Fernand Pelez (1848-1913) est contemporain de Toulouse Lautrec et de Degas. Comme eux il s'est intéressé aux artistes mais plus qu'eux son regard a été marqué par la fraternité et la compassion. Pas étonnant qu'il ait eu peu de succès, ses toiles ne montrent pas les lumières des théâtres, ni les belles passantes des rues. Elles disent la misère et le rude labeur de survivre.
Celui qui dans le Montmartre du XXème siècle lui ressemblera le plus, non par le style, non par la palette mais par la générosité du regard, c'est Poulbot, le peintre des gosses.
Parce que les gosses, il les connait Fernand Pelez. Il voit sur le boulevard de Clichy où il a son atelier les mendiants qui espèrent attendrir les noctambules et les amateurs de jolies danseuses.
... Et quand il peint le petit vendeur de violettes, épuisé, affamé, presque mort, il appelle sa toile : le martyr. Quand il y a martyr, il y a bourreau. On ne peut s'empêcher de le rechercher ce bourreau, devant ces victimes dont la tristesse détruit la joie et la vitalité.
Le petit marchand de citrons
Certes Fernand Pelez a dû regarder Murillo et ses mendiants exposés au Louvre, mais le choix qu'il a fait après des études académiques avec pour maître un grand peintre, Cabanel, c'est un engagement, un renoncement au succès, à la fortune, alors que ses toiles avaient été remarquées et honorées au salon.
Il y a au Petit Palais une toile exceptionnelle qu'il faut voir à tout prix pour mesurer le génie de Fernand Pelez "Grimaces et misère" de 1888.
Et quelle toile!
Sept mètres de largeur! (2 mètres 61 de hauteur). Présentée au salon de 1888, elle fit sensation. Elle resta dans l'atelier du peintre jusqu'à sa mort. Elle entra alors au musée où elle continue d'impressionner les visiteurs.
Elle représente une troupe foraine telle qu'on en voyait sur les boulevards. Les dix forains sur une estrade font face aux spectateurs et sont censés leur donner envie d'entrer sous le petit chapiteau pour assister au spectacle.
À gauche, un garçon qui tient un tambour pleure tandis que des adolescentes en maillot, attendent le début du spectacle qui commencera comme l'indique le panneau tenu par la plus âgée, dans trente secondes.
Les visages sont las, comme ailleurs. Ils ne regardent pas les curieux qui les fixent. Les animaux font partie du spectacle, perroquets et singes. Privés de liberté, enchaînés, ils connaissent le même sort que les enfants.
Au centre, un nain réduit à son rôle de "curiosité", de petit monstre amusant, a le visage fermé, seule façon de résister à l'humiliation.
Un clown blanc au costume coloré déclame sans baisser la tête vers les spectateurs.
Un "bonimenteur" plus âgé prend un air exagérément réjoui.
À droite sous la banderole "orchestre français" (sur laquelle un singe enchaîné, compagnon de misère, tourne le dos), trois vieillards amaigris sont assis. Ils sont accablés. Deux semblent dormir, le 3ème fixe le vide. leurs instruments sont la clarinette, le trombone et l'ophicléide (ancêtre du tuba).
Dans cette attention aux humbles, à ceux que la société ne veut pas voir, le peintre a été proche d'un artiste qui l'influença et qui comme lui fréquenta l'atelier de Cabanel : Jules Bastien-Lepage.
Jules Bastien-Lepage
Mais si Jules Bastien-Lepage reste fidèle à ses origines paysannes et représente des campagnards dans leur rude condition, Fernand Pelez est citadin et c'est la misère des villes qu'il veut peindre.
Comme dans cette toile : "sans asile - les expulsés". Une œuvre toujours actuelle qu'appréciera un autre montmartrois connu pour son amour des chats, Steinlen, qui fut aussi un homme engagé dans la défense des pauvres du maquis.
Parmi les autres toiles de Pelez comment ne pas citer "la victime ou l'asphyxie" qui représente une femme que les émanations d'oxyde de carbone d'un mauvais poêle ont tuée.
Pelez ne pouvait savoir que quelques années après cette représentation, un écrivain qu'il admire, Zola, mourrait de la même manière. Il s'agirait alors d'un crime.
Une exposition de 2009 au Petit Palais a remis dans la lumière ce grand peintre.
Patrick Cauvin écrivait alors : "Montmartrois, foncez au petit Palais! Courez voir Pelez, ne serait-ce que pour le temps d'un regard, faire revivre, par un peintre oublié, le carnaval des traîne-savates".
Liste des liens:
Artistes, peintres célébrités de Montmartre
Etude de toiles de grands peintres
Les lingères. (Pelez 1880)