Personne n'a chanté pour eux le kaddish. Personne ne les a couchés dans la terre. Ils sont morts, après un voyage d'épouvante et de souffrance, assassinés dans les camps...
Leur corps de cendres a rejoint les nuages, loin, si loin de chez eux, loin de leur ville, loin de Montmartre où certains étaient nés...
Ceux qui ne les ont pas oubliés ont gravé leur nom sur la pierre.
J'ai marché dans les allées étroites et je les ai rencontrés. j'ai rencontré quelques uns de ces noms d'enfants, de femmes, d'hommes, arrêtés, convoyés, assassinés.
Yankel, Mala, et Haïa Krys, Chaïa, Mivka et Etel Szewer...
"Déportés et tués par les nazis, uniquement parce que vous étiez Juifs".
Berick Goltzmann.
Sa femme lui a survécu 40 ans.
Comment peut-on survivre ?
Quel courage, quelle volonté, quel amour aussi. Qui aurait pu garder mieux qu'elle, sa mémoire, ce dernier rempart de sable...
Je me rappelle le témoignage de Sam Braun, un homme remarquable qui va de collège en lycée, à Paris comme en banlieue et en province, donner aux jeunes en même temps qu'un témoignage terrible, une extraordinaire leçon de vie. Après avoir voulu mourir de n'être pas mort avec ses parents et sa soeur à Auschwitz, il a décidé de devenir médecin. Il a compris que s'il se laissait aller à la désespérance, l'oeuvre de mort des nazis parvenait à ses fins...
Mr et Mme Georges Baër. Leur nom est écrit sur un livre corné à la page Auschwitz.
Un livre dont les pages suivantes sont restées blanches. Blanches de tous les possibles...
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Quelques mois après avoir écrit cet article, j'ai reçu un courrier et une photo qui m'ont beaucoup touché et qui redonnent vie à ce couple assassiné :
"Je suis "tombée" par hasard sur la photo que vous avez publiée sur votre blog de la plaque apposée à la mémoire de Mr et Mme Georges Baër au cimetière juif de Montmartre. Les Baër étaient mes parrains. Je n'ai conservé que très peu de souvenirs d'eux : j'avais trois ans lorsque je les ai vus pour la dernière fois. J'ai su par le Mémorial de Serge Klarsfeld que Mr Baër se prénommait Georges Nathanaël; Mme Baër portait les prénoms de Marguerite Babette. Pour moi ils étaient "Prapra" et "Mamie". Prapra était avocat.
Ils ont été déportés par l'avant-dernier convoi parti de France. Ils étaient déjà âgés : 66 et 64 ans respectivement. Mamie était diabétique et boitait à cause d'une luxation congénitale de la hanche. Ils ont été évidemment gazés immédiatement après leur arrivée à Birkenau, à moins que Mamie ne soit morte dans le wagon à bestiaux qui les emportait vers l'horreur suprême.
C'est une ou un concierge d'un immeuble voisin du leur qui les avait dénoncés, ayant remarqué que Mamie promenait son chien tous les matins. Comment cet individu savait-il que les Baër étaient juifs? Quelle somme dérisoire a-t-il reçu des Allemands ou du gouvernement français pour cet acte infâme?
Les Baër n'avaient pas d'enfants. Lui avait, je crois, des neveux ou des cousins qui ont fait apposer cette plaque.
Mon père, lui, a eu l'immense chance de revenir d'Auschwitz. Il avait été déporté par le tout premier convoi parti de France le 27 mars 1942. Il a survécu, j'en suis certaine, parce qu'il était médecin. Il ne parlait jamais de sa déportation."
Mamie est à gauche sur la photo avec le petit chien qui bien malgré lui attira l'attention d'un voisin malveillant (et criminel)... Prapra lit son journal. Nous sommes en 1939.
La femme qui m'a contacté est la petite fille, visage tourné vers le sourire de sa mère.
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Sur le marbre qui reflète le ciel, une famille : Jacques et Jacqueline Birman, leurs filles Anne, Catherine et Marie, Julien Levi qui est peut-être le mari de l'une des filles.
"Disparus" en déportation.
Comme on dit "disparus"en mer quand la tempête ne rend pas les corps.
Non pas gazés, non pas brûlés..."disparus".
Tant de noms sur cette tombe! Tant de destins !
Henry Klotz, "croix de guerre 1914-1918, arrêté par les nazis et leurs complices en juillet 44, mort en août 44."
"Leurs complices".
Pour ne pas dire : par la police française... comme si la trahison du pays aimé pour lequel on s'était battu, ne pouvait être dite...
Le nom qui suit est celui de son fils : François, "Mort au champ d'honneur, parachuté lors du débarquement"
Et vient ensuite la longue liste de ceux, filles et fils, cousins et neveux qui ont été déportés : Lucienne, Denise, Georges, Maurice, Claudine, Fernand, Louis.... "Tous déportés le 31 juillet 1944, par le convoi 77, assassinés dans les chambres à gaz d'Auschwitz Birkenau".
Une autre famille : Maurice, Emmeline et leurs filles Edith et Marianne...
Sur cette plaque, les noms de ceux qui ont été "anéantis" ne sont pas écrits...
"En souvenir"... un mot banal comme on en écrit sur les cartes postales. Souvenir du néant.
Maurice Schrameck... "Mort pour la France à Auschwitz".
Zelman Boruch Brajer. Lui, il est revenu...
Sur la pierre ne sont pas gravés ses titres, ses médailles mais ces seuls mots : "Ancien déporté d'Auschwitz Birkenau".
De nombreuses tombes sont abandonnées et menacées de destruction.
Le temps a une croix gammée à la place du coeur.
"Ainsi parle l'Eternel. On entend des cris à Rama. Des lamentations, des larmes amères : Rachel pleure ses enfants; elle refuse d'être consolée, car ils ne sont plus".