Elle fut pendant des siècles la plus célèbre des fontaines de Montmartre.
Il n'en reste rien aujourd'hui malgré la statue de Saint Denis qui semble attendre patiemment, la tête entre les mains, qu'elle jaillisse à nouveau...
Denis fut un des saints les plus vénérés au Moyen-Âge et l'église de l'abbaye de Montmartre porta son nom dans sa partie réservée aux religieuses (la partie réservée aux villageois, séparée par une grille, étant dédiée à Saint-Pierre.)
Premier évêque de Paris, Denis, après avoir eu la tête tranchée vers 250 sur ordre du gouverneur romain, se serait, selon la légende, relevé après sa décapitation et aurait marché vers le nord jusqu'à l'endroit où il se serait arrêté pour être inhumé. Plus tard s'élevera à cet endroit la basilique qui porte son nom.
Après avoir escaladé, la tête entre les mains, le flanc sud de la Butte, il aurait fait halte auprès de la source claire qui jaillissait à l'abri des arbres, afin de laver son chef ensanglanté.
Les Montmartrois gardèrent mémoire de cette source sacrée (qui l'était déjà au temps du paganisme). C'est autour d'elle que trois des moulins de la Butte firent tourner leurs ailes et c'est là que des anges continuèrent de murmurer et de chanter après le passage du saint.
Les riverains la nommèrent alors source des bourdonnements.
Quand vous aviez des maux de tête, il suffisait de puiser de l'eau à cette fontaine et de vous en asperger le crâne et le visage pour que vos céphalées soient emportées, comme détachées de vous et diluées dans les bourdonnements angéliques. La croyance populaire lui attribua d'autres vertus : la jeune fille qui s'y rendait dès potron-minet et y faisait une toilette de chat était assurée de trouver dans l'année un beau matou. Non pour la bagatelle toujours facile à l'ombre des moulins mais pour le mariage… On prétend aussi que sanctifiée par l'eau bénie, elle ne tromperait jamais son homme!
"Fille qui a bu l'eau de Saint-Denis,
Toujours sera fidèle à son mari."
Mais l'esprit et le goût de vivre montmartrois étant ce qu'ils sont, les abords de la fontaine fournissant herbe tendre et bosquets en abondance, c'est là que de jeunes amoureux d'un soir venaient abriter leurs ébats!
Dans la journée, le lieu retrouvait sa sage apparence et les pèlerins qui se dirigeaient vers le martyrium, en bas de la Butte, là où Denis, Eleuthère et Rustique avaient été suppliciés, s'y arrêtaient pour prier. On dit qu'Ignace de Loyola et ses compagnons s'y rendirent le 15 août 1534 après avoir prononcé leurs vœux de pauvreté et chasteté.
Il y avait une pierre sculptée à proximité de la fontaine. Elle a disparu et a été remplacée par la statue qui veille de nos jours sur les boulistes du square Suzanne Buisson.
Elle est due au sculpteur Fernand Guignier (1902-1972) qui fut élève d'un artiste qui nous est cher sur la Butte, Emile Derré.
On doit à ce dernier, grand humaniste et pacifiste la Fontaine des Innocents ou du Gai savoir dans le square Louise Michel et la grotte des Amoureux.
Fernand Guignier aimait Montmartre dont il fit de nombreux pastels...
Sa statue de Saint Denis prend place en 1941 à l'emplacement présumé de l'antique source.
Qu'est-elle devenue cette source sacrée?
Elle a connu un sort comparable à certains moulins et maisons de la Butte. Un creusement de carrière fut autorisé aux alentours.
Bientôt le sol s'affaissa puis un trou de plusieurs coudées avala (en 1810) source et ruisseau qui continuèrent leur petit chemin bourdonnant dans les entrailles de Montmartre avant de se diluer peu à peu dans les profondeurs et disparaître à jamais.
Revient-elle parfois en automne quand les brouillards montent de l'ancien abreuvoir et quand les derniers feuillages bruissent comme une résurgence discrète et cristalline? L'eau retrouve-t-elle la sente qu'elle suivait alors et qui est devenue l'impasse Girardon?
Nerval qui était poète l'a entendue... pourquoi pas vous?
Liens : La fontaine du but
La fontaine de la Bonne eau et la fontaine de la Fontenelle
Les lieux célèbres et sites de Montmartre
En annexe, un panneau de bois sculpté du XVIème siècle jadis exposé au musée de Montmartre et aujourd'hui récupéré par le musée Carnavalet. On y voit le martyre de Denis et ses compagnons sur une butte difficile à reconnaître….