C'est un beau portrait exposé dans la galerie des peintures du musée Hèbre de Rochefort. Je cherchais en vain un autre portrait, celui d'un enfant aux cerises auquel j'avais consacré un petit article quand ce jeune garçon, son chien dans les bras attira mon attention.
Un garçon sérieux, doux et triste, jette un regard de côté, comme son chien abandonné au bien-être d'être installé sur les genoux de son petit maître, le museau entre les pattes.
J'ai eu envie de connaître cet enfant mélancolique au sourire à peine esquissé. J'ai commencé par découvrir qu'il était le fils de l'auteur du tableau, Pascal Dagnan-Bouveret (1852-1929).
Un peintre dont j'ignorais l'existence bien qu'ayant eu l'occasion de voir sans les lui attribuer certaines de ses réalisations à la Sorbonne, à l'Odéon ou à l'hôtel de ville où y peignit quelques fresques.
Voici en quelques mots les étapes marquantes de sa vie de peintre.
En 1869, il étudie aux Beaux-Arts dans l'atelier de Cabanel. La guerre et la Commune pendant lesquelles j'ignore tout de son engagement éventuel, interrompent ses études qu'il reprend, la paix revenue. Il ne fréquente plus alors l'atelier de Cabanel mais celui de Gérôme. Dans les deux cas, il a été à bonne école!
La première oeuvre qui le fait remarquer au Salon des Artistes (1875) est "l'Atalante", Sujet féministe s'il en est! Une jeune femme met au défi ses adversaires masculins dans une course à pieds qu'elle remporte aisément.
Il est ensuite attiré par les scènes de la vie quotidienne et se range du côté des Naturalistes, admirateurs de Zola. Une de ses toiles "le pardon en Bretagne" est remarquée à l'expo de 1889 où elle obtient la médaille d'honneur.
C'est peu après qu'il évolue vers une peinture proche des Symbolistes et s'intéresse aux sujets religieux.
A la fin de sa carrière, peintre à la mode et couvert d'honneur, il se consacre essentiellement aux portraits.
Tombé dans l'oubli, il est remis dans la lumière en 2002 grâce à une rétrospective organisée à New-York, les musées américains possédant de nombreuses toiles, comme des particuliers qui lui avaient commandé leur portrait.
Mais revenons à notre garçon au chien! Il a été peint en 1890 et représente donc Jean, le fils du peintre.
Jean Dagnan-Bouveret a alors 7 ans (il est né en 1883). La ligne oblique du décor place son visage entre noir et blanc. L'enfant est tourné vers le noir mais regarde vers la lumière.
La lumière ce sont les dons qu'il possède et qui feront de lui un philosophe et un grand médecin, interne des hôpitaux de Paris.
"L'Histoire de la folie" reprend un de ses articles de 1912 sur la dépersonnalisation et l'aboulie.
La partie sombre, c'est la guerre de 14 pendant laquelle il est mèdecin aide-major. Il ne meurt pas au combat mais il est considéré comme victime de cette guerre, frappé en 1917 par la grippe espagnole.
Son père vivra douze ans encore, portant le deuil de ce fils aimé et admiré. Peut-être avait-il gardé le portrait de l'enfant, entre ombre et lumière, tenant contre lui l'animal fidèle, symbole d'un lien indéfectible et d'un amour total.
J'ai repensé à mon enfant aux cerises qui a disparu du musée de Rochefort et je me suis demandé pourquoi, si souvent, les portraits d'enfant étaient doux et mélancoliques, comme résignés. L'enfance aurait-elle un vague pressentiment des blessures à venir?
Liens : Charente Maritime. Musée Hèbre de Rochefort
Fontaine de Rochefort. Place Colbert.