Ma mère, mon exaspérante mère, je t'aime. avec difficulté, avec emportement, sans patience...mais
je t'aime.
Minouche est là, toujours près de toi. C'est la petite rescapée d'Oléron, la chatte crottée et meurtrie qui s'était réfugiée dans votre jardin et qui aujourd'hui te tient compagnie le jour et la nuit. Tu ne peux vivre sans un petit compagnon. Je te soupçonne d'avoir eu tant d'enfants parce que tu aimais les petits êtres soumis et sans défense. Beaucoup moins intéressants quand ils grandissent et affirment leur personnalité indocile.
Parmi les photos qui t'entourent figurent celles de Black le brave chien d'ivrogne que Jean-Loup un jour amena chez toi pour le sauver de sa vie enfumée. Il t'a plu tout de suite même si, la première fois tu nous confias que tu l'aurais préféré blanc afin qu'il ne salisse pas tes rideaux! Il y a Bassoum, la libanaise rescapée de Tripoli. Une crème de chienne qui méritait son nom. Ses babines se relevaient et laissaient voir ses dents sur un large sourire dès qu'elle te voyait! Et Bassoum en arabe signifie "souriant". Etant femelle, elle aurait dû s'appeler "Bassima" mais j'ai préféré ce nom qui était celui de mon directeur à l'Université Libanaise et qui se lavait sept fois quand un chien l'effleurait. Le petit chat gris et blanc, c'est Flash, le chat de Marianne à qui tu ne pus jamais le céder quand elle quitta la maison. Quand il a fallu le piquer, tu t'es absentée et nous nous sommes mis à trois pour le saisir et l'euthanasier. Un sale souvenir.
Que Minouche t'accompagne maman et qu'elle donne toujours sa chaleur à tes pauvres jambes qui meurent. Tu nous a donné à Bruno et à moi cet amour des bêtes qui a transformé notre vie. Je n'ai jamais oublié comment tu racontais le jour de ton mariage, en février, sous l'occupation allemande. Ta petite chienne Iris qui t'adorait et ne te quittait pas d'un poil, comprenant que tu aimais ailleurs s'enfuit de ta maison. On retrouva son corps disloqué sous les roues d'un camion allemand. Et tu pleuras toute la journée de ton mariage... Certains pensèrent que c'était l'émotion provoquée par le sacrement!
Je t'ai demandé à quoi tu tenais le plus dans ton appartement. Tu m'as montré le portrait de Jean-Loup, notre aîné, le plus beau, le plus doué d'entre nous et qui bientôt sera le plus jeune. Comme il est triste ce portrait et comme elle me glace cette écharpe autour du cou!
Tu m'as montré ton père. tu m'as dit que depuis que tu avais récupéré ce portrait chez tes neveux qui portent son nom mais qui n'y attachent aucune valeur affective, tu lui parlais chaque jour et que tu éprouvais du réconfort. Tu m'as dit qu'il te répondait.
Et puis tu as pris ta photo préférée, celle de tes petits enfants, tes soleils, tes sourires. Tu n'as jamais dit que de belles choses sur eux. Chacun t'est précieux et vital. Il manque sur la photo trois d'entre eux, mais ils sont bien présents
dans ton coeur.
Tu m'as montré aussi une icône que je t'avais offerte. Je l'avais achetée en Bulgarie où j'étais en poste. Je venais d'avoir 40 ans et tu m'avais téléphoné : Es-tu heureux de vivre? - Oui maman je suis heureux! -Alors c'est à moi que tu le dois, c'est toi qui dois me faire un cadeau!
Et je t'ai rapporté cette icône. Elle dit que la vie est plus forte que la mort, que l'amour est plus fort que la mort. Ce n'est pas facile à croire mais pour toi je veux y croire...