Hey céramiques!
L'exposition de la Halle Saint-Pierre prend un chemin nouveau, quittant pour une fois l'exploration de l'Art Brut vivant, multiple, angoissant. Elle nous propose de découvrir 34 artistes de 13 pays qui ont choisi d'incarner leurs rêves, leurs fantasmes dans la céramique!
J'ai choisi les quatre artistes qui m'ont touché et qui sont toutes des femmes. La première est Maria Guilbert née en 1973 en Pologne. Elle a vécu son enfance à l'orée d'une forêt près de la mer Baltique et s'est sentie proche de la nature qui l'environnait. Ses œuvres oniriques sont des femmes-feuillages, femmes-fleurs, femmes-oiseaux.
J'ai pensé par opposition à Melancholia en voyant les mains d'une jeune femme fleurir et s'épanouir.
Mais avec Maria Guilbert tout se passe en douceur, en harmonie alors qu'avec Lars von Trier les mains électriques annoncent la fin de la planète.
Dans un cas c'est le début d'un jour printanier, dans l'autre celui d'une nuit éternelle.
Femme-feuillage, métamorphose harmonieuse, visage heureux.
Le contraire de la transformation désespérée de Daphné en laurier.
La femme ne se métamorphose pas en biche mais en cerf dont les bois sont comme les branches d'un arbre. Une transformation qui abolit les différences, humain-animal, féminin-masculin...
La robe-piège parle d'apprivoisement et non de capture. La chouette n'est plus dans la cage mais entre les mains complices de la femme.
La sentinelle porte un cristal de roche, pierre de lumière, pierre sacrée qui pour les chamanes éveille la conscience.
Les visages des femmes de Maria Guilbert, modestes, paupières baissées comme les statues de Bouddha me font penser aussi aux peintures de la Renaissance italienne.
Maria Guilbert ne vit plus en Pologne mais dans une nature qui lui va bien avec ses oliviers et ses collines, le Luberon.
La deuxième artiste qui m'a intéressé s'appelle Kirsten Stingle.
Elle est née n en 1970 aux Etats-Unis. Son expérience théâtrale est sensible dans ses visages qui sont comme des masques vivants et expriment des sentiments d'inquiétude ou d'interrogation.
"Comment j'ai appris à cesser de me plaindre" est un envol sur un narval-obus. La passagère reste gracieuse, parée comme pour un bal mais en réalité voyageuse, prête à toutes les découvertes. Non pas tournée sur elle -même mais en route vers d'autres ciels.
Les visages de céramique nous invitent à une rencontre avec un étrange qui paraît familier. Grimace, regard de côté, amitié féminine avec chevelure hérissée de porte-plumes ou bulles de savon.
Christina Bothwell est née en 1960 aux Etats-Unis. Ses réalisations en verre moulé et raku jouent avec la lumière comme le faisait Gallé en 1900.
"Birds (Girls with birds)" fait penser à l'Egypte, aux fresques de dieux-animaux. Il y a quelque chose de mystérieux et de sacré dans cette procession immobile, portée par la lumière.
L'enfant s'éveille sur la femme endormie. Naissance, lent déploiement au soleil de la chrysalide.
Le cerf embrassé par l'enfant, ne fait qu'un avec lui tandis que participent à leur complicité les feuilles et les fruits du fraisier qui les caressent.
Hommage à Balthus et à ses fillettes lascives et solitaires ce fauteuil bleu accueille les herbes qui montent avec les papillons, un écureuil, un oiseau...
Un enfant rêve.
Balthus
Encore un compagnonnage avec les animaux qui participent à l'élévation. De l'enfant-kangourou confiant entre les pieds de la jeune fille à l'oiseau entre ses mains. La lumière part de la terre et monte vers le ciel.
Voici pour terminer cette visite subjective Crystal Morey née en 1983 en Caroline du Nord. Proche de la nature et spectatrice des blessures que l'homme lui inflige, elle imagine un monde de créatures hybrides qui se seraient réinventées afin de mettre fin à la disparition annoncée des espèces.
Créature d'après l'extinction, l'éléphant réapparait, corps de femme, tête d'éléphant. Ganesh sensuel et heureux.
La girafe fait de même, femme et animal, ni femme ni animal mais créature sacrée, madone et son petit pour une nouvelle religion sans crucifixion.
Venus sort des eaux, elle a le regard curieux d'un grizzly qui oublie qu'il fut massacré.
Toutes ces créatures nouvelles sont faites de porcelaine, le plus fragile des matériaux. Un rien, une agressivité peut les détruire.
Voilà, je quitte l'exposition lumineuse de la Halle St-Pierre, si différente de celle qui vous attend dans la nuit du rez de chaussée, intéressante mais angoissante, entre folie et cauchemar.
Hey céramiques laisse la place à bien d'autres artistes dont certains interpellent ou fascinent mais je n'ai voulu présenter que ces quatre sculptrices, toutes habitées par le rêve, par l'imaginaire, par le talent. Elles apportent avec leur goût de l'enfance et de la nature un peu de poésie et de tendresse dans notre monde sanglant.