Quand on entre dans le bâtiment, tout est paisible et clair. Le plafond est un ciel bleu avec quelques nuages, les fenêtres donnent sur un jardin de fleurs. Dans les chambres, des femmes, des hommes, des enfants attendent. Ils ont un sursis de trois semaines en moyenne avant de devenir cadavres.
Je l'ai rencontrée il y a plus de dix ans. Elle était assise dans un escalier de la station de métro Strasbourg-Saint-Denis. On voyait d'abord son chat. Un imposant chat blanc, bien droit, posé devant une petite corbeille dans laquelle les gens pressés laissaient parfois tomber une pièce de monnaie. J'ai vu le chat et j'ai croisé le regard d'Elisabeth. Alors a commencé une amitié que la mort seule interrompra.
Comme je milite (enfin, c'est un grand mot) disons que je fais partie d'une association qui essaye d'apporter un peu d'aide à ceux qui le désirent, je lui ai parlé, j'ai parlé à son chat, Toto. Nous avons réussi à lui redonner une identité perdue car elle n'avait plus un seul papier et vivotait grâce à la mendicité dans des hôtels sordides, propriétés de tenanciers aussi sordides. Nous avons réussi à lui trouver un petit appartement rue oberkampf. Mais ce que nous avons fait n'est rien par rapport à ce qu'elle nous a donné. Son goût de vivre, sa gentillesse, son regard toujours généreux porté sur les autres. Une sacrée leçon de vie! quand elle touchait ses aides sociales, il fallait veiller à ce qu'elle ne les distribue pas le premier jour à "plus pauvre qu'elle".
Elle avait un compagnon de galère venu du Cameroun. Un soir d'ivresse, il s'est battu sur le quai de la station et il est tombé au moment où arrivait la rame. Il est mort sur le coup. Elle avait des parents qu'elle aimait plus qu'elle. Un soir, alors qu'elle vivait encore chez eux, on est venu la prévenir qu'ils avaient eu un accident et qu'ils avaient brûlé dans leur voiture.
Tous ces malheurs... Elisabeth ne se plaignait jamais. Elle parlait aux animaux, elle nourrissait les oiseaux, elle distribuait son argent aux mendiants du Richard-lenoir. Peut-être pour évacuer ses angoisses fumait-elle sans mesure. Le cancer s'est accroché à ses poumons. elle ne peut plus manger. Elle est en soins palliatifs.
Je l'ai vue aujourd'hui. Elle ne pèse presque plus rien. Une enfant, une plume, un chat. Les anges n'auront pas à se fatiguer pour la transporter et pour la poser doucement près de ses parents retrouvés, de son compagnon relevé et des animaux sans malice qui lui ressemblent.
Lien : Poème pour un enfant malade.
Lien : Poème pour Elisabeth (cancer)
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