui ont suivi ont fait l'objet d'une lutte entre le pouvoir et les Républicains, soucieux de lui élever un monument. Il leur faudra attendre la chute de l'Empire car ce n'est qu'en 1872 que la sculpture sera inaugurée.
C'est Aimé Millet, sculpteur de renom, directeur des Arts Décoratifs qui en est l'auteur. Il s'inspire du gisant de Rude pour Cavaignac, mais il le hausse sur un socle de 1,50 mètre sur lequel est gravée l'inscription : "A Alphonse Baudin, représentant du peuple, mort en défendant le droit et la loi, le 3 décembre 1851". Le corps moins rigide que celui de Cavaignac, semble suivre l'ondulation du lit de pierre. Il vient d'être saisi par la mort. Il est tombé sur la barricade, la tête trouée au front, renversée vers le ciel. Sa main désigne la loi qui vient d'être violée.
On imagine mal aujourd'hui quelle fut la vénération qui entoura cet homme, panthéonisé en 1889 en même temps que Lazare Carnot et Marceau.
Pas très loin du cimetière une autre statue d'Aimé Millet tend sa harpe d'or dans le ciel de Paris... Elle couronne l'Opéra fastueux voulu par Louis Napoléon, tandis que le gisant de Baudin se couvre de feuilles mortes et de fientes dans un recoin du cimetière Montmartre.
Liens :
Cimetière Montmartre. Classement alphabétique.
Calvaire et Saint-Vincent.