Un jour du mois d'août, j'ai rencontré à Loches une femme dont le nom me faisait rêver depuis longtemps : Agnès Sorel, dame de Beauté.
Depuis que je suis enfant, je suis attiré par cette femme dont le sein, rond et blanc jaillit du corsage. Je la savais maîtresse du roi malingre Charles VII.
Je savais que sa beauté était célébrée dans le royaume.
Je savais aussi que sa mort avait été suspecte.
Une telle femme, si belle, si influente, ne pouvait que déchaîner les haines et les rancoeurs
Je suis donc allé à Loches et j'ai eu un sacré coup de coeur pour cette ville. La lumière, les pierres, la présence vivante du passé... Quel enchantement!
Et quelle surprise de voir si peu de visiteurs alors que certains châteaux voisins reçoivent une foule excessive!
Du donjon roman au château Renaissance en passant par la collégiale Saint-Ours, je me suis promené dans les rues paisibles où mes pas résonnaient...
Dans la collégiale, si particulière avec ses pyramides octogonales en guise de coupoles, je l'ai vue... elle... Agnès Sorel.
Enfin, j'ai vu le tombeau d'albâtre que le roi a fait sculpter pour elle.
On me pardonnera la comparaison, mais la blancheur, la douceur, l'élégance, la poésie du monument m'ont fait penser, toutes proportions gardées, à un autre tombeau : le Taj
Mahal!
L'un et l'autre édifiés par un monarque amoureux...
L'un et l'autre de pierre blanche...
L'un et l'autre nous entraînant de l'autre côté du miroir...
Le tombeau surgit de la nuit dans le bas-côté de l'église.
Le corps d'albâtre repose sur un socle de marbre noir.
Sur le marbre ces mots sont gravés :
"Cy gist noble damoiselle Agnès Seurelle en son vivant dame de Beaulté, de Roqueserrière, d'Issouldun et de Vernon sur Seine, piteuse envers toutes les gens et qui
largement donnoit de ses biens aux églyses et aux pauvres. Laquelle trespassa le IXe jour de février de l'an de grâce MCCCCXLIX. Priees Dieu pour lame delle. Amen."
Aux pieds d'Agnès deux petits boucs rappellent son prénom. Ils se font des caresses tendres. Ils donnent leur chaleur à celle qui les recouvre en partie des plis de sa robe.
Deux anges veillent sur le sommeil de la dame de Beauté.
Car elle n'est pas morte.
Elle dort.
Elle est la belle au tombeau dormant.
Elle sait peut-être quelle main a préparé les remèdes censés la guérir de son mal.
Elle sait peut-être pourquoi tant de mercure a été retrouvé dans son corps. Une maîtresse jalouse? Un fils, futur Louis XI, incapable d'accepter l'amour que son père n'aurait
dû accorder qu'à son épouse légitime?
Tout cela est si loin...
Le milieu du XVème!
Tout cela est si proche...
A la révolution, les insurgés ont cru, en entrant dans la collégiale que le tombeau était celui d'une sainte. Ils s'acharnèrent sur lui, l'ouvrirent. Ils descellèrent le
triple cercueil de chêne et de plomb. Ils ne trouvèrent pas le coeur qui avait été conservé dans l'abbaye de Jumièges. Agnès, enceinte d'un quatrième enfant avait rejoint son amant près de Rouen.
Elle fut prise "d'un flux de sang" et mourut quelques jours avant l'enfant qu'elle avait mis au monde.
Le roi voulut qu'elle ait un monument digne d'elle et de leur amour. Il fit sans doute appel au meilleur sculpteur de son temps.
L'artiste ne signa pas son oeuvre. Etait-il Michel Colombe ou Jacques Morel. S'inspira-t-il des dessins de Jean Fouquet qui sut mieux que quiconque saisir la grâce et
l'élégance de cette "reine".
Elle est représentée avec la couronne de duchesse que lui donna le roi et qu'elle refusa.
Son surcot est bordé d'hermine.
Son visage est jeune et serein pour l'éternité.
Et comment la quitter sans la voir dans sa gloire, peinte par Fouquet en Vierge céleste?
Et comment ne pas tendre la main vers ce sein d'albâtre si généreusement offert?
...
lien : Eglise de Saint-Trojan. Oléron.