Dans la quartier de l'Europe, la rue de Liège a oublié qu'elle s'appelait à sa création rue de Berlin!
Jardins de Tivoli
Elle a été ouverte en 1826 à l'emplacement des jardins de Tivoli, tout d'abord jusqu'à la rue d'Amsterdam qu'elle atteint en 1840 avant d'être prolongée jusqu'à la rue de Clichy par l'élargissement du passage Grammont. Telle qu'elle est aujourd'hui, elle va donc de la rue de Clichy à la place de l'Europe- Simone Veil sur 400 mètres.
En 1914, Berlin n'étant pas vraiment dans le cœur des Français, la rue est débaptisée et prend le nom d'une ville amie, Liège, où la résistance à l'envahisseur allemand en août a été héroïque. Sur cette photo nous pouvons voir l'ancien nom à moitié caché par un volet et le nouveau inscrit sur un carton.
La rue commence dans le IXème arrondissement, son premier numéro est un bel immeuble construit en 1900 qui fait partie de l'ensemble qui a pour adresse le 37 rue de Clichy. Bel immeuble typique de l'art bourgeois du début du XXème siècle rétif aux audaces de l'art nouveau.
Le 37 rue de Clichy
Le 2 en voie de ravalement abrite toujours un café dont il nous reste des photos du début du XXème siècle :
Le 3 est un des rares immeubles de la rue à être classé au titre de la protection patrimoniale.
Original avec ses grandes arcades qui entourent les deux premiers étages, avec la saillie de la corniche et sa frise décorée de briques émaillées, il date de 1926 et a été construit par l'architecte Paul Marozeau.
Cet architecte qui vécut de 1879 à 1942 a réalisé plusieurs immeubles à Paris.
L'un d'eux, quai de la Rapée, était une extension du "château urbain" édifié par Paul Friezé en 1899 et détruit sans vergogne pour être remplacé par les immeubles plats et sans imagination qui jouxtent la gare de Lyon.
Le 3 a été l'adresse d'un célèbre cabaret : le "Shéhérazade" qui est un lieu historique et devrait porter une plaque commémorative comme Paris les affectionne. Il a été créé en 1928 et a accueilli la chanteuse, compositrice et guitariste russe Anna Marly (Anna Yurievna, 1917-2006).
Cette Anna Marly devrait être célébrissime car c'est elle qui composa la musique et les paroles russes dont s'inspirèrent Kessel et Druon, du Chant des partisans!
Elle est également l'autrice d'une chanson qui fut popularisée par Léonard cohen et Joan Baez, "The partisan".
L'ironie de l'histoire fait que ce cabaret (sans Anna Marly qui avait fui le Paris de l'occupation) fut très apprécié des officiers nazis et vanté par les guides touristiques allemands!
Le 4 s'est appelé à sa création "Grand hôtel de Liège" avant de se mettre à la mode en se baptisant "New hôtel".
Un nom qui après quelques années cesse d'être pertinent! Il est difficile d'être "new" très longtemps!
Le 5 est un bel hôtel particulier construit en 1851 et remanié à plusieurs reprises.
Le 6 est un immeuble construit dans la première moitié du XIXème. Rien à dire sinon qu'il abrite le cabinet de mon gastéropode (gastro entérologue)!
Le 7 a grande allure, sorte de petit château urbain... il fut propriété du célèbre collectionneur d'art John Bowes qui y entreposa de nombreuses acquisitions. Pour les abriter il fit construire en Angleterre un château à la française connu de nos jours sous le nom de Bowes Museum.
Il fit l'acquisition du Théâtre des Variétés où il rencontra sa future épouse, une actrice lyrique, Joséphine Coffin-Chevalier qui, admiratrice de Victor Hugo se faisait appeler Mademoiselle Delorme.
Ne vous fiez pas aux sites qui continuent de faire du 9 rue de Liège le siège de la Fédération Française de rugby. Ils n'ont pas mis leur montre à l'heure depuis 2010, année où la Fédération déménagea à Marcoussis où elle a toujours ses bureaux! L'immeuble est devenu un hôtel 4 étoiles, l'Opéra Liège.
Viennent ensuite quelques beaux immeubles de la première moitié ou de la fin du XIXème siècle...
Le 13 porte le nom de son architecte, Antonin Flandre et sa date de construction,1892.
Quelques immeubles encore se succèdent sans rien avoir à nous raconter jusqu'à la rue d'Amsterdam..
Seul le 18 porte le nom de son architecte : Mortier 1846, ce qui est assez rare pour les immeubles de style Restauration ou Louis-Philippe (ce qui est le cas du 18). Je n'ai trouvé à l'actif de cet architecte que la réalisation du clocher de l'église Saint-Martin à, Savenay!
(Grâce à un ami lecteur de ce blog, je peux compléter les informations sur Athanase Mortier. certains croquis de ses réalisations sont conservés, comme celui du 11 rue de Milan, toujours debout, dans le quartier de l'Europe :
Il fut chargé de la constructions de bâtiments à l'emplacement de ceux qui avaient été incendiés sous la Commune. Cette activité lui valut d'être honoré du titre de Chevalier de la Légion d'Honneur, d'autant plus que l'hôtel de Salm, siège de la chancellerie, incendié en 1871, fut restauré par ses soins. Il conserva les élégantes façades restées debout et repensa l'aménagement intérieur.)
Nous quittons maintenant le IXème arrondissement avec les deux immeubles à pan coupé qui donnent sur le carrefour avec la rue d'Amsterdam.
En réalité la frontière n'est pas si nette entre la Nouvelle Athènes et le quartier de l'Europe.
Nous sommes au métro Liège (ancien Berlin). La station a été construite par la Société du Nord-Sud et ouverte en février 1911. Fermée en 1938, elle a été pendant presque trente ans une de ces "stations-fantômes" parisiennes où les rames ne faisaient que passer sans s'arrêter. Elle ne sera rouverte qu'en 1968.
Elle a la particularité d'avoir deux quais qui ne se font pas face. On peut parler de deux demi-stations. Cette bizzarerie est due à l'étroitesse de la rue d'Amsterdam sous laquelle le tunnel a été creusé.
Des céramiques évoquent les paysages et les monuments de la province de Liège. Direction nord elles sont l'oeuvre de Daniel Hicter et sont polychromes.
Direction sud elles ont été créées par Marie claire van Vuchelen et sont en bichromie bleue.
Le 24 est un bel hôtel néo Renaissance élevé en 1877 par l'architecte Albert Duclos. Portes géminées en anse de panier, rinceaux et médaillons lui confèrent un charme qui lui valent d'être classé.
Albert Duclos qui aimait l'orient est resté célèbre grâce à l'Eden théâtre avec ses clochetons en pagode en grande partie détruit mais dont l'un des foyers est devenu la Comédie Parisienne, aujourd'hui théâtre de l'Athénée.
Il subsiste en revanche son hammam de la rue des Mathurins, un des immeubles les plus dépaysants de la capitale!
Le 26 de 1885, est l'oeuvre de Charles Taisne (1850-1900), architecte post-haussmannien dont on connaît à Paris quelques réalisations comme le 7 rue d'Odessa.. Il s'agit de l'hôtel de Madame Mareuse
L'hôtel aurait été été habité dans la première moitié du XXème siècle par cette femme haute en couleurs, ardente féministe qui s'est illustrée en participant à des courses automobiles, notamment aux 24 heures du Mans. En 1930, c'est la première fois que des femmes y étaient admises! Marguerite Mareuse et Odette Siko sa co-équipière étaient arrivées à la 7ème place sur leur Bugatti!
Le 27 a perdu le souvenir de sa vie antérieure lorsqu'il abritait bureaux et ateliers de matériel chirurgical.
Le 25 (petit hôtel Restauration) et le 27
La photo permet de deviner au 25 un bel hôtel de style restauration aujourd'hui remplacé par une de ces verrues sans style qui se soucient comme d'une guigne de l'harmonie urbaine!
Le 25 qui a obtenu, on n'essaie pas de savoir comment, une dérogation pour dépasser de plusieurs étages la hauteur imposée.
Le 28 ne porte pas de plaque et pourtant il n'est pas banal! Il est en effet construit par un architecte dont on ne dira jamais assez le génie : Viollet le Duc. Si on connaît son travail immense (travail à la fois d'érudit et de poète) pour la restauration de monuments menacés ou en ruines, on connaît moins ses immeubles civils.
68 rue Condorcet. On remarquera le hibou grand duc, totem choisi par l'architecte, en console sous le balcon du 4ème.
... Et pourtant! Notre quartier nous offre quelques unes de ses réalisations où se manifestent à la fois sa culture influencée par le gothique et son sens de la simplicité, du pratique et du rationnel. Citons le 68 rue Condorcet (sa demeure)...
le 15 rue de Douai, Le 23 rue Chauchat, le 42 rue Lafayette.
Le 28 a été construit pour Henri Courmont (1813-1891), secrétaire de la commission des Monuments Historiques, son ami qui était aussi photographe.
Un de ses clichés montre le château de Pierrefonds avant sa restauration par Viollet-le-duc.
Au 31 un académicien à la plume prolifique est venu habiter en 1935 jusqu'à la fin de sa vie.
Il s'agit de Georges Duhamel qui rédigea une bonne partie de sa "Chronique des Pasquier" rue de Liège!
Le 41 a été édifié en 1880 par Eugène Bardon (1843-1901), architecte qui édifia de nombreuses villas à Chatou et qui fut en vogue grâce à son pavillon de l'expo de 1878 très apprécié des visiteurs.
Les derniers numéros de la rue sont d'opulents immeubles post haussmanniens très représentatifs de l'architecture du quartier de l'Europe.
Des deux côtés de la rue, ils font penser avec leur jardin qui épousent la forme arrondie de la place Simone Veil aux immeubles construits par Hittorf pour la place de l'Etoile.
Nous voilà maintenant sur la place, au-dessus des voies de la gare St-Lazare... autre quartier, autres histoires.
Mais si vous vous asseyez à la terrasse d'un café de la rue de Vienne qui est dans le prolongement de la rue de Liège, vous vous étonnerez peut-être que cette dernière ait gardé son nom alors que la même année où l'on débaptisait la rue de Berlin, on décidait que les cafés viennois seraient pour toujours appelés cafés liégeois!