Quand Montmartre ne faisait pas partie de Paris, c'est à dire avant 1860, la rue Ronsard n'était qu'un chemin de terre, le chemin Saint André, qui longeait la Butte et où l'on trouvait ici et là de pauvres constructions de planches semblables à celles du maquis qui recouvrait la pente nord, de l'avenue Junot actuelle à la rue Caulaincourt.
Les carrières de gypse étaient exploitées depuis l'époque où la Butte était gallo-romaine avec ses deux ou trois villas et ses temples dont quelques colonnes ont été réemployées dans l'église Saint-Pierre.
Elles fournissaient un plâtre très utilisé pour les constructions parisiennes.
C'est pourquoi l'on aime dire qu'il y a plus de Montmartre dans Paris que de Paris dans Montmartre!
La rue Ronsard, longue de 152 mètres reçut son nom en 1875. Contrairement à tant de rues de la Butte elle ne porte pas le nom d'un propriétaire foncier mais du poète de la Renaissance qui conseilla aux jeunes filles de cueillir sans attendre les roses de la vie et dont quelques poèmes mis en musique par Léonardi furent chantés par Monique Morelli qui habitait rue Paul Albert non loin de là.
La rue longe, côté impair, les jardins et les falaises qui avaient été imaginés par Alphand mais réalisés après sa mort par Formigé, à la fin du XIXème siècle.
C'est un des charmes de cette rue que ces rocailles alpestres où s'accrochent les arbres et les buissons qui font de ce paysage urbain l'un des plus romantiques de Paris.
A son extrémité la rue vient buter contre les escaliers de la rue Paul Albert, jadis escaliers Sainte Marie.
Ils étaient précédés par une grotte qui servait d'entrée dans les jardins et qui hélas a été bouchée et transformée en remise pour les jardiniers.
C'est sous ces falaises que furent extraits les blocs de gypse qui permirent à Cuvier d'élaborer sa théorie sur l'étude des fossiles trouvés dans les couches terrestres et d'être considéré comme l'inventeur de la paléontologie (c'est à lui que l'on doit le nom de "jurassique" donné à une période de l'ère secondaire).
Il étudia la célèbre sarigue de Montmartre ("peratherium cuvieri") le petit marsupial dont une partie du squelette avait été conservée dans le gypse. La sarigue datait de l'éocène et sautillait sur la Butte il y a 33 millions d'années.
Si Cuvier n'avait pas fait passer ses convictions religieuses avant la science, il aurait été un des précurseurs de l'évolutionnisme.
Mais la parole divine étant indiscutable, il se débrouilla avec ses fossiles pour envisager une théorie, conforme avec le créationnisme biblique! Dieu aurait bien créé toutes les espèces mais à la suite de catastrophes naturelles, certaines disparurent. Dieu se remit au travail et en créa d'autres, telles quelles, tout droit sorties de son imagination féconde. Il y aurait donc eu plusieurs créations.
Quoi qu'il en soit ses découvertes furent utiles à Lamarck et à Darwin pour illustrer leurs thèses.
Un peu plus loin, une autre grotte apparaît. Elle recevait à l'origine le ruisseau qui prenait naissance en haut des jardins, près du couple enlacé sculpté par Derré et qui serpentait dans le jardin avant de tomber en cascades sous les voûtes où il emplissait le bassin.
Il paraît que le bruit des cascades gênait les voisins. L'eau a cessé de circuler dans le jardin et la grotte s'est asséchée.
Côté pair, une place a été créée en 2011.
C'est une spécialité de la Ville de donner, chaque journée de la femme, à un espace parfois improbable le nom d'une femme remarquable.
Ainsi ces quelques mètres carrés qui ne servent d'adresse qu'à trois magnolias sont-ils devenus "place Louise Blanquart"
Louise Blanquart a vécu non loin de là, rue Tardieu
Sans cette plaque peu de gens connaîtraient son nom sinon ceux qui l'ont côtoyée dans ses engagements sociaux chrétiens la première partie de sa vie puis communistes après qu'elle eut perdu la foi. Militante à la CGT, elle fut rédactrice en chef d'Antoinette, le journal des femmes de la Centrale avant d'écrire pour l'Humanité.
Elle est aujourd'hui coincée entre Ronsard et Nodier mais sans doute apprécie t-elle la proximité de Louise Michel dont les jardins portent le nom!
Le seul immeuble d'habitation qui donne sur la rue Ronsard n'a aucune entrée de ce côté.
On y entre par la rue Nodier ou la rue Cazotte .
Il ressemble à un navire de pierre, la proue dirigée vers le nord...
Côté impair la rue continue de longer les jardins. Une des entrées se trouve au numéro 3
La maisonnette des gardiens prend une allure de chaumière pour Petit Poucet!
Côté pair s'élève le bâtiment le plus remarquable de la rue, miraculeusement préservé du vandalisme des années pompidoliennes où l'on sacrifiait sans vergogne les Halles de Baltard ou le cirque Medrano sur le boulevard de Rochechouart!
Il s'agit du Marché Saint-Pierre, aujourd'hui appelé Halle Saint-Pierre.
La halle serait l'œuvre d'un disciple de Victor Baltard dont les Halles centrales, étaient en construction depuis 1852 et qui ouvraient au cœur de Paris un immense parapluie de verre et de fonte.
J'ai recherché en vain le nom de ce disciple, moins connu qu'Auguste Magne qui édifia son marché à La Chapelle....
Le marché a été transformé en 1900 et il faillit disparaître au milieu du siècle. Aujourd'hui, sa partie nord abrite un gymnase et sa partie sud le musée de l'art brut et de l'art singulier qui organise des expositions, découvertes de mondes à part, loin des formes académiques, loin des écoles....
Des marginaux, des poètes, des fous, sans ambition mercantile, habités par le besoin de créer, donnent naissance à des univers où s'expriment des obsessions, des désirs, des peurs qui éveillent en nous un écho primitif.
On a inventé pour eux le nom d'art brut. Mais depuis longtemps on sait qu'il y a du génie chez le facteur Cheval ou le curé de Rothéneuf... sans qu'il soit besoin de qualifier leur œuvre...
La rue Ronsard donne sur la place Saint-Pierre. Elle est empruntée par les touristes qui ne veulent pas prendre le funiculaire ni passer par les jardins. On a pensé à eux en installant une sanisette Decaux sur le trottoir de la Halle, dans un recoin qui s'était transformé en pissotière à ciel ouvert depuis que les anciennes vespasiennes avaient été détruites
Sur la place Saint Pierre et la rue Ronsard, sur les terrains qui n'étaient pas encore aménagés, il y eut le 7 octobre 1870 un événement qui eut pour témoins les Montmartrois enthousiastes....
Le départ de Gambetta. On reconnaît en haut la tour Solférino et sur la droite la rue Ronsard envahie par la foule.
Alors que Paris était encerclé par les troupes prussiennes, Gambetta, ministre de l'Intérieur de la Défense Nationale s'envola avec le ballon "Armand Barbès" afin de franchir les lignes et rejoindre, après bien des péripéties la ville de Tours où s'organisait la résistance.
Il n'y eut pas de ballons six mois plus tard pour sauver les Montmartrois massacrés pendant la Semaine Sanglante...
Victor Hugo n'eut pas à écrire pour eux ce qu'il écrivit pour Gambetta :
"Il faisait beau. un doux soleil d'automne. Au-dessous du ballon pendait une flamme tricolore. On a crié : Vive la République"!