Il faut se pincer pour le croire!
Notre Poulbot, l'homme le plus généreux, le plus soucieux de ne heurter personne, a dû subir attaques et procès pour outrage aux bonnes mœurs!
Tout commence avec la parution du numéro du 30 septembre 1905 de l'Assiette au Beurre titré "la graine du bois de lit" qui provoque l'indignation du sénateur René Bérenger.
Il en fait interdire la vente et retirer tous les exemplaires des kiosques.
René Bérenger alors âgé de 75 ans est un des acteurs politiques les plus actifs de son temps. Il a été à l'origine de plusieurs lois pénales qui portent son nom.
Mais l'âge venant, il devient de plus en plus prude et voit avec horreur se développer une joie de vivre et une liberté, illustrées en particulier sur la Butte, qui le scandalisent.
Il part en croisière contre le relâchement moral et est vite connu, grâce aux chansonniers sous le nom de "Père la pudeur".
On s'étonne aujourd'hui de son indignation devant les dessins de Poulbot parus dans le numéro incriminé.
Poulbot met en scène les enfants du maquis, tels qu'il les croisait tous les jours, gosses miséreux, livrés à eux-mêmes...
Ces gosses de "la graine du bois de lit"... fruits des amours des adultes soucieux de leur seul plaisir et indifférents au sort des petits qui viendront au monde...
Au fond, c'est une position morale, moralisante même. On l'entend aujourd'hui au sujet de pays en voie de développement sommés de maîtriser leur natalité.
Mais Poulbot a toujours été du côté du peuple.
Il ne fait pas la leçon aux malheureux du maquis. Il constate. Il regarde les gosses dans les rues. Il souffre de leur abandon et de leur pauvreté.
Il leur prête des réflexions critiques ou drôles comme s'il leur donnait des armes pour se défendre...
Ce qui domine dans ses dessins c'est la tendresse et la compassion.
Comment Bérenger a t-il pu faire interdire de tels dessins pour pornographie?
Nous sommes en 1905, année de la Séparation de l'Eglise et de l'Etat. Peut-être fut-il choqué par la représentation d'un curé qui avait cédé au "péché" de chair!
Poulbot, blessé par les sanctions garde un chiot de sa chienne (appelée Lulu) au sénateur Bérenger...
Trois ans plus tard, en mai 1908, il le caricature dans un dessin qui fait la couverture du n° 372 de l'Assiette au Beurre.
Il représente Bérenger en vieillard asexué transperçant Cupidon jeté à terre devant la statue de Diane dépouillée de son carquois et de ses flèches et pudiquement revêtue d'un pagne publicitaire pour "la ligue contre la licence des rues. Système Bérenger"
Les autres dessinateurs qui participent à ce numéro sont tout aussi virulents contre le Père la Pudeur et les ligues de vertu qui depuis la loi de Séparation dénoncent le relâchement généralisé des mœurs...
Bérenger juge les dessins à la limite du blasphématoire mais il ravale sa prude salive et reste aux aguets, attendant le faux pas de Poullbot, le dessin scandaleux qui lui permettra de l'attaquer en justice.
Il croit avoir trouvé l'occasion rêvée quand il découvre en mai 1911 la couverture du journal "Les Hommes du Jour" consacré au nu (hors série n°3)
Poulbot y dessine un gamin des rues qui pour se mettre à l'abri du vent, allume sa cigarette sous les jupes d'une fillette qui ne porte pas de culotte.
Le dessin sans légende a pour titre "La première cigarette".
Il avait déjà illustré le menu de la Société du Cornet, assemblée de notables et d'artistes créée par Courteline (entre autres) et qui organisait chaque année un banquet composé d'hommes exclusivement.
Il était alors accompagné de la légende : "- Fais attention, ne me fous pas le feu au cul."
Les sociétaires du Cornet étaient un tantinet machos et les illustrateurs des menus ne reculaient pas devant la grosse plaisanterie
Poulbot en illustra plusieurs, notamment dans les années trente.
Le père la Pudeur porte plainte contre Poulbot, pour outrage aux bonnes mœurs.
Il provoque une réaction à laquelle il ne s'attendait pas!
De nombreux journaux prennent parti pour Poulbot
Willette écrit : "Ainsi notre Poulbot est poursuivi pour attentat à la morale! On veut déférer aux tribunaux, cet artiste exquis, si bon qu'il me fait plutôt penser à Saint Vincent de Paul qu'au marquis de Sade."
Le procès se clôt sur un non-lieu. Le journal Le Sourire donne un banquet pour célébrer la victoire de la raison et de l'art!
Artistes, musiciens, acteurs, peintres y sont conviés. C'est une fête mémorable où l'humour et la gaité répondent sans haine au moralisme bigot.
Cette époque avait du bon. Ceux qui étaient choqués par les caricatures ne réglaient pas leurs comptes avec une kalachnikov.
Cependant je me pose la question en ayant peur de la réponse : ce beau dessin de Poulbot avec cette fillette aux jupes levées ne provoquerait-il pas aujourd'hui des réactions indignées et ne risquerait-il pas d'être censuré?